Arrêt de la Cour du 21 février 1984. – Hasselblad (GB) Limited contre Commission des Communautés européennes. – Concurrence – Pratique concertée. – Affaire 86/82.

Par un arrêt rendu en assemblée plénière, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur la légalité d’une décision de la Commission ayant constaté plusieurs infractions aux règles de concurrence à l’encontre d’un fabricant de matériel photographique et de ses distributeurs. En l’espèce, une société suédoise, fabriquant des appareils photographiques de haute qualité, avait organisé la commercialisation de ses produits au sein du marché commun par l’intermédiaire d’un réseau de distributeurs exclusifs nationaux. Le distributeur pour le Royaume-Uni avait lui-même mis en place un système de distribution sélective, n’approvisionnant que les détaillants ayant signé un contrat de revendeur agréé. Suite à la plainte d’une société sise en Irlande du Nord, dont le contrat de revendeur avait été résilié, la Commission a engagé une procédure. Elle a conclu à l’existence d’une pratique concertée visant à entraver les importations parallèles, ainsi qu’à l’incompatibilité avec l’article 85, paragraphe 1, du traité CEE, de l’accord de distribution exclusive et du système de distribution sélective, en raison de clauses spécifiques et d’une sélection quantitative des revendeurs. La Commission a infligé une amende au distributeur britannique, lequel a alors formé un recours en annulation partielle de cette décision devant la Cour de justice. Il s’agissait pour la Cour de déterminer si un réseau de distribution, combinant exclusivité et sélection, franchissait les limites du droit de la concurrence lorsque son application concrète visait à cloisonner les marchés nationaux et à restreindre indûment la liberté commerciale des revendeurs. La Cour a largement confirmé l’analyse de la Commission, jugeant que la pratique concertée visant à empêcher les importations parallèles privait l’accord de distribution exclusive du bénéfice de l’exemption par catégorie. Elle a également validé la qualification de restrictions de concurrence pour les clauses interdisant les ventes croisées entre revendeurs agréés, permettant un contrôle sur la publicité des prix, ainsi que pour les critères de sélection quantitatifs. La Cour a néanmoins annulé la décision sur un point mineur et a réduit l’amende, estimant que toutes les infractions retenues par la Commission n’étaient pas intégralement établies.

La solution de la Cour de justice met en lumière la vigilance particulière qu’elle porte à toute tentative de restaurer des barrières entre les marchés nationaux, sanctionnant fermement une stratégie concertée de cloisonnement (I). Au-delà de cette pratique, l’arrêt réaffirme l’illicéité des clauses d’un système de distribution sélective qui, sous couvert de préserver la qualité de la distribution, restreignent en réalité la concurrence intra-marque (II).

I. La sanction d’une stratégie de cloisonnement du marché

La Cour de justice s’attache en premier lieu à l’existence d’une entente horizontale visant à isoler le marché britannique. Elle en caractérise les éléments constitutifs avant d’en tirer les conséquences quant au régime d’exemption applicable à l’accord de distribution exclusive.

**A. La caractérisation d’une pratique concertée anticoncurrentielle**

La Cour valide l’analyse factuelle de la Commission pour établir l’existence d’une pratique concertée. Il ressortait des faits que le distributeur exclusif britannique, confronté à des ventes réalisées par un revendeur non agréé, avait entrepris des démarches actives pour identifier l’origine des produits. Ces investigations, notamment par le biais d’achats tests, lui ont permis de tracer la marchandise jusqu’au distributeur exclusif pour l’Irlande. Suite à des pressions, ce dernier avait accepté « de ne plus exporter et de renvoyer les acheteurs étrangers se rendant à son siège ». Des interventions similaires ont eu lieu auprès des distributeurs français et belge pour tarir les sources d’approvisionnement du revendeur indésirable.

La Cour constate que la participation du distributeur britannique à ces manœuvres, qui ont duré de mai 1978 à décembre 1979, est établie. Elle écarte l’argument selon lequel le distributeur aurait cessé ses agissements après avoir consulté son conseil juridique, relevant que des achats tests ont continué postérieurement à cette date. La Cour confirme ainsi que la coordination entre entreprises, même informelle et visant à faire cesser des importations parallèles, suffit à constituer une pratique concertée prohibée par l’article 85, paragraphe 1. Le fait d’agir de concert pour empêcher l’approvisionnement d’un opérateur constitue une violation manifeste des règles de concurrence, dont l’objet même est de fausser le jeu normal de l’offre et de la demande sur le marché.

**B. L’exclusion du bénéfice de l’exemption par catégorie**

L’accord de distribution exclusive liant le fabricant à son distributeur britannique ne comportait, dans sa version la plus récente, aucune interdiction d’exporter. À ce titre, il aurait pu en principe bénéficier de l’exemption par catégorie prévue par le règlement n° 67/67. Toutefois, la Commission avait refusé ce bénéfice en se fondant sur l’article 3 de ce même règlement, qui écarte l’exemption lorsque les contractants prennent des mesures entravant l’approvisionnement de revendeurs dans d’autres parties du marché commun.

La Cour confirme ce raisonnement en jugeant que la pratique concertée précédemment établie suffit à justifier cette exclusion. Elle précise que « la pratique concertee visant a restreindre les importations paralleles destinees a camera care etant etablie , elle suffit pour rendre inapplicable L ‘ exemption par categorie du reglement N 67/67 ». Cette approche confirme une jurisprudence constante selon laquelle la protection accordée par un règlement d’exemption est conditionnée à l’absence de comportement visant à rétablir une protection territoriale absolue. L’autonomie contractuelle, même encadrée par un règlement d’exemption, ne saurait servir de paravent à des pratiques anticoncurrentielles dont l’objet est précisément le cloisonnement des marchés nationaux, objectif fondamentalement contraire aux principes du traité. Au-delà de cette coopération horizontale, le système de distribution mis en place par le distributeur national contenait lui-même des restrictions verticales jugées incompatibles avec le droit de la concurrence.

II. L’illicéité des clauses restrictives d’un réseau de distribution sélective

La Cour examine ensuite la compatibilité du contrat de revendeur agréé, ou « dealer agreement », avec l’article 85, paragraphe 1. Elle censure tant les restrictions directes à la liberté des revendeurs que le caractère quantitatif des critères de sélection.

**A. Les restrictions à la liberté commerciale des revendeurs agréés**

La Cour s’attarde sur deux clauses principales du contrat de distribution sélective. La première interdisait aux revendeurs agréés de livrer des produits à d’autres détaillants, y compris à d’autres revendeurs agréés, sans l’accord préalable du distributeur. Pour la Cour, « une interdiction de vente entre revendeurs agrees constitue une limitation a leur liberte economique , et par consequent une restriction de la concurrence ». Cette position réaffirme que la liberté pour un revendeur agréé de s’approvisionner auprès d’un autre membre du réseau constitue un élément essentiel de la concurrence intra-marque, et que sa suppression ne peut être justifiée par les seules exigences d’un système sélectif.

La seconde clause examinée conférait au distributeur le pouvoir d’exiger le retrait de toute annonce publicitaire à laquelle il s’opposerait. La Cour relève le véritable objectif de cette clause en s’appuyant sur des éléments de preuve montrant que le distributeur s’était plaint d’annonces axées sur les prix. Elle en conclut que la clause, bien que présentée comme un outil de maintien d’une publicité de haut niveau, visait en réalité à contrôler la politique de prix des revendeurs les plus actifs. La Cour juge que le distributeur « S ‘ occupait des termes D ‘ annonces publicitaires concernant les prix de vente , et que la clause litigieuse a ete redigee de maniere a permettre a la requerante D ‘ interdire de telles annonces ». Cette analyse dénonce une ingérence indirecte dans la fixation des prix de revente, une restriction par objet particulièrement grave.

**B. La prohibition de la sélection quantitative des distributeurs**

Enfin, la Cour se penche sur les critères d’admission au réseau de distribution. Si les systèmes de distribution sélective fondés sur des critères qualitatifs objectifs, liés à la nature du produit, peuvent être admis, il en va différemment lorsque la sélection devient quantitative. En l’espèce, le distributeur se réservait le droit de ne pas agréer un nouveau revendeur, même qualifié, au motif qu’il y aurait déjà un nombre suffisant de points de vente dans une zone donnée. De plus, le contrat permettait au distributeur de contrôler le transfert du magasin d’un revendeur, limitant ainsi sa liberté d’établissement.

La Cour estime que ces éléments démontrent que le distributeur opérait « un choix non seulement qualitatif mais egalement quantitatif ». Le faible nombre de revendeurs agréés par rapport au nombre total de détaillants d’appareils photographiques au Royaume-Uni vient corroborer cette conclusion. En limitant artificiellement le nombre de concurrents sur le marché, le distributeur ne cherchait pas seulement à garantir une distribution de qualité, mais bien à réduire la pression concurrentielle au sein de son propre réseau. Cet arrêt s’inscrit ainsi dans la lignée de la jurisprudence antérieure, qui n’admet la distribution sélective que si elle est nécessaire pour préserver la qualité du produit et si les critères de sélection sont objectifs, non discriminatoires et appliqués de manière uniforme, à l’exclusion de toute considération quantitative visant à limiter la concurrence intra-marque.

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