Par un arrêt du 17 février 1993, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur la légalité d’une décision de la Commission relative à l’apurement des comptes au titre des dépenses financées par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole. La Commission avait refusé de prendre en charge certaines dépenses déclarées par un État membre pour l’exercice financier 1988, estimant que les conditions fixées par la réglementation communautaire n’avaient pas été respectées. Les refus concernaient notamment des restitutions à l’exportation et des restitutions à la production dans divers secteurs agricoles.
Saisi par l’État membre concerné d’un recours en annulation de cette décision, le litige a été circonscrit, après désistements partiels et accord sur certains points, à plusieurs questions de principe. Il s’agissait de déterminer si des restitutions à l’exportation pouvaient être légalement octroyées lorsque la déclaration n’avait été présentée aux autorités douanières qu’après la sortie physique des marchandises du territoire communautaire. Se posait également la question de savoir si les opérateurs économiques disposaient d’un choix quant à la date d’acceptation de leur déclaration d’exportation, date qui détermine le taux de restitution applicable. Enfin, la Cour était interrogée sur la conformité d’une procédure nationale de contrôle des restitutions à la production qui, par sa conception, rendait impossible tout contrôle physique sur les marchandises avant leur transformation.
À ces questions, la Cour de justice a apporté une réponse négative, rejetant le recours dans son intégralité. Elle a confirmé que le respect des formalités prévues par le droit communautaire, notamment en matière de déclaration et de contrôle, constituait une condition impérative pour la prise en charge des dépenses par le budget communautaire. La solution retenue par la Cour témoigne d’une application rigoureuse des conditions d’octroi des aides communautaires, tant sur le plan du formalisme attaché aux déclarations d’exportation (I) que sur celui des exigences de contrôle des restitutions à la production (II).
***
I. Le formalisme rigoureux encadrant l’octroi des restitutions à l’exportation
La Cour rappelle avec fermeté que le bénéfice des restitutions à l’exportation est subordonné au respect scrupuleux des procédures déclaratives. Elle insiste sur l’exigence d’une déclaration écrite et préalable au départ des marchandises (A) et sur l’absence de pouvoir discrétionnaire des opérateurs quant au moment de l’acceptation de cette déclaration (B).
A. L’exigence d’une déclaration d’exportation écrite et préalable
L’État membre requérant contestait le refus de la Commission de financer des restitutions pour des exportations dont les déclarations n’avaient été introduites qu’après la sortie des produits du territoire douanier. Il soutenait que les services douaniers avaient été informés en temps utile, rendant la formalité déclarative postérieure sans conséquence. La Cour écarte cet argument en se fondant sur une interprétation stricte des textes applicables. Elle juge qu’« une déclaration d’exportation doit être effectuée par écrit, afin notamment de vérifier que les indications données par l’exportateur correspondent aux marchandises présentées en vue d’être exportées ».
Le raisonnement de la Cour établit que le caractère écrit de la déclaration n’est pas une simple formalité administrative, mais un instrument essentiel de contrôle permettant de garantir la concordance entre les produits déclarés et ceux qui quittent effectivement le territoire. La Cour en déduit logiquement que « si la déclaration peut être remise avant la présentation des marchandises, elle ne peut l’être après que celles-ci aient quitté le territoire douanier ». Cette solution réaffirme la primauté de la procédure écrite et préalable, seule à même de permettre aux autorités nationales d’exercer leur mission de contrôle et d’assurer la bonne gestion des deniers communautaires. L’argument selon lequel les produits provenaient de stocks d’intervention, et donc déjà connus des autorités, est jugé inopérant, le droit communautaire ne prévoyant aucune dérogation à ce titre.
B. Le caractère non discrétionnaire de la date d’acceptation de la déclaration
La Cour se prononce ensuite sur la pratique de l’administration nationale qui laissait aux opérateurs le choix de la date d’acceptation de la déclaration, leur permettant ainsi d’opter pour le taux de restitution le plus favorable. L’État membre soutenait que la réglementation communautaire ne précisait pas le moment exact où l’acceptation devait intervenir. La Cour rejette cette thèse en procédant à une lecture combinée des dispositions de la directive 81/177. Elle souligne que l’acceptation est conditionnée par la présentation d’une déclaration complète et la mise à disposition des marchandises pour contrôle.
Dès lors que ces deux conditions sont remplies, « l’acceptation de la déclaration doit cependant intervenir immédiatement après que cette déclaration ait été vérifiée du point de vue de la forme, du contenu et de sa concordance avec les marchandises destinées à l’exportation ». La Cour prive ainsi les opérateurs et les administrations nationales de toute marge de manœuvre quant au choix de la date d’acceptation. Cette dernière n’est pas un acte discrétionnaire mais la conséquence automatique de l’accomplissement des vérifications requises. En agissant de la sorte, la Cour empêche toute forme d’optimisation de la part des exportateurs qui serait contraire à l’esprit du régime des restitutions et susceptible de créer des distorsions de concurrence entre les opérateurs des différents États membres.
II. Le cadre strict du contrôle des restitutions à la production
La même rigueur est appliquée par la Cour à l’examen des systèmes de contrôle mis en place pour les restitutions à la production. Elle affirme l’obligation pour les États membres de prévoir la possibilité d’un contrôle physique (A) et rappelle la prééminence des mesures de contrôle spécifiquement prévues par la réglementation sur l’appréciation nationale de leur efficacité (B).
A. La nécessaire possibilité d’un contrôle physique des marchandises
La Commission reprochait à l’État membre d’avoir mis en place une procédure administrative qui rendait impossible tout contrôle physique des produits de base (amidon et sucre) avant leur transformation. En effet, la demande de restitution ne pouvait être introduite qu’après cette transformation. L’État membre arguait que les règlements applicables n’imposaient pas de contrôle physique précis et qu’une surveillance administrative était suffisante. La Cour, tout en reconnaissant que des contrôles physiques permanents ne sont pas exigés, précise la portée des obligations des États membres.
Elle juge que « si ces dispositions n’exigent pas que dans la procédure administrative en question des contrôles physiques soient effectués en permanence, celle-ci doit néanmoins être conçue de manière à permettre un tel contrôle ». La Cour ne condamne donc pas le recours à des contrôles administratifs, mais elle exige que la procédure nationale n’exclue pas par principe la possibilité de recourir à des vérifications matérielles lorsque celles-ci sont jugées nécessaires. La marge d’appréciation laissée aux États membres dans l’organisation de leurs contrôles trouve ainsi sa limite dans l’obligation de garantir l’effectivité de tous les outils de vérification prévus par le droit communautaire. Une procédure qui, par sa structure même, anéantit la possibilité d’un tel contrôle est donc non conforme.
B. La prééminence des mesures de contrôle spécifiques sur l’appréciation nationale
Enfin, l’État membre avançait que le système des contrôles physiques était susceptible d’entraver l’activité industrielle et qu’un autre système pouvait être plus efficace. La Cour balaie cet argument d’opportunité en se référant à sa jurisprudence constante. Elle rappelle que « lorsqu’un règlement institue des mesures spécifiques de contrôle, les États membres sont tenus de les appliquer sans qu’il soit nécessaire d’apprécier le bien-fondé de leur thèse selon laquelle un système de contrôle différent serait plus efficace ».
Cette affirmation consacre la primauté de la règle de droit communautaire sur les appréciations nationales relatives à l’efficacité ou à l’opportunité des mesures qu’elle édicte. En refusant d’entrer dans un débat sur les mérites comparés des différents systèmes de contrôle, la Cour réaffirme que les États membres ne sauraient se substituer au législateur communautaire. Ils ont une obligation d’application et de résultat qui exclut toute dérogation fondée sur des considérations pratiques ou économiques nationales. Cet arrêt constitue un rappel classique mais fondamental du principe de l’application uniforme du droit communautaire, essentiel à l’intégrité financière et au bon fonctionnement des politiques communes.