Arrêt de la Cour du 23 janvier 1980. – SpA Grosoli et autres contre Ministère du commerce extérieur et autres. – Demande de décision préjudicielle: Tribunale amministrativo regionale del Lazio – Italie. – Contingent tarifaire communautaire: prérépartition. – Affaire 35/79.

L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 1er mars 1979 se prononce sur l’étendue des pouvoirs des États membres dans la gestion des contingents tarifaires communautaires. En l’espèce, un règlement du Conseil avait ouvert un contingent tarifaire pour la viande bovine congelée et en avait réparti le volume entre les États membres, attribuant une quote-part spécifique à l’un d’entre eux. Ce même règlement laissait aux autorités nationales le soin de gérer leur quote-part respective, tout en leur imposant de garantir un libre accès à tous les opérateurs intéressés établis sur leur territoire. Par un décret ministériel, l’État membre concerné a organisé la répartition de sa quote-part en allouant des pourcentages fixes à des entités publiques spécifiques, puis en subdivisant le solde entre différentes catégories d’opérateurs commerciaux et industriels selon une pluralité de critères.

Des opérateurs économiques, s’estimant lésés par ce dispositif, ont formé un recours devant une juridiction administrative nationale. Cette dernière, confrontée à la question de la compatibilité du droit national avec les exigences du droit communautaire, a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il était demandé en substance si le droit communautaire, et plus particulièrement le règlement en cause, s’opposait à ce qu’un État membre instaure un système de gestion fondé sur une pluralité de critères objectifs pour différencier les opérateurs, et si ce système pouvait légalement aboutir à réserver des fractions distinctes de la quote-part à des catégories prédéfinies, voire à un seul opérateur.

La Cour de justice répond que le droit communautaire ne fait pas obstacle à un tel système de gestion, à la double condition que les critères de répartition ne soient pas fixés de manière arbitraire et qu’ils n’aient pas pour conséquence de priver certains opérateurs intéressés de l’accès à la quote-part nationale.

Cette solution conduit à reconnaître une autonomie de gestion encadrée aux États membres (I), tout en affirmant la primauté des principes communautaires de non-discrimination et de libre accès (II).

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I. La consécration d’une autonomie de gestion contrôlée

La Cour reconnaît que la gestion d’une quote-part nationale d’un contingent communautaire peut légitimement faire l’objet d’un aménagement par les autorités nationales (A), y compris par l’utilisation de critères complexes pour organiser la répartition entre les opérateurs (B).

A. Le principe de la gestion déléguée aux autorités nationales

La décision de la Cour s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence antérieure qui admet que les règlements communautaires puissent renvoyer aux dispositions administratives nationales pour la mise en œuvre technique des contingents. L’arrêt rappelle que le choix du système de gestion des quotes-parts est expressément laissé aux États membres. Cette délégation se justifie par des considérations pragmatiques, notamment lorsque le volume du contingent est relativement limité, permettant une gestion plus proche des réalités économiques de chaque marché national. La Cour reconnaît ainsi qu’une « gestion raisonnable de cette quote-part peut, dans les conditions specifiques du marche de viande bovine congelee sur le territoire D ‘ un etat membre, comporter L ‘ utilite, voire la necessite, de definir les differentes categories D ‘ operateurs interesses ».

Toutefois, cette autonomie n’est pas absolue. La Cour rappelle les limites qu’elle a déjà posées, précisant que le renvoi aux dispositions nationales « ne saurait etre compris comme depassant le cadre des regles techniques et procedurales destinees a assurer le respect des limites globales du contingent et de L ‘ egalite de traitement des beneficiaires ». Ainsi, le pouvoir de gestion délégué ne doit pas être détourné pour servir des objectifs de politique économique propres à un État membre qui ne seraient pas prévus par la réglementation communautaire. L’État membre agit en tant qu’exécutant du droit communautaire et non comme une autorité souveraine dans ce domaine.

B. La légitimation d’un système de répartition multi-critères

Dans le cadre de cette gestion déléguée, la Cour admet explicitement la validité d’un système fondé sur une pluralité de critères pour organiser l’accès au contingent. Elle considère qu’un État membre peut légitimement « definir les differentes categories D ‘ operateurs interesses et D ‘ etablir D ‘ avance la quantite globale dont chacune de ces categories pourra se prevaloir ». Cette approche permet de tenir compte de la diversité objective des situations des acteurs économiques intervenant sur le marché. En l’espèce, les critères retenus par la législation nationale incluaient la nature de l’activité, le volume d’importations antérieures ou encore les achats effectués auprès de l’organisme d’intervention, reflétant différentes formes d’implication dans la filière.

La Cour va plus loin en validant la possibilité d’attribuer préalablement une fraction de la quote-part à un opérateur unique, dès lors que celui-ci correspond à une catégorie définie selon des critères objectifs et non arbitraires. La circonstance qu’une catégorie « consiste en un seul operateur important, N ‘ est pas a elle seule susceptible de demontrer que les criteres utilises par cette loi nationale sont arbitraires ». Cette précision est essentielle, car elle montre que le contrôle de la Cour ne porte pas sur le résultat de la répartition en tant que tel, mais sur la nature et la justification des critères qui y conduisent. La souplesse accordée aux États membres reste néanmoins subordonnée au respect de principes supérieurs du droit communautaire.

II. L’encadrement de la gestion nationale par les principes communautaires

Si la Cour admet la flexibilité dans la gestion, elle la conditionne strictement au respect de l’égalité de traitement entre les opérateurs (A) et à une conception large des bénéficiaires potentiels du contingent (B).

A. La double exigence de non-arbitraire et de non-exclusion

Le cœur du raisonnement de la Cour réside dans la double condition qu’elle impose à l’exercice du pouvoir de gestion des États membres. Le système de répartition est jugé compatible avec le droit communautaire « pourvu que ces criteres ne soient pas fixes de facon arbitraire et qu ‘ ils N ‘ aient pas pour effet de priver certains operateurs interesses de L ‘ acces a la quote- part en cause ». Ces deux conditions sont cumulatives et constituent le garde-fou contre les dérives protectionnistes ou discriminatoires. Le critère du non-arbitraire implique que les choix de l’État membre doivent reposer sur des justifications objectives et pertinentes au regard de la structure du marché et des objectifs du règlement.

L’interdiction de priver des opérateurs de l’accès à la quote-part est tout aussi fondamentale. Elle ne signifie pas que tous les opérateurs doivent recevoir une part du contingent, mais qu’aucun ne doit être a priori empêché de le solliciter en raison de critères qui lui seraient inapplicables par nature. Un système qui réserverait, par exemple, la totalité de la quote-part aux seuls importateurs ayant une activité depuis plus de dix ans serait susceptible d’être jugé comme excluant indûment les nouveaux entrants. Le contrôle de la Cour assure ainsi que la gestion nationale, si flexible soit-elle, ne contrevienne pas à l’objectif de libre accès et d’égalité des chances qui sous-tend la politique commerciale commune.

B. La portée élargie de la notion d’opérateur intéressé

Un apport significatif de l’arrêt réside dans l’interprétation que la Cour donne de la notion d’« opérateurs intéressés ». Elle souligne que ce terme, utilisé dans le règlement de 1978, a une portée plus étendue que celui d’« importateurs intéressés » qui figurait dans des règlements antérieurs. La Cour constate que « la notion D ‘ ‘ operateurs ‘ interesses dont fait etat L ‘ article 3 du reglement N 2861/77 a une portee plus large que celle D ‘ ‘ importateurs ‘ interesses mentionnee dans des reglements anterieurs ». Cette évolution terminologique n’est pas anodine et reflète une volonté d’ouvrir plus largement le bénéfice des contingents tarifaires.

En conséquence, les États membres ne peuvent restreindre l’accès à leur quote-part aux seuls opérateurs ayant une activité d’importation traditionnelle. D’autres acteurs économiques, tels que les transformateurs, les grossistes ou même certains grands consommateurs, peuvent légitimement être considérés comme « intéressés » par l’importation de viande à des conditions tarifaires avantageuses. Cette interprétation extensive renforce la concurrence et garantit que les avantages du contingent tarifaire se diffusent plus largement dans l’économie, conformément à une vision économique intégrée du marché. Elle confère à la décision une portée de principe, en clarifiant pour l’avenir le cercle des bénéficiaires potentiels de ce type de mesures.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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