Arrêt de la Cour du 21 février 1984. – St. Nikolaus Brennerei und Likörfabrik, Gustav Kniepf-Melde GmbH contre Hauptzollamt Krefeld. – Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Düsseldorf – Allemagne. – Taxes compensatoires frappant l’alcool produit en France – Article 46 du traité CEE. – Affaire 337/82.

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel du Finanzgericht Düsseldorf, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer sur la validité d’un règlement de la Commission instituant une taxe compensatoire sur les importations d’alcool éthylique d’origine agricole en provenance de France. En l’espèce, une entreprise allemande s’est vu imposer cette taxe sur de l’alcool importé, en application d’un règlement communautaire visant à neutraliser les distorsions de concurrence provoquées par la politique de prix du monopole national français. La juridiction de renvoi, saisie par l’entreprise importatrice, a soulevé la question de la validité de ce règlement, au motif que sa base juridique, l’article 46 du traité CEE, ne serait plus applicable après l’expiration de la période de transition. Il s’agissait donc pour la Cour de déterminer si l’article 46 du traité, permettant l’instauration de taxes compensatoires pour corriger les déséquilibres de marché liés à une organisation nationale, pouvait subsister après l’achèvement du marché commun. La Cour de justice répond par l’affirmative, jugeant que la validité du règlement ne saurait être remise en cause sur ce fondement, l’article 46 pouvant être appliqué aux produits non encore soumis à une organisation commune de marché, même après la fin de la période de transition. Cette décision confirme ainsi la persistance d’un mécanisme de sauvegarde spécifique au secteur agricole (I), tout en précisant la nature juridique et l’autonomie de la taxe compensatoire qui en découle (II).

I. La pérennité de l’article 46 en tant que mécanisme de sauvegarde post-transition

La Cour de justice fonde sa solution sur une analyse rigoureuse de la place de l’article 46 dans l’économie du traité, en soulignant d’une part son applicabilité continue en l’absence de limitation temporelle explicite (A) et d’autre part sa nécessité fonctionnelle pour les produits agricoles exclus du champ de certaines règles de concurrence (B).

A. Une application non limitée à la période de transition

La Cour écarte d’emblée l’argument d’une caducité de l’article 46 à l’issue de la période de transition. Elle relève que, si la vocation de cette disposition est de se résorber progressivement avec la mise en place des organisations communes de marché, aucun élément textuel ne vient limiter son application dans le temps. La Cour constate que « cette disposition ne prevoit nulle part qu’elle est limitee a la periode transitoire ». Le critère d’application de l’article 46 est donc matériel et non temporel : il demeure pertinent tant qu’un produit « fait L’objet D’une organisation nationale de marche ou de toute reglementation interne D’effet equivalent ». En l’absence d’harmonisation complète par une organisation commune, la persistance de structures nationales justifie le maintien d’un instrument destiné à en corriger les effets externes sur les marchés des autres États membres, assurant une transition maîtrisée vers un marché unifié.

B. Un instrument nécessaire face aux lacunes du droit de la concurrence

La Cour renforce son raisonnement en démontrant l’utilité de l’article 46 pour pallier une lacune juridique en matière agricole. Elle rappelle qu’en vertu de l’article 42 du traité, les règles de concurrence sur les aides d’État ne s’appliquent pas pleinement aux produits agricoles non couverts par une organisation commune. La Commission se trouve ainsi privée de la procédure de contrôle des aides prévue à l’article 93, paragraphe 2, du traité. De même, l’article 37 relatif aux monopoles nationaux ne permet qu’une intervention partielle. Face à cette situation, l’article 46 apparaît comme « un instrument utile lui permettant de prendre des mesures de sauvegarde immediates contre les distorsions de concurrence creees par un etat membre ». Il offre une réponse rapide et ciblée pour maintenir des courants d’échanges normaux et atteindre les objectifs de l’article 39, notamment la stabilisation des marchés.

II. L’autonomie de la taxe compensatoire en tant qu’outil de régulation

Après avoir validé la base juridique du règlement, la Cour s’attache à définir la nature de la taxe compensatoire, la distinguant nettement d’une mesure protectionniste (A) et affirmant son indépendance par rapport aux autres procédures de contrôle du respect du droit communautaire (B).

A. Une taxe d’intérêt général distincte d’une taxe d’effet équivalent

La Cour prend soin de qualifier juridiquement la taxe compensatoire pour la dissocier des entraves prohibées par le traité. Elle juge qu’une telle taxe « ne saurait par ailleurs etre assimilee a une taxe D’effet equivalant a un droit de douane ». Sa nature est différente, car il s’agit d’une « taxe D’interet general » dont le montant est fixé non pas unilatéralement par un État membre, mais par la Commission, dans le but de « retablir L’equilibre ». L’objectif n’est pas de fermer un marché, mais de permettre aux produits subventionnés « D’etre exportes dans les autres etats membres sans perturber leur marche ». La taxe neutralise ainsi les écarts de prix artificiels et préserve l’intégrité des échanges intracommunautaires en attendant la mise en place d’une politique commune, sous le contrôle de la Commission qui doit veiller à ce que sa durée et son montant restent strictement nécessaires.

B. Une mesure indépendante de la légalité de l’aide nationale

Enfin, la Cour clarifie le champ d’action de la Commission en affirmant l’autonomie de l’article 46 par rapport à la légalité de la mesure nationale qui est à l’origine de la distorsion. Elle estime qu' »il N’Y a pas lieu (…) de faire une distinction suivant que les desequilibres auxquels il Y a lieu de remedier seraient la consequence de mesures conformes ou non conformes au droit communautaire ». Le seul critère pertinent pour l’institution de la taxe est l’existence d’une perturbation de la concurrence affectant une production similaire dans un autre État membre. Cette approche pragmatique confère à la Commission un pouvoir d’intervention immédiat, sans préjudice de sa faculté d’engager en parallèle une procédure en manquement au titre de l’article 169 du traité si elle estime que l’État membre a violé ses obligations. Les deux procédures sont donc complémentaires et non exclusives l’une de l’autre.

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Hassan KOHEN
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Hassan Kohen

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