Arrêt de la Cour du 21 septembre 1999. – Markku Juhani Läärä, Cotswold Microsystems Ltd et Oy Transatlantic Software Ltd contre Kihlakunnansyyttäjä (Jyväskylä) et Suomen valtio (Etat finlandais). – Demande de décision préjudicielle: Vaasan hovioikeus – Finlande. – Libre prestation des services – Droits exclusifs d’exploitation – Machines à sous. – Affaire C-124/97.

Par un arrêt du 21 septembre 1999, la Cour de justice des Communautés européennes a interprété les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services dans le contexte d’une législation nationale sur les jeux de hasard. En l’espèce, un opérateur économique avait été poursuivi en Finlande pour avoir exploité des machines à sous sans autorisation. La législation nationale en vigueur réservait le droit d’exploiter de tels appareils à un organisme public unique, titulaire d’une autorisation exclusive délivrée par l’administration. L’opérateur, qui agissait pour le compte d’une société établie dans un autre État membre, soutenait que cette restriction était contraire aux règles communautaires. Condamné en première instance, il interjeta appel. La juridiction d’appel décida de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si les articles 49 et 50 du traité CE (anciennement 59 et 60) devaient être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui instaure un monopole public pour l’exploitation des machines à sous. La Cour de justice a estimé qu’une telle législation, bien que constitutive d’une entrave à la libre prestation des services, pouvait être justifiée par des motifs d’intérêt général. Cette solution s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence antérieure tout en précisant les conditions de sa mise en œuvre (I), consacrant ainsi une approche qui privilégie les prérogatives des États membres dans des secteurs jugés sensibles (II).

I. La confirmation d’une dérogation justifiée à la libre prestation de services

La Cour reconnaît d’abord que le monopole national constitue une restriction à l’une des libertés fondamentales du traité, mais admet sa justification au regard des objectifs poursuivis. Pour ce faire, elle étend le raisonnement appliqué précédemment aux loteries à l’ensemble des jeux d’argent (A), avant de valider la proportionnalité du système de droit exclusif retenu par l’État membre (B).

A. L’assimilation des machines à sous aux jeux de hasard et d’argent

La Cour écarte d’emblée les arguments des requérants visant à distinguer les machines en cause des loteries, en raison de la prétendue influence de l’habileté du joueur ou de la modicité des gains. Elle considère que l’exploitation de machines à sous, offrant contre rémunération une espérance de gain en argent, relève bien de la catégorie des jeux d’argent. Elle se réfère explicitement à sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt *Schindler*, pour affirmer que les considérations d’ordre moral, religieux ou culturel et les risques de fraude et de délit justifient une approche spécifique. La Cour estime que « les considérations valent également, ainsi qu’il ressort d’ailleurs des termes mêmes du point 60 de cet arrêt, pour les autres jeux d’argent qui présentent des caractéristiques comparables. »

Cette qualification permet de soumettre l’activité au même régime que les loteries. En conséquence, l’instauration d’un monopole national qui empêche des opérateurs établis dans d’autres États membres de fournir leurs services constitue une restriction à la libre prestation des services. La Cour constate qu’une telle législation, « en ce qu’elle empêche les opérateurs des autres États membres, directement ou indirectement, de mettre eux-mêmes des machines à sous à la disposition du public en vue de leur utilisation contre rémunération, constitue une entrave à la libre prestation des services. » La question se déplace alors sur le terrain des justifications possibles.

B. L’admission d’un monopole national au nom de l’intérêt général

La Cour de justice examine si l’entrave constatée peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. Le gouvernement finlandais invoquait la nécessité de limiter l’exploitation de la passion du jeu, d’éviter les risques de fraude et de délit, et de n’autoriser ces activités qu’à des fins de bienfaisance. La Cour admet que « ces motifs doivent être considérés dans leur ensemble » et qu’ils se rattachent à la protection des consommateurs et de l’ordre social, objectifs déjà reconnus comme des raisons impérieuses d’intérêt général.

Restait à apprécier la proportionnalité de la mesure. Contrairement à l’affaire *Schindler* où il s’agissait d’une interdiction, la législation finlandaise organisait une exploitation contrôlée. La Cour juge que ce choix relève du pouvoir d’appréciation des autorités nationales. Elle considère qu’une autorisation limitée dans un cadre exclusif est une mesure apte à atteindre les objectifs visés, car elle permet de « canaliser l’envie de jouer et l’exploitation des jeux dans un circuit contrôlé, de prévenir les risques d’une telle exploitation à des fins frauduleuses et criminelles et d’utiliser les bénéfices qui en découlent à des fins d’utilité publique ». Le monopole confié à un organisme de droit public dont les activités sont sous contrôle étatique et dont les bénéfices sont reversés à des causes d’intérêt général n’apparaît donc pas disproportionné.

II. La portée d’une solution protectrice de la souveraineté étatique

En validant le monopole finlandais, la Cour de justice ne se contente pas de régler un cas d’espèce. Elle consacre une large marge d’appréciation pour les États membres en matière de jeux d’argent (A), ce qui témoigne d’une approche pragmatique qui tempère la logique du marché unique dans les domaines socioculturels sensibles (B).

A. La consécration d’une large marge d’appréciation pour les États membres

L’apport principal de l’arrêt réside dans la confirmation du pouvoir souverain des États de déterminer le niveau de protection qu’ils entendent assurer sur leur territoire. La Cour affirme que la simple existence d’un modèle de régulation différent dans un autre État membre n’est pas pertinente pour juger de la proportionnalité des mesures nationales. Elle précise que « la seule circonstance qu’un État membre a choisi un système de protection différent de celui adopté par un autre État membre ne saurait avoir d’incidence sur l’appréciation de la nécessité et de la proportionnalité des dispositions prises en la matière. »

Cette position signifie que les mesures nationales doivent être évaluées uniquement au regard des objectifs poursuivis par l’État qui les adopte et du niveau de protection qu’il vise. En d’autres termes, il n’existe pas de modèle européen unique de régulation des jeux d’argent. Chaque État membre peut légitimement interdire totalement, restreindre fortement ou simplement encadrer ces activités, à condition que les mesures prises soient non discriminatoires et proportionnées aux buts de protection de l’ordre social et des consommateurs. Cette approche renforce considérablement les prérogatives nationales face aux pressions en faveur d’une libéralisation du secteur.

B. Une approche pragmatique au détriment d’une application littérale du marché unique

En validant un système de monopole, la Cour privilégie une solution réaliste qui reconnaît les « particularités socioculturelles » de chaque État membre. Elle aurait pu considérer, comme le suggéraient les requérants, que des mesures moins restrictives, telles qu’un système d’agrément ouvert à tous les opérateurs respectant un cahier des charges strict, auraient pu atteindre les mêmes objectifs. Cependant, la Cour estime que le choix d’un monopole public est une option légitime pour assurer un contrôle plus efficace et garantir que les profits ne servent pas des intérêts privés, mais sont affectés à l’utilité publique.

Cette jurisprudence établit que le secteur des jeux de hasard et d’argent n’est pas un service économique comme les autres. Les risques inhérents à cette activité justifient que la logique du marché unique soit mise en balance avec les impératifs de protection de l’ordre social. L’arrêt démontre que, tant que les mesures nationales ne sont pas ouvertement protectionnistes ou discriminatoires, la Cour se montre réticente à remettre en cause les choix politiques des États membres dans des domaines où des considérations morales et sociales prédominent. La libre prestation des services trouve ainsi une limite claire dans la volonté des États de maîtriser un secteur jugé potentiellement dangereux pour la société.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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