Par un arrêt rendu sur le fondement de l’article 173 du traité CEE, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur le recours d’un État membre demandant l’annulation de deux décisions de la Commission relatives à l’apurement des comptes du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA). La Commission avait refusé de prendre en charge certaines dépenses engagées par cet État au titre de la politique agricole commune pour les exercices 1980 et 1981. Le litige portait sur des pratiques de différenciation de prix mises en œuvre par les offices de commercialisation du lait de cet État, qui fixaient des prix différents pour le lait selon sa destination finale, notamment pour la production de beurre, de lait écrémé en poudre, de caséine ou de produits destinés à l’exportation. La Commission, considérant ces pratiques contraires au droit communautaire, avait calculé le préjudice financier pour le FEOGA et refusé le financement des montants correspondants. L’État membre a contesté la légalité de ces pratiques, la méthode de calcul de la Commission, et a soulevé d’autres moyens de droit. Il était donc demandé à la Cour de déterminer si la Commission, lors de l’apurement des comptes du FEOGA, peut refuser de prendre en charge des dépenses résultant de pratiques nationales jugées contraires au droit communautaire. Plus spécifiquement, la question portait sur la répartition de la charge de la preuve en la matière et sur le point de savoir si d’éventuelles économies générées par ces mêmes pratiques devaient être prises en considération. La Cour a rejeté le recours, validant la démarche de la Commission et affirmant que seules les dépenses engagées « selon les règles communautaires » peuvent être financées par le FEOGA. La solution retenue par la Cour repose sur une application stricte des règles de financement de la politique agricole commune, clarifiant la répartition des responsabilités entre la Commission et les États membres.
I. La rigueur du contrôle des dépenses agricoles par la Commission
La décision commentée réaffirme le rôle central de la Commission dans la surveillance de la conformité des dépenses agricoles au droit communautaire. Elle précise à cet effet les obligations respectives des parties lors de la procédure d’apurement des comptes, en particulier s’agissant de la charge de la preuve (A), avant de confirmer le caractère illégal des pratiques de prix différenciés qui étaient au cœur du litige (B).
A. L’affirmation d’une charge de la preuve pesant sur l’État membre
La Cour établit une répartition claire de la charge de la preuve dans le contentieux de l’apurement des comptes du FEOGA. Elle estime qu’il incombe en premier lieu à la Commission de démontrer l’existence d’une violation des règles de l’organisation commune des marchés agricoles par un État membre. Une fois cette infraction établie, si la Commission procède à une évaluation du préjudice financier qui en résulte, la charge de la preuve est alors inversée. Il appartient dès lors à l’État membre de contester le calcul effectué. L’arrêt énonce que lorsque le montant refusé est calculé en fonction de l’impact de l’irrégularité, « il appartient a l’ etat membre qui conteste ce montant de prouver que, par l’ effet de cette irregularite, lesdites charges n’ ont pas augmente ou ont augmente d’ un montant inferieur a celui calcule par la commission ». Cette solution est pragmatique car elle reconnaît la difficulté, voire l’impossibilité pour la Commission, de chiffrer avec une exactitude absolue les conséquences financières d’une pratique nationale illicite. En faisant peser sur l’État membre, qui dispose de toutes les informations pertinentes, la charge de démontrer l’inexactitude des calculs de la Commission, la Cour adopte une approche qui garantit l’efficacité du contrôle tout en préservant les droits de la défense de l’État concerné.
B. L’illégalité des pratiques de différenciation des prix
La Cour confirme l’analyse de la Commission selon laquelle les différentes pratiques de double prix étaient incompatibles avec le droit communautaire. Chaque système de différenciation portait atteinte au bon fonctionnement des mécanismes de la politique agricole commune. Par exemple, fixer un prix plus élevé pour le lait destiné à l’alimentation animale ou à la production de caséine faisait obstacle aux régimes d’aides communautaires conçus pour encourager ces usages, en empêchant l’aide d’atteindre son objectif de réduction du prix pour l’utilisateur final. De même, la fixation d’un prix du lait plus bas pour la fabrication de beurre de consommation que pour le beurre d’intervention faussait les conditions de concurrence et le mécanisme de soutien des prix. Enfin, l’application d’un prix inférieur pour le lait utilisé dans la fabrication de produits exportés constituait une aide à l’exportation non prévue par les textes et donc une violation des règles communautaires. En validant point par point l’illégalité de ces pratiques, la Cour montre que toute mesure nationale qui interfère avec les instruments de l’organisation commune des marchés, même si elle n’a pas pour objet direct de violer le droit communautaire, est susceptible d’être sanctionnée lors de l’apurement des comptes.
II. Le rejet des arguments de l’État membre et la portée de la décision
Après avoir validé l’approche de la Commission sur la preuve et le fond de l’infraction, la Cour écarte les autres moyens soulevés par l’État membre, précisant ainsi la portée de sa jurisprudence. Elle refuse notamment de prendre en compte d’éventuelles économies générées par les pratiques litigieuses (A) et écarte les arguments tirés de la violation de principes généraux du droit (B).
A. L’inopposabilité des économies réalisées au FEOGA
L’État membre soutenait que les pratiques de double prix, même si elles avaient engendré des dépenses supplémentaires sur certains postes budgétaires, avaient également permis de réaliser des économies sur d’autres, de sorte que l’impact global sur le budget du FEOGA était neutre ou négligeable. La Cour rejette catégoriquement cet argument de la compensation. Elle rappelle que la finalité de la procédure d’apurement des comptes est de vérifier la conformité de chaque dépense aux règles communautaires, et non de procéder à un bilan financier global. Accepter une telle compensation reviendrait à permettre aux États membres de s’affranchir des règles de gestion de la politique agricole commune, pourvu que le solde financier final ne soit pas négatif pour le FEOGA. La Cour souligne qu’une telle approche serait contraire à l’objectif même de la procédure, car « une telle application de la procedure d’ apurement des comptes reviendrait a la detourner de sa finalite essentielle, qui est de verifier si les restitutions accordees et les interventions entreprises ont ete effectuees selon les regles communautaires ». Cette position de principe est fondamentale : elle empêche que la régularité juridique des dépenses ne soit supplantée par une simple logique comptable, ce qui préserve l’intégrité et l’uniformité de la politique agricole commune.
B. La confirmation des garanties procédurales
L’État requérant invoquait enfin la violation des principes de confiance légitime et de sécurité juridique, ainsi qu’une insuffisance de motivation des décisions de la Commission. La Cour écarte ces arguments en se fondant sur les faits de l’espèce. Sur la confiance légitime, elle note que la Commission avait exprimé ses doutes sur la légalité des pratiques de différenciation de prix bien avant l’adoption des décisions litigieuses, de sorte que le gouvernement ne pouvait légitimement croire que ces dépenses seraient prises en charge. Sur la motivation, la Cour réitère une jurisprudence constante selon laquelle « les decisions d’ apurement des comptes n’ exigent pas une motivation detaillee, dans la mesure ou le gouvernement interesse a ete etroitement associe au processus d’ elaboration de la decision ». L’État membre ayant participé à de longues discussions bilatérales avec la Commission, il connaissait parfaitement les raisons du refus de financement. Ce faisant, la Cour confirme que si les droits de la défense des États membres doivent être respectés, l’exigence de motivation doit être appréciée au regard du contexte de dialogue et de coopération qui caractérise la procédure d’apurement des comptes du FEOGA. La portée de cet arrêt est donc de consolider un système de contrôle strict mais équilibré, où la responsabilité financière des États membres est clairement engagée en cas de manquement aux règles communes.