L’obligation de transposition des directives constitue une pierre angulaire du droit de l’Union européenne, assurant l’effectivité et l’uniformité de son application au sein des États membres. Par un arrêt du 16 mars 1994, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer sur les contours du recours en manquement intenté par la Commission à l’encontre d’un État membre n’ayant pas pris les dispositions nationales nécessaires à la mise en œuvre d’une directive relative aux procédures de contrôle dans le domaine des transports par route.
En l’espèce, une directive du Conseil du 23 novembre 1988 imposait aux États membres de mettre en vigueur les mesures de transposition nécessaires au plus tard le 1er janvier 1989 et de communiquer ces dispositions à la Commission. Constatant qu’un État membre n’avait pas procédé à cette transposition dans le délai imparti, la Commission a introduit un recours en manquement sur le fondement de l’article 169 du traité CEE. La requérante demandait à la Cour de constater un double manquement : d’une part, le défaut de mise en vigueur des dispositions nécessaires à la mise en œuvre de la directive et, d’autre part, le défaut de communication de ces mêmes dispositions. L’État membre défendeur, sans contester l’absence de transposition dans les délais, a simplement fait valoir qu’un acte réglementaire était en cours d’adoption pour remédier à la situation.
Il revenait ainsi à la Cour de justice de déterminer si le manquement d’un État à son obligation de transposer une directive constituait l’unique grief pouvant être retenu ou si l’absence de communication des mesures de transposition, conséquence directe de leur inexistence, pouvait fonder un chef de manquement distinct et autonome.
La Cour de justice constate le manquement de l’État membre à ses obligations pour ne pas avoir adopté les dispositions requises dans le délai prescrit. Elle écarte cependant le second grief soulevé par la Commission, considérant qu’il ne peut être reproché à l’État membre de ne pas avoir communiqué des mesures qu’il n’a, précisément, pas adoptées. La solution, si elle réaffirme avec fermeté l’exigence de transposition des directives (I), apporte une précision utile quant à l’articulation des griefs dans le cadre du contentieux en manquement (II).
I. La consécration orthodoxe du manquement à l’obligation de transposition
La décision de la Cour repose sur une application rigoureuse et classique des obligations découlant du traité, en établissant le manquement sur une base purement objective (A) et en rappelant la force contraignante attachée à l’instrument de la directive (B).
A. Une constatation objective du manquement
La Cour de justice opère un contrôle qui se limite à une simple vérification matérielle. Elle relève que la date butoir pour la transposition de la directive est échue et que l’État membre n’a pas adopté les mesures nationales d’exécution. Cette seule constatation suffit à caractériser la violation des obligations communautaires. L’argument de l’État défendeur, selon lequel un projet de réglementation serait sur le point d’aboutir, est jugé inopérant. La jurisprudence constante de la Cour considère en effet que des difficultés d’ordre interne ou des démarches administratives en cours ne sauraient justifier le non-respect des délais fixés par une directive.
Le raisonnement de la Cour est lapidaire et ne laisse place à aucune appréciation subjective des motifs de l’inaction étatique. Comme elle le formule, « Dès lors que la transposition n’a pas été effectuée dans le délai imparti, il y a lieu de constater que le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité. » Cette approche formaliste garantit la sécurité juridique et l’application stricte du droit de l’Union, en signifiant aux États membres que seule l’adoption effective et complète des mesures de transposition avant l’expiration du délai est libératoire.
B. La portée de l’obligation de transposition issue du traité
En sanctionnant l’État membre, la Cour ne fait que tirer les conséquences des dispositions du traité CEE, en particulier de son article 189, qui définit la directive comme un acte liant tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre. Le résultat visé par la directive de 1988 était l’instauration de procédures uniformes de contrôle dans le secteur des transports. L’absence de transposition fait obstacle à la réalisation de cet objectif et crée une rupture dans l’harmonisation recherchée au niveau communautaire.
Le manquement constaté ne constitue pas seulement une violation de la directive elle-même, mais aussi une méconnaissance de l’obligation de coopération loyale énoncée à l’article 5 du traité. En s’abstenant de prendre les mesures nécessaires, l’État membre compromet l’effet utile du droit de l’Union. L’arrêt, par sa motivation sobre, réaffirme ainsi un principe fondamental de l’ordre juridique communautaire : les États ne disposent d’aucune marge d’appréciation quant au respect des délais de transposition, dont le caractère impératif est la condition même de l’effectivité de l’action de l’Union.
Si la constatation du manquement principal ne présentait guère de surprise, la position de la Cour sur le second grief soulevé par la Commission est plus éclairante, car elle conduit à rationaliser l’objet même du recours en manquement.
II. Le rejet pragmatique du grief autonome tiré du défaut de communication
La Cour de justice refuse de constater un manquement additionnel pour défaut de communication, jugeant un tel grief superfétatoire en l’absence de mesures à communiquer (A), ce qui a pour effet de clarifier la portée des obligations pesant sur les États dans le cadre du contentieux de la transposition (B).
A. L’inopportunité d’un manquement superfétatoire
La Commission avait choisi de distinguer deux manquements : le premier, matériel, tenant à l’absence de transposition ; le second, formel, tenant à l’absence de notification des mesures. La Cour rejette cette construction en adoptant une approche empreinte de logique et de pragmatisme. Elle suit en cela les conclusions de son avocat général et estime qu’un État ne peut logiquement être condamné pour ne pas avoir communiqué des dispositions qui n’existent pas. Le manquement à l’obligation de communication est absorbé par le manquement, plus fondamental, à l’obligation de transposition.
La Cour précise ainsi que, dans une telle situation, elle « n’a pas à tenir compte du défaut de communication des dispositions législatives, réglementaires et administratives qui auraient dû être prises pour se conformer à la directive, étant donné que le royaume de Belgique n’a justement pas adopté ces dispositions. » Cette solution évite de sanctionner un État deux fois pour ce qui procède d’une seule et même carence. Le grief relatif à la communication ne retrouve son autonomie que dans l’hypothèse où un État a effectivement transposé une directive mais a omis d’en informer la Commission, la privant ainsi de sa capacité à vérifier la conformité des mesures nationales.
B. La clarification de l’objet du recours en manquement
En refusant de cumuler les constats de manquement, la Cour délimite plus précisément l’objet du recours intenté par la Commission. La décision implique que le manquement principal et essentiel est bien celui qui porte sur l’absence de résultat, à savoir l’inexistence des mesures de transposition. L’obligation de communication, bien que distincte, est dans ce cas précis une obligation accessoire dont l’inexécution découle inéluctablement de la défaillance initiale.
Cette jurisprudence a pour portée de guider la Commission dans la formulation de ses requêtes en manquement. Elle est incitée à concentrer son argumentation sur la violation substantielle du droit de l’Union. Sanctionner un État pour défaut de communication de mesures inexistantes reviendrait à une forme de redondance juridique sans portée pratique supplémentaire. L’arrêt contribue ainsi à une saine administration de la justice en veillant à ce que la sanction soit proportionnée et directement liée à la substance de l’obligation violée, tout en maintenant une pression maximale sur les États membres pour qu’ils respectent avant tout leur devoir premier de transposer les directives en temps et en heure.