Par un arrêt du 14 juin 1990, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une question préjudicielle par le Centrale Raad van Beroep d’Utrecht, s’est prononcée sur l’interprétation du règlement n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale, et plus particulièrement sur la législation applicable à un ancien fonctionnaire ayant cessé son activité et résidant sur le territoire d’un autre État membre.
En l’espèce, un ressortissant néerlandais, ancien fonctionnaire du ministère de la Défense des Pays-Bas, a cessé définitivement son activité professionnelle le 1er mai 1974. À compter de cette date, il s’est établi avec son épouse en France, où aucun des deux n’a exercé d’activité professionnelle ni été affilié à un régime de sécurité sociale. Ayant atteint l’âge de la retraite, il s’est vu octroyer une pension de vieillesse par l’organisme de sécurité sociale néerlandais, laquelle a été réduite au motif que lui-même et son épouse n’avaient pas été assurés durant leur période de résidence en France, en application d’une clause de résidence prévue par la loi néerlandaise.
L’intéressé a contesté cette réduction devant les juridictions néerlandaises. Il soutenait que, en tant qu’ancien fonctionnaire, il devait rester soumis à la législation néerlandaise en vertu de l’article 13, paragraphe 2, sous d), du règlement n° 1408/71, ce qui aurait dû faire obstacle à l’application de la clause de résidence. Après une décision de première instance ayant partiellement fait droit à ses demandes, l’affaire a été portée en appel. La juridiction d’appel, le Centrale Raad van Beroep, a alors décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice.
Le problème de droit soumis à la Cour consistait à déterminer si la règle de conflit de lois prévue par le règlement n° 1408/71 pour les fonctionnaires, qui les soumet à la législation de l’État de leur administration d’emploi, s’applique également à un fonctionnaire ayant définitivement cessé son activité et qui s’est établi comme inactif dans un autre État membre. Il s’agissait de savoir si cette disposition communautaire pouvait neutraliser une condition de résidence imposée par la législation nationale pour l’affiliation à l’assurance vieillesse.
La Cour de justice répond par la négative. Elle juge que la disposition en cause « ne concerne pas les personnes ayant définitivement cessé toute activité professionnelle ». Elle précise que cette règle vise à résoudre les conflits de législation se produisant lorsque le lieu de travail et le lieu de résidence ne coïncident pas au cours d’une même période d’activité. En l’absence de toute activité, un tel conflit ne peut plus survenir. Par conséquent, la Cour estime qu’en l’absence de disposition spécifique dans le règlement, les conditions de résidence prévues par la législation nationale pour l’affiliation à un régime de sécurité sociale peuvent être appliquées.
La solution de la Cour repose sur une interprétation stricte du champ d’application du règlement communautaire (I), laquelle conduit à réaffirmer la compétence de la législation nationale pour définir les conditions d’affiliation à la sécurité sociale (II).
I. L’interprétation restrictive du champ d’application de la règle de conflit
La Cour de justice adopte une lecture littérale et téléologique de la disposition applicable aux fonctionnaires, la jugeant inapplicable aux personnes inactives (A), ce qui confirme que les règles de conflit du règlement sont conçues pour des situations d’activité professionnelle (B).
A. L’inapplicabilité de la règle de conflit aux fonctionnaires inactifs
La juridiction de renvoi interrogeait la Cour sur l’applicabilité de l’article 13, paragraphe 2, sous d), du règlement n° 1408/71, selon lequel « les fonctionnaires et le personnel assimilé sont soumis à la législation de l’État membre dont relève l’administration qui les occupe ». Pour la Cour, le terme « occupe » implique une relation de travail active et actuelle. Elle en déduit que cette disposition « ne concerne pas les personnes ayant définitivement cessé toute activité professionnelle ».
Cette interprétation s’appuie sur une lecture littérale du texte, le verbe « occuper » renvoyant à un emploi en cours et non à un emploi passé. Le raisonnement de la Cour est donc clair : un ancien fonctionnaire n’est plus « occupé » par son administration. La règle de conflit, conçue pour déterminer la législation applicable à un travailleur, perd sa pertinence dès lors que la personne concernée n’a plus ce statut. La cessation définitive de l’activité professionnelle fait sortir l’individu du champ d’application personnel de cette disposition spécifique, même s’il demeure dans le champ d’application général du règlement en tant qu’ancien travailleur.
B. Une règle de conflit conçue pour les travailleurs en activité
Au-delà de l’interprétation littérale, la Cour justifie sa solution par la finalité même des règles de conflit contenues au titre II du règlement. Elle énonce que la disposition en cause « vise à résoudre des conflits de législation susceptibles de se produire lorsque, au cours d’une même période, le lieu de résidence et celui de l’emploi ne se situent pas dans le même État membre ». Or, la Cour souligne que « de tels conflits ne peuvent plus se produire en ce qui concerne des travailleurs qui ont cessé définitivement toute activité professionnelle ».
Cette approche téléologique confirme que le but du système de coordination est d’éviter les cumuls ou les lacunes de couverture sociale pour les personnes qui se déplacent dans l’Union dans le cadre de leur vie professionnelle. Une fois cette vie professionnelle terminée, la problématique du conflit entre la loi du lieu de travail (*lex loci laboris*) et la loi du lieu de résidence se dissipe. La situation de l’intéressé devient purement résidentielle. Ainsi, la Cour considère logiquement que les règles destinées à arbitrer un tel conflit n’ont plus lieu de s’appliquer.
Cette lecture restrictive a pour conséquence directe de laisser le champ libre à l’application du droit national, faute de règle communautaire applicable.
II. La compétence résiduelle de la législation nationale en l’absence de règle de conflit
En déclarant la règle de conflit communautaire inapplicable, la Cour reconnaît logiquement la validité de la condition de résidence imposée par le droit national (A), ce qui illustre le principe fondamental de la compétence des États membres pour définir les conditions d’affiliation à leurs régimes de sécurité sociale (B).
A. La validité de la condition de résidence pour l’affiliation
La conséquence immédiate du raisonnement de la Cour est que les dispositions de la loi néerlandaise, notamment la condition de résidence pour être affilié à l’assurance vieillesse, redeviennent pleinement applicables. La Cour affirme ainsi que « les conditions de résidence imposées pour l’affiliation au régime de sécurité sociale national peuvent être appliquées dans un cas comme celui de l’espèce ». Elle oppose cette situation à celle où une législation nationale serait écartée en vertu d’une règle de conflit du règlement.
Ce faisant, la Cour rappelle que le règlement n° 1408/71 est un instrument de coordination et non d’harmonisation. Il ne crée pas un régime européen de sécurité sociale, mais organise la coexistence des régimes nationaux. En l’absence de disposition communautaire contraire, une législation nationale qui subordonne l’affiliation à une condition de résidence est parfaitement licite, à condition de ne pas être discriminatoire. En l’espèce, la condition s’appliquait de manière générale et n’était pas fondée sur la nationalité.
B. La confirmation de la compétence des États membres pour définir les conditions d’affiliation
Plus fondamentalement, cet arrêt est l’occasion pour la Cour de rappeler l’un des principes directeurs de la coordination des systèmes de sécurité sociale. Elle réaffirme avec force sa jurisprudence constante selon laquelle « il appartient à la législation de chaque État membre de déterminer les conditions du droit ou de l’obligation de s’affilier à un régime de sécurité sociale ou à telle ou telle branche d’un tel régime ».
Cette solution s’applique également à la troisième question posée par la juridiction de renvoi, qui visait à savoir si la perception d’une prestation de fin d’emploi pouvait conférer la qualité d’assuré obligatoire. La Cour répond qu’il appartient également à la législation nationale de trancher ce point. L’arrêt confirme ainsi que la délimitation du cercle des assurés relève de la compétence exclusive des États membres. Le droit de l’Union intervient uniquement pour coordonner les droits et obligations qui découlent de ces affiliations nationales, une fois qu’elles sont établies. En l’absence de lien d’activité, c’est la situation de résidence qui devient le critère de rattachement principal, tel que défini par le législateur national.