Par un arrêt du 15 mars 1988, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur la portée d’une exonération en matière de taxe sur la valeur ajoutée. En l’espèce, la législation d’un État membre prévoyait une exonération de la taxe sur la valeur ajoutée pour les prestations de services fournies par les vétérinaires. Estimant cette pratique contraire aux dispositions de la sixième directive relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, la Commission a engagé une procédure en manquement. Le gouvernement défendeur a d’abord soutenu que ces prestations relevaient de l’exonération prévue pour les professions médicales et paramédicales. Après un avis motivé de la Commission, et face au maintien de la législation nationale, un recours a été introduit devant la Cour. Le problème de droit soulevé consistait donc à déterminer si les prestations de soins effectuées par les vétérinaires entraient dans le champ de l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée prévue pour les activités médicales par la sixième directive 77/388/CEE. La Cour de justice a répondu par la négative, jugeant qu’en exonérant ces prestations, l’État membre avait manqué à ses obligations. Elle a estimé que l’exonération visait exclusivement les soins dispensés aux personnes, et non ceux prodigués aux animaux.
Il convient d’analyser la méthode d’interprétation restrictive retenue par la Cour pour définir le champ de l’exonération (I), avant d’examiner comment cette décision réaffirme la primauté de l’harmonisation fiscale sur les législations nationales (II).
I. L’interprétation stricte de l’exonération des prestations de soins
La Cour fonde sa décision sur une double analyse, combinant une approche littérale et comparative de la directive (A) et une lecture téléologique de ses dispositions (B).
A. Une interprétation textuelle et comparative de la directive
Le raisonnement de la Cour repose en premier lieu sur une comparaison des différentes versions linguistiques de la directive. Elle constate que l’article 13, partie A, paragraphe 1, sous c), vise les prestations de soins à la personne. La Cour souligne en effet que « toutes les versions linguistiques du texte précité de l’article 13, à l’exception des versions italienne et anglaise, limitent expressément l’exonération des prestations de soins aux cas où ces soins sont délivrés ‘à la personne’ ». Cette précision exclut donc de manière claire les soins dispensés aux animaux. Cette méthode d’interprétation, classique pour la juridiction européenne, permet d’assurer une application uniforme du droit communautaire sur l’ensemble du territoire de l’Union. Elle prévient les divergences qui pourraient naître d’une lecture isolée d’une seule version linguistique, réaffirmant ainsi la nécessité de dégager une signification commune et cohérente.
B. Une interprétation téléologique confirmant l’exclusion des soins vétérinaires
Au-delà de la seule analyse textuelle, la Cour procède à une interprétation systémique de la directive pour confirmer sa solution. Elle s’appuie sur l’article 28, paragraphe 3, sous b), du même texte, qui instaure une mesure transitoire. Cette disposition permettait aux États membres qui exonéraient déjà les prestations vétérinaires au moment de l’entrée en vigueur de la directive de maintenir temporairement cette exonération. Or, la Cour en déduit logiquement que « cette disposition transitoire serait dépourvue d’objet si l’article 13, précité, était interprété comme imposant l’exonération à titre définitif des mêmes prestations ». Le recours à ce raisonnement, fondé sur le principe de l’effet utile, démontre que l’intention du législateur communautaire n’était pas d’inclure les prestations vétérinaires dans le champ des exonérations permanentes. L’existence d’une dérogation temporaire et facultative prouve a contrario que la règle générale est bien l’assujettissement de ces services à la taxe.
II. Le renforcement de l’harmonisation fiscale en matière de TVA
Cette décision illustre le principe fondamental selon lequel les exonérations fiscales sont d’interprétation stricte (A) et rappelle aux États membres leur obligation de se conformer aux règles communes du système de TVA (B).
A. Le principe de l’assujettissement comme règle et de l’exonération comme exception
La solution retenue par la Cour s’inscrit dans une jurisprudence constante selon laquelle les exonérations de TVA constituent des dérogations au principe général de taxation. L’article 2 de la sixième directive pose en effet une règle d’application très large, soumettant à la taxe « les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel ». Par conséquent, toute disposition prévoyant une exonération doit être interprétée de manière restrictive. En refusant d’étendre la notion de « prestations de soins » aux services vétérinaires, la Cour applique ce principe avec rigueur. Elle rappelle que la définition des professions médicales et paramédicales par l’État membre ne peut suffire à justifier une exonération si la nature même des prestations sort du cadre fixé par le droit communautaire.
B. La primauté du droit communautaire et l’uniformité du système de la TVA
La portée de cet arrêt dépasse la seule question des prestations vétérinaires ; elle réaffirme l’objectif d’harmonisation poursuivi par la sixième directive. L’instauration d’une assiette uniforme pour la taxe sur la valeur ajoutée vise à éliminer les distorsions de concurrence entre les États membres. Permettre à un État d’introduire ou de maintenir des exonérations non prévues par la directive compromettrait directement cet objectif. La procédure en manquement constitue l’instrument privilégié pour garantir le respect de ces règles communes. Le fait que le gouvernement défendeur ait finalement admis le bien-fondé du recours n’a pas empêché la Cour de constater formellement le manquement, car l’obligation de transposer et d’appliquer correctement la directive s’impose objectivement à tous les États membres. Cet arrêt constitue ainsi un rappel ferme de la prééminence des règles d’harmonisation fiscale européennes sur les choix de politique fiscale nationaux.