Arrêt de la Cour du 21 novembre 1991. – Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon contre République française. – Demande de décision préjudicielle: Conseil d’Etat – France. – Aide accordée par l’Etat – Interprétation de l’article 93, par. 3, dernière phrase du traité – Défense de mettre à exécution les mesures projetées. – Affaire C-354/90.

Par un arrêt du 3 octobre 1991, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une question préjudicielle par la juridiction administrative suprême d’un État membre, a précisé l’étendue des obligations découlant de l’article 93, paragraphe 3, du traité CEE en matière d’aides d’État. En l’espèce, des groupements professionnels du secteur des produits alimentaires contestaient la légalité d’un arrêté interministériel qui fixait le taux de taxes parafiscales destinées à financer des interventions en faveur du secteur de la pêche maritime. Ces entités requérantes soutenaient que l’adoption de cet acte réglementaire méconnaissait les dispositions du droit communautaire. Les autorités nationales avaient en effet institué le régime d’aide sans attendre la décision finale de la Commission, bien que cette dernière eût déjà ouvert une procédure d’examen au titre de l’article 93, paragraphe 2, du traité. Saisie du litige, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur le point de savoir si la violation de l’obligation de ne pas mettre à exécution une mesure d’aide avant la décision de la Commission affectait la validité de l’acte national d’exécution. Elle demandait également de préciser l’incidence d’une éventuelle décision ultérieure de la Commission déclarant l’aide compatible avec le marché commun. La Cour de justice affirme que le non-respect de l’interdiction de mise à exécution prévue à la dernière phrase de l’article 93, paragraphe 3, du traité affecte la validité des actes nationaux qui en assurent la mise en œuvre. Elle ajoute qu’une décision finale de la Commission déclarant l’aide compatible avec le marché commun ne saurait régulariser a posteriori de tels actes invalides.

Cet arrêt consacre ainsi avec force la sanction attachée à la violation de l’obligation de standstill qui pèse sur les États membres (I), tout en opérant une clarification essentielle de la répartition des compétences entre la Commission et les juridictions nationales dans le contrôle des aides d’État (II).

I. La consécration de la sanction de l’illégalité des aides d’État mises à exécution prématurément

La Cour établit que le non-respect par un État membre de ses obligations procédurales entraîne l’invalidité des mesures nationales d’exécution (A) et précise qu’une décision ultérieure de la Commission ne peut effacer cette illégalité originelle (B).

A. L’effet direct de l’obligation de standstill et l’invalidité des actes nationaux d’exécution

La Cour réaffirme d’abord le principe selon lequel l’interdiction de mettre à exécution une aide d’État avant son approbation par la Commission revêt un effet direct. Elle rappelle sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt du 11 décembre 1973, Lorenz, qui a reconnu que « le caractère immédiatement applicable de l’interdiction de mise à exécution visée par cet article s’étend à toute aide qui aurait été mise à exécution sans être notifiée ». Ce faisant, la Cour confère aux justiciables le droit de se prévaloir de cette disposition devant leurs juridictions nationales pour contester une mesure d’aide illégalement mise en œuvre.

La conséquence de cet effet direct est ensuite tirée avec une clarté particulière. La Cour juge que « la validité des actes comportant mise à exécution de mesures d’aide est affectée par la méconnaissance, de la part des autorités nationales, de la dernière phrase du paragraphe 3 de l’article 93 du traité ». Il incombe dès lors aux juridictions nationales de garantir la sauvegarde des droits des justiciables en tirant toutes les conséquences de cette illégalité, conformément à leur droit interne, que ce soit en termes de validité des actes, de recouvrement des aides versées ou de mesures provisoires.

B. Le refus de toute régularisation a posteriori par la Commission

La Cour examine ensuite l’argument selon lequel une décision finale de la Commission déclarant une aide compatible avec le marché commun pourrait valider rétroactivement les actes nationaux pris en violation de la procédure. Elle rejette catégoriquement cette thèse, considérant qu’une telle solution porterait atteinte à l’effet direct de la disposition et aux droits des justiciables. Pour la Cour, la décision de la Commission « n’a pas pour conséquence de régulariser, a posteriori, les actes d’exécution qui étaient invalides du fait qu’ils avaient été pris en méconnaissance de l’interdiction visée par cet article ».

Cette solution est justifiée par la nécessité de préserver l’effet utile de l’article 93, paragraphe 3. En effet, admettre une régularisation a posteriori « conduirait à favoriser l’inobservation, par l’État membre concerné, du paragraphe 3, dernière phrase, de cet article et le priverait de son effet utile ». La Cour envoie ainsi un signal fort aux États membres en les privant de tout intérêt à anticiper la décision de la Commission, même s’ils estiment leur projet d’aide parfaitement compatible avec le droit communautaire. L’illégalité qui découle de la seule violation de la procédure est définitive.

Au-delà de la sanction de la violation procédurale, la Cour saisit l’occasion de cette décision pour préciser l’articulation des rôles respectifs de la Commission et des juges nationaux.

II. La clarification de la répartition des compétences entre la Commission et les juridictions nationales

L’arrêt organise une coexistence fonctionnelle entre la compétence exclusive de la Commission pour apprécier la compatibilité matérielle d’une aide (A) et la mission des juridictions nationales de garantir le respect des règles procédurales (B).

A. Le rôle exclusif de la Commission dans l’appréciation de la compatibilité des aides

La Cour prend soin de souligner la distinction fondamentale entre le contrôle de la compatibilité de l’aide et celui du respect de la procédure. Elle rappelle que « le rôle central et exclusif réservé par les articles 92 et 93 du traité à la Commission pour la reconnaissance de l’incompatibilité éventuelle d’une aide avec le marché commun est fondamentalement différent de celui qui incombe aux juridictions nationales ». Seule la Commission, sous le contrôle de la Cour de justice, peut se prononcer sur le fond, c’est-à-dire déterminer si une aide d’État fausse ou menace de fausser la concurrence et affecte les échanges entre États membres.

Même lorsque la Commission constate une violation de l’obligation de notification, elle ne peut déclarer une aide illégale pour ce seul motif sans examiner sa compatibilité avec le marché commun. La juridiction nationale, quant à elle, ne peut jamais se substituer à la Commission pour procéder à cet examen de compatibilité. Son office s’arrête à la constatation de la violation procédurale et à la sanction de cette violation, sans préjudice de l’appréciation finale qui sera portée sur le fond par la Commission.

B. La mission des juridictions nationales en tant que gardiennes des droits des justiciables

Le rôle du juge national est défini de manière complémentaire. Il est le gardien des droits que les justiciables tirent de l’effet direct de la clause de standstill. Sa mission est de « sauvegarder, jusqu’à la décision finale de la Commission, les droits des justiciables face à une méconnaissance éventuelle, par les autorités étatiques, de l’interdiction visée à l’article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité ». Lorsqu’un juge national constate qu’une aide a été mise en œuvre illégalement, il doit prendre toutes les mesures nécessaires pour remédier à cette situation.

Ces mesures, qui relèvent du droit national de chaque État membre, peuvent inclure l’annulation des actes administratifs mettant l’aide en œuvre, l’injonction de suspendre le versement de l’aide, ou encore l’ordre de récupérer les sommes déjà versées avec intérêts. En agissant ainsi, la juridiction nationale ne se prononce pas sur la compatibilité de l’aide, mais assure simplement le respect de la discipline procédurale imposée par le traité et protège les concurrents de l’entreprise bénéficiaire contre les effets d’une aide illégalement octroyée.

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Hassan KOHEN
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