Arrêt de la Cour du 21 juin 1988. – Commission des Communautés européennes contre République italienne. – Exonération de la TVA des importations d’échantillons gratuits de faible valeur – Transposition en droit national de la directive 77/388/CEE. – Affaire 257/86.

Par un arrêt en date du 1er mars 1988, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur un recours en manquement introduit par la Commission à l’encontre d’un État membre. La question soulevée concernait la compatibilité d’une législation nationale en matière de taxe sur la valeur ajoutée avec le droit communautaire, plus spécifiquement en ce qui concerne le traitement fiscal des importations d’échantillons gratuits de faible valeur.

En l’espèce, la législation de l’État membre en cause avait été modifiée, supprimant une disposition qui étendait l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée, applicable aux cessions internes d’échantillons gratuits, aux importations de ces mêmes produits. Face à cette situation, la Commission a engagé une procédure en manquement, estimant que ce régime fiscal différencié était contraire tant à l’article 95 du traité CEE qu’aux dispositions de la sixième directive en matière de TVA. Pour sa défense, l’État membre a soutenu que l’exonération des importations restait possible par l’application de conventions internationales, notamment la convention de Genève de 1952, et par l’effet de la clause de la nation la plus favorisée. Il avançait également que des instructions administratives avaient été prises pour clarifier la situation et que le manquement, s’il existait, ne concernait qu’un nombre très limité de cas.

Il revenait donc à la Cour de déterminer si la législation nationale, combinée à la pratique administrative et aux conventions internationales invoquées, permettait de considérer que l’État membre respectait ses obligations communautaires. Plus précisément, la question était de savoir si une situation juridique complexe et manquant de clarté, même si elle ne produisait qu’un nombre limité d’infractions effectives, pouvait constituer en elle-même un manquement au droit communautaire, notamment au regard du principe de sécurité juridique. La Cour a répondu par l’affirmative, jugeant que l’État membre avait manqué à ses obligations non seulement en n’assurant pas une exonération complète, mais aussi en maintenant une réglementation qui, par son ambiguïté, ne permettait pas aux justiciables de connaître clairement leurs droits et obligations.

L’arrêt permet ainsi de réaffirmer la nécessité d’une transposition complète et effective des directives communautaires (I), tout en consacrant l’exigence fondamentale de clarté de la norme nationale comme une condition essentielle du respect du droit communautaire (II).

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I. La confirmation d’une transposition lacunaire du droit communautaire fiscal

La Cour constate d’abord le manquement de l’État membre sur le plan matériel, en relevant l’insuffisance des justifications avancées pour défendre une législation nationale qui ne garantit pas l’exonération de toutes les importations d’échantillons (A), avant de souligner le caractère inopérant de l’argument tiré de la portée prétendument limitée de l’infraction (B).

A. L’insuffisance des mécanismes de droit international pour assurer la conformité

L’État défendeur prétendait assurer le respect de ses obligations par le biais de conventions internationales et de la clause de la nation la plus favorisée. Il soutenait que ces instruments, combinés à une disposition de sa législation fiscale assurant le maintien des avantages prévus par les traités, permettaient d’exonérer de la TVA la quasi-totalité des importations d’échantillons de faible valeur en provenance des autres États membres et de nombreux pays tiers. La Cour ne retient pas cette argumentation. Elle considère implicitement que le respect d’une obligation claire découlant d’une directive ne peut dépendre d’une construction juridique complexe reposant sur l’articulation de diverses normes de sources différentes.

Le droit communautaire, en l’occurrence l’article 14 de la sixième directive, imposait une règle d’exonération générale et inconditionnelle pour les importations, dès lors que les opérations internes similaires étaient elles-mêmes exonérées. La solution consistant à renvoyer à des conventions externes, dont le champ d’application n’est pas nécessairement identique à celui du droit communautaire, ne constitue pas une transposition correcte. Une telle méthode ne garantit pas que toutes les importations, sans exception, bénéficient du régime d’exonération prévu par la directive. Le raisonnement de la Cour confirme que la transposition d’une directive doit être assurée par des mesures de droit interne présentant un caractère général, et non par une compilation fragmentaire de dispositions issues de l’ordre juridique international.

B. Le rejet de l’argument tiré du caractère résiduel de l’infraction

L’État membre a également tenté de minimiser la portée de son manquement en affirmant que le nombre d’importations restant soumises à la TVA était, en pratique, très faible. La Cour écarte fermement cette défense en se fondant sur une jurisprudence constante. Elle rappelle ainsi que « le fait de l’application à des cas tres rares d’une législation en infraction au droit communautaire ne suffit pas pour faire disparaître cette infraction ».

Cette position de principe est essentielle car elle souligne que l’obligation de transposition des directives est une obligation de résultat qui doit être parfaite et complète. Le respect du droit communautaire ne se mesure pas à l’aune du nombre de cas litigieux, mais à la conformité de la norme nationale elle-même avec les exigences communautaires. Admettre le contraire reviendrait à tolérer des brèches dans l’ordre juridique communautaire au prétexte de leur faible impact pratique, ce qui porterait atteinte à l’uniformité d’application du droit et créerait des discriminations, même marginales. La Cour réaffirme ainsi que toute exception, même minime, à une règle communautaire constitue un manquement en soi, indépendamment de ses conséquences quantitatives.

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II. La consécration de l’exigence de sécurité juridique dans la transposition

Au-delà de l’infraction matérielle, la Cour fonde principalement sa décision sur la violation du principe de sécurité juridique. Elle énonce que la qualité même de la législation nationale est une condition du respect du droit communautaire (A), et sanctionne en conséquence l’ambiguïté du cadre normatif maintenu par l’État membre (B).

A. L’affirmation du principe de clarté et de prévisibilité de la norme

Le cœur de l’arrêt réside dans le rappel d’un principe fondamental de l’ordre juridique communautaire. La Cour énonce de manière solennelle que « les principes de securite juridique et de protection des particuliers exigent que, dans les domaines couverts par le droit communautaire, les regles du droit des etats membres soient formulees de maniere non equivoque qui permette aux personnes concernees de connaitre leurs droits et obligations d’une maniere claire et precise et aux juridictions nationales d’en assurer le respect ». Cette formulation de principe transcende la simple question fiscale pour toucher à l’essence même de la relation entre le droit communautaire et les ordres juridiques nationaux.

L’obligation de transposition ne se limite pas à atteindre le résultat prescrit par la directive, elle impose également que la méthode de transposition garantisse la clarté, la précision et la prévisibilité de la loi. Un justiciable doit pouvoir comprendre, à la seule lecture des textes applicables, l’étendue de ses droits et obligations sans avoir à se livrer à une exégèse juridique complexe. Ce faisant, la Cour protège non seulement les particuliers contre l’arbitraire d’une administration face à une norme obscure, mais garantit également l’effectivité du contrôle juridictionnel par les tribunaux nationaux, qui doivent être en mesure d’appliquer une règle de droit certaine.

B. La sanction d’un cadre réglementaire et administratif ambigu

La Cour applique ce principe à la situation de l’espèce et constate que la réglementation italienne ne remplit pas ces conditions. Loin d’être claire, la situation juridique résultait d’un enchevêtrement de textes. Un décret présidentiel avait supprimé l’exonération, tandis qu’un autre était invoqué pour la maintenir par le biais de conventions internationales. De surcroît, la pratique administrative elle-même était source de confusion, comme en témoignait la succession de résolutions ministérielles et de notes directoriales aux portées parfois contradictoires ou parcellaires, l’une d’elles ne faisant par exemple « allusion qu’aux echantillons medicaux ».

Cette confusion législative et administrative créait une incertitude juridique intolérable. Même en admettant que l’intention du gouvernement était de se conformer au droit communautaire, le maintien en vigueur d’un texte de loi formellement contraire à la directive, tout en s’appuyant sur des circulaires administratives pour en corriger les effets, est précisément la méthode que la Cour réprouve. Une simple pratique administrative, par nature précaire et non publiée, ne peut remédier à une législation non conforme. Cet arrêt a donc une portée considérable en ce qu’il établit clairement qu’un État membre manque à ses obligations non seulement lorsqu’il viole le droit communautaire, mais aussi lorsqu’il le fait par le biais d’une législation qui, par son manque de clarté, entretient une insécurité juridique.

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