Arrêt de la Cour du 22 novembre 2001. – Royaume des Pays-Bas contre Conseil de l’Union européenne. – Régime d’association des pays et territoires d’outre-mer – Importation de riz originaire des pays et territoires d’outre-mer – Mesures de sauvegarde – Règlement (CE) nº 304/97 – Recours en annulation. – Affaire C-110/97.

Par un arrêt rendu en assemblée plénière, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur la légalité d’un règlement du Conseil instaurant des mesures de sauvegarde à l’importation de riz originaire des pays et territoires d’outre-mer. En l’espèce, le régime d’association liant ces pays et territoires à la Communauté prévoyait une exemption de droits de douane pour les produits qui en sont originaires. Une augmentation significative des importations de riz, rendue possible par des opérations de transformation conférant l’origine d’un pays ou territoire d’outre-mer à du riz provenant de pays tiers, a conduit les institutions communautaires à percevoir un risque de perturbation grave du marché intérieur du riz. En conséquence, le Conseil a adopté un règlement instaurant un contingent tarifaire pour une période de quatre mois, limitant ainsi les volumes de riz pouvant être importés en franchise de droits.

Un État membre, dont l’un des territoires d’outre-mer était particulièrement concerné par cette mesure, a saisi la Cour de justice d’un recours en annulation contre ce règlement. Il soutenait principalement que les conditions d’application de la clause de sauvegarde n’étaient pas réunies, que la mesure était disproportionnée et qu’elle constituait un détournement de pouvoir. Le Conseil, soutenu par plusieurs autres États membres et par la Commission, a conclu au rejet du recours, défendant la légalité de son action au regard des objectifs de la politique agricole commune. La question juridique soumise à la Cour portait donc sur l’étendue du pouvoir des institutions communautaires de restreindre les avantages commerciaux accordés aux pays et territoires d’outre-mer afin de préserver la stabilité d’un marché agricole commun.

La Cour de justice rejette le recours dans son intégralité. Elle juge que le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour arbitrer entre les objectifs de la politique d’association et ceux de la politique agricole commune. Ce faisant, il peut être conduit à réduire les avantages préférentiels accordés aux pays et territoires d’outre-mer. Le contrôle juridictionnel exercé par la Cour se limite en conséquence à vérifier l’absence d’erreur manifeste d’appréciation, de détournement de pouvoir ou d’excès manifeste des limites de ce pouvoir d’appréciation. En l’occurrence, la Cour estime que le Conseil n’a pas commis d’erreur manifeste en considérant que l’augmentation des importations à bas prix justifiait l’adoption de mesures de sauvegarde, lesquelles ont été jugées proportionnées à l’objectif poursuivi.

L’arrêt consacre la primauté relative des impératifs de la politique agricole commune sur les engagements pris dans le cadre de la politique d’association, en reconnaissant aux institutions un pouvoir d’arbitrage étendu (I). Cette approche conduit la Cour à valider la légalité de la mesure de sauvegarde contestée, tant sur le fondement de son opportunité que sur le respect des principes généraux du droit communautaire (II).

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I. L’affirmation d’un large pouvoir d’appréciation du Conseil dans l’arbitrage entre politiques concurrentes

La Cour de justice établit clairement que les objectifs de l’association avec les pays et territoires d’outre-mer ne sont pas absolus et peuvent être mis en balance avec d’autres objectifs du traité, conférant ainsi une prééminence fonctionnelle à la politique agricole commune (A). En conséquence logique de ce pouvoir d’arbitrage, le contrôle exercé par le juge communautaire sur les choix politiques de l’institution se trouve strictement encadré (B).

A. La subordination des objectifs de l’association aux exigences de la politique agricole commune

L’arrêt rappelle que le régime d’association avec les pays et territoires d’outre-mer a pour but de promouvoir leur développement économique et social, notamment par une exemption douanière à l’importation dans la Communauté. Toutefois, la Cour précise que le Conseil, lorsqu’il légifère sur la base de l’article 136 du traité, « doit tenir compte non seulement des principes figurant dans la quatrième partie du traité, mais aussi des autres principes du droit communautaire, y compris ceux qui se rapportent à la politique agricole commune ». Cette affirmation est déterminante, car elle place sur un même plan normatif des objectifs à première vue divergents : le développement des pays et territoires associés et la stabilité des marchés agricoles de l’Union.

En effectuant cette mise en balance, le Conseil peut légitimement prendre des mesures qui limitent les avantages commerciaux dont bénéficient les pays et territoires d’outre-mer. La Cour reconnaît explicitement qu’il « peut être amené, en cas de nécessité, à diminuer certains avantages précédemment octroyés aux ptom ». Cette solution signifie que le régime préférentiel n’est pas un droit acquis intangible, mais une facilité conditionnée au respect des équilibres fondamentaux des politiques communes. L’augmentation des échanges, bien qu’étant un but de l’association, ne saurait donc justifier des perturbations économiques au sein de la Communauté sans que celle-ci puisse y réagir. La protection du marché agricole devient ainsi une justification légitime pour déroger au principe de libre importation.

B. L’instauration d’un contrôle juridictionnel restreint

Conséquence directe de l’ampleur des responsabilités politiques conférées au Conseil, la Cour de justice délimite strictement son propre contrôle. Elle juge que les institutions disposent « d’un large pouvoir d’appréciation pour l’application de l’article 109 de la décision 91/482 », qui autorise les mesures de sauvegarde. Face à un tel pouvoir, qui implique de réaliser des arbitrages complexes entre des intérêts divergents, le juge communautaire doit se limiter « à examiner si l’exercice de ce pouvoir n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou encore si les institutions communautaires n’ont pas manifestement dépassé les limites de leur pouvoir d’appréciation ».

Ce contrôle restreint s’applique non seulement à l’opportunité de prendre des mesures, mais également à la constatation des faits qui les justifient. La Cour n’entend pas substituer sa propre analyse économique à celle du Conseil, dès lors que cette dernière n’apparaît pas manifestement déraisonnable. En validant l’approche du Conseil fondée sur « l’effet conjugué des quantités importées et des niveaux de prix pratiqués », la Cour accepte que des indices sérieux de perturbation suffisent pour déclencher la clause de sauvegarde. Cette retenue jurisprudentielle renforce la position du Conseil en tant qu’acteur politique central, chargé de concilier les finalités parfois contradictoires inscrites dans les traités.

II. La validation de la mesure de sauvegarde au regard des principes de proportionnalité et de détournement de pouvoir

Après avoir posé le principe du large pouvoir d’appréciation du Conseil, la Cour l’applique concrètement pour examiner la légalité de la mesure contestée. Elle conclut que l’analyse du Conseil concernant le risque de perturbation du marché n’était pas manifestement erronée (A) et que la mesure choisie, un contingent tarifaire, respectait les exigences de proportionnalité et n’était pas entachée de détournement de pouvoir (B).

A. La justification de la mesure par un risque de perturbation grave du marché

L’État membre requérant contestait l’analyse factuelle du Conseil, arguant que le déficit structurel de la Communauté en riz indica excluait toute perturbation liée aux importations. La Cour rejette cette argumentation en se fondant sur les données produites, qui montraient une augmentation très rapide des importations de riz originaire des pays et territoires d’outre-mer, celles-ci ayant triplé en quatre campagnes. De plus, elle prend en compte l’objectif de la politique agricole commune visant à encourager la reconversion de la production communautaire vers le riz indica. Permettre aux importations associées de couvrir l’intégralité de la demande communautaire aurait compromis cet effort de reconversion.

La Cour valide également la méthode de comparaison des prix, estimant qu’il n’était pas erroné de comparer les prix du riz semi-blanchi importé avec un prix équivalent pour le riz communautaire, ce stade correspondant à celui où la concurrence s’exerce. La constatation d’une baisse brutale des prix sur le marché communautaire, concomitante à la hausse des importations, a été jugée comme un indice sérieux suffisant pour établir un lien de causalité. Ainsi, le Conseil n’a pas commis d’« erreur manifeste d’appréciation » en concluant à l’existence d’un risque de perturbation justifiant son intervention.

B. Le rejet des griefs tirés de la disproportion et du détournement de pouvoir

L’État requérant soutenait qu’une mesure moins contraignante, telle qu’un prix minimal à l’importation, aurait dû être préférée. La Cour répond en rappelant le critère du principe de proportionnalité : les moyens mis en œuvre doivent être aptes à réaliser l’objectif visé sans aller au-delà de ce qui est nécessaire. Elle juge que le contingent tarifaire était une mesure adaptée, car il ne visait qu’à « maintenir les importations […] dans des limites compatibles avec l’équilibre du marché communautaire ». La mesure était limitée dans le temps, partielle et n’interdisait pas les importations au-delà du contingent, celles-ci restant possibles moyennant le paiement des droits de douane. La Cour refuse de substituer son jugement à celui du Conseil sur le choix de l’instrument le plus approprié.

Enfin, le moyen tiré du détournement de pouvoir est également écarté. Pour qu’un tel grief soit retenu, il faut prouver que l’acte a été pris dans un but « exclusif, ou à tout le moins déterminant », autre que celui affiché. Or, la Cour estime que rien ne permettait d’affirmer que le Conseil poursuivait un autre objectif que celui de remédier aux perturbations du marché. Le recours au mécanisme de sauvegarde était précisément prévu par les textes pour de telles circonstances, et le Conseil n’était pas tenu d’utiliser la procédure plus lourde de modification de la décision d’association elle-même pour atteindre son objectif de stabilisation.

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