Arrêt de la Cour du 24 mars 1988. – Commission des Communautés européennes contre République italienne. – Taxes nationales contraires au droit communautaire – Répétition de l’indu – Preuve de la non-répercussion des taxes sur le prix des marchandises – Désistement partiel après la clôture de la procédure orale. – Affaire 104/86.

Par un arrêt du 21 mai 1988, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur les obligations des États membres concernant le remboursement des taxes nationales perçues en violation du droit communautaire. En l’espèce, la Commission des Communautés européennes a engagé un recours en manquement contre un État membre au motif que sa législation rendait excessivement difficile l’obtention du remboursement de taxes contraires au traité. La législation nationale en cause, appliquée rétroactivement, imposait au contribuable la charge de prouver qu’il n’avait pas répercuté le montant de la taxe sur des tiers, tout en limitant les modes de preuve admissibles à la seule preuve documentaire. L’État membre se défendait en arguant que sa propre Cour constitutionnelle avait consacré la primauté et l’applicabilité directe du droit communautaire, permettant ainsi aux juges nationaux d’écarter la loi interne litigieuse, la rendant de ce fait inopérante et ne nécessitant pas son abrogation formelle. Se posait alors la question de savoir si des modalités probatoires nationales qui inversent la charge de la preuve et restreignent les moyens de la rapporter sont compatibles avec le droit communautaire. Il s’agissait également de déterminer si le maintien en vigueur d’une norme nationale incompatible avec le droit communautaire constitue un manquement, alors même que les juridictions internes ont le pouvoir de l’écarter. La Cour de justice juge que de telles exigences de preuve sont contraires au droit communautaire, car elles rendent « pratiquement impossible ou excessivement difficile l’obtention du remboursement ». En outre, elle affirme que la primauté du droit communautaire ne dispense pas un État membre de son obligation d’éliminer de son ordre juridique les dispositions incompatibles, leur simple maintien créant une situation d’incertitude préjudiciable. La solution retenue par la Cour confirme ainsi les limites imposées à l’autonomie procédurale des États membres (I), tout en précisant la portée de l’obligation de garantir la pleine effectivité du droit communautaire par la mise en conformité de la législation nationale (II).

I. La limitation de l’autonomie procédurale nationale par les exigences du droit communautaire

La Cour rappelle fermement que si la restitution des taxes indûment perçues relève en principe du droit interne des États membres, ce dernier doit respecter les principes fondamentaux du droit communautaire. Cette décision sanctionne ainsi un régime probatoire jugé prohibitif (A) et clarifie la notion d’enrichissement sans cause dans ce contexte (B).

A. La prohibition d’un régime de preuve rendant le remboursement excessivement difficile

La Cour confirme sa jurisprudence antérieure selon laquelle, en l’absence de réglementation communautaire, il appartient à l’ordre juridique de chaque État membre de régler les modalités de remboursement des taxes perçues en violation du droit communautaire. Cette autonomie procédurale est cependant encadrée par le principe d’effectivité, qui interdit aux États de rendre l’exercice des droits conférés par le droit communautaire pratiquement impossible. En l’espèce, la législation nationale imposait une double contrainte au contribuable : il devait supporter la charge de prouver un fait négatif, à savoir l’absence de répercussion de la taxe, et ne pouvait le faire que par la production de documents comptables.

La Cour considère que de telles règles sont « incompatibles avec le droit communautaire ». Elle estime qu’un tel dispositif a pour effet de « rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’obtention du remboursement ». En visant expressément « des présomptions ou des règles de preuve qui visent à rejeter sur le contribuable la charge d’établir que les taxes indûment payées n’ont pas été répercutées sur d’autres sujets », la Cour condamne un système qui place le demandeur dans une situation probatoire quasi inextricable, vidant de sa substance son droit à restitution.

B. La prise en compte de l’enrichissement sans cause comme justification insuffisante

L’État membre, pour justifier son dispositif, s’appuyait implicitement sur la nécessité d’éviter un enrichissement sans cause du contribuable, qui aurait obtenu le remboursement d’une taxe dont il n’aurait pas supporté la charge économique finale. La Cour reconnaît la légitimité de ce principe et admet que le droit communautaire « n’exclut pas qu’il soit tenu compte du fait que la charge de ces taxes a pu être répercutée sur d’autres opérateurs économiques ou sur les consommateurs ». Le droit à restitution ne doit pas conduire à un profit indu.

Cependant, la mise en œuvre de ce principe ne saurait justifier des modalités procédurales qui entravent de manière disproportionnée le droit au remboursement. En l’espèce, le régime probatoire imposé par la législation nationale ne visait pas simplement à vérifier l’absence d’enrichissement sans cause ; il instituait une présomption quasi irréfragable de répercussion, renversant ainsi l’équilibre procédural au détriment du contribuable. La Cour sanctionne donc non pas la prise en compte de la répercussion de la taxe, mais les moyens excessivement restrictifs mis en place pour l’établir, qui reviennent à nier le droit à restitution lui-même.

Au-delà de la question des modalités de preuve, la Cour se prononce sur une question plus fondamentale relative à l’obligation pour l’État d’assainir son ordre juridique interne.

II. L’obligation de mise en conformité formelle de l’ordre juridique national

L’argument principal de l’État mis en cause reposait sur l’idée que la primauté du droit communautaire, reconnue par ses plus hautes juridictions, suffisait à paralyser les effets de la loi nationale contraire. La Cour rejette cette argumentation, jugeant la simple possibilité de non-application par le juge comme insuffisante (A) et consacrant ainsi une obligation positive pour les États d’abroger les normes internes incompatibles (B).

A. L’insuffisance de la primauté et de l’effet direct pour assurer la sécurité juridique

L’État défendeur soutenait que, sa Cour constitutionnelle ayant reconnu la faculté pour les juges nationaux d’écarter une loi interne contraire au droit communautaire, la norme litigieuse était privée d’effets et le recours en manquement n’avait plus d’objet. La Cour de justice ne se satisfait pas de cette solution purement jurisprudentielle. Elle considère que la situation juridique des justiciables doit être appréciée concrètement, et non seulement au regard des mécanismes de résolution des conflits de normes.

La Cour souligne que « le maintien engendre une situation de fait ambiguë, en laissant les sujets de droit concernés dans un état d’incertitude quant aux possibilités qui leur sont réservées de faire appel au droit communautaire ». Le simple citoyen ou l’opérateur économique n’est pas censé connaître les subtilités de la jurisprudence constitutionnelle ; il est confronté à un texte de loi qui, formellement, demeure en vigueur. Cette incertitude est en soi contraire aux exigences du droit communautaire, et notamment au principe de sécurité juridique.

B. La consécration d’une obligation d’abrogation des normes contraires

En conséquence, la Cour affirme que « la primauté et l’effet direct des dispositions du droit communautaire ne dispensent pas les États membres de l’obligation d’éliminer de leur ordre juridique interne les dispositions incompatibles avec le droit communautaire ». L’obligation qui pèse sur les États en vertu du traité, et notamment du principe de coopération loyale, n’est pas seulement une obligation de résultat – assurer la pleine application du droit communautaire – mais aussi une obligation de moyen qui impose de garantir la clarté et la prévisibilité du droit national.

Cette décision établit donc clairement qu’un État ne peut se retrancher derrière l’activisme de ses juges pour s’exonérer de son devoir de « nettoyage » de son ordre juridique. Le maintien d’une législation contraire au droit de l’Union, même si elle est rendue inapplicable en pratique par les tribunaux, constitue un manquement en soi, car il entretient une confusion préjudiciable à la pleine effectivité des droits que les particuliers tirent des traités. La conformité de l’ordre juridique national doit être non seulement matérielle mais aussi formelle et visible.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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