Arrêt de la Cour du 24 novembre 1987. – Commission des Communautés européennes contre République italienne. – Manquement d’État – Défaut de transposition en droit interne de la directive 83/183/CEE du Conseil – Franchises fiscales applicables aux importations définitives de biens personnels des particuliers en provenance d’un État membre. – Affaire 124/86.

Par un arrêt rendu en 1987, la Cour de justice des Communautés européennes est venue rappeler à un État membre la portée des obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire. En l’espèce, une directive du Conseil du 28 mars 1983, relative à des franchises fiscales pour les importations de biens personnels, devait être transposée par les États membres au plus tard le 1er janvier 1984. Constatant l’absence de toute communication des mesures de transposition de la part d’un État membre, la Commission a engagé une procédure en manquement.

Après une lettre de mise en demeure restée sans réponse satisfaisante, puis un avis motivé dont le délai de mise en conformité fut prorogé à plusieurs reprises, la Commission a saisi la Cour de justice sur le fondement de l’article 169 du traité CEE. Devant la Cour, l’État défendeur a reconnu ne pas avoir satisfait à ses obligations dans le délai imparti. Il a justifié son retard par des difficultés d’ordre politique interne qui avaient ralenti l’adoption du projet de loi de transposition au sein de son parlement national.

La question de droit qui se posait à la Cour était donc de savoir si des difficultés relevant de l’ordre juridique ou politique interne d’un État membre pouvaient constituer une justification valable à l’inexécution d’une obligation découlant d’une directive, en particulier le non-respect du délai de transposition.

À cette question, la Cour de justice répond par la négative de manière catégorique. Elle énonce de façon lapidaire qu’« un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations et délais prescrits par les directives ». Par conséquent, le manquement de l’État membre est constaté. Cette décision, bien que classique dans sa solution, réaffirme avec force un principe fondamental de l’ordre juridique communautaire (I), garantissant ainsi la pleine effectivité du droit issu des traités (II).

***

I. La réaffirmation d’un principe fondamental de l’ordre juridique communautaire

La Cour de justice rappelle que l’obligation de transposition des directives est inconditionnelle (A) et que, par conséquent, les justifications fondées sur le droit interne sont systématiquement rejetées (B).

A. Le caractère inconditionnel de l’obligation de transposition

L’obligation pour les États membres de transposer les directives découle directement de l’article 189 du traité CEE. Cet article dispose que la directive « lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ». Le résultat à atteindre inclut nécessairement le respect du délai fixé par le texte, qui n’est pas une simple indication mais une véritable contrainte juridique.

En l’espèce, la directive de 1983 fixait clairement ce délai au 1er janvier 1984. Le fait pour l’État défendeur de ne pas avoir adopté les dispositions nationales nécessaires à cette date constitue en soi un manquement, indépendamment de toute autre considération. La Cour ne s’attache pas à examiner la complexité de la directive ou les efforts déployés par l’État ; elle se limite à un constat objectif de l’inexécution de l’obligation dans le temps imparti. Cette approche formaliste souligne le caractère absolu de l’engagement pris par les États membres en leur qualité de membres de la Communauté.

B. Le rejet constant des justifications tirées de l’ordre interne

Le cœur du raisonnement de la Cour réside dans le rappel de sa jurisprudence constante selon laquelle les États ne peuvent se prévaloir de leur propre système juridique pour échapper à leurs obligations communautaires. En affirmant qu’un État « ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne », la Cour vise toute une série d’arguments potentiels, qu’il s’agisse de la lenteur de la procédure parlementaire, de difficultés politiques, de contraintes administratives ou de dispositions constitutionnelles.

Cette règle est une conséquence directe du principe de primauté du droit communautaire. Si les États pouvaient invoquer leurs propres règles ou leurs propres difficultés pour justifier un manquement, l’application du droit communautaire serait non seulement retardée mais également rendue hétérogène, variant au gré des circonstances politiques et juridiques de chaque État. L’ordre juridique communautaire perdrait alors sa force contraignante et sa capacité à s’imposer de manière uniforme sur l’ensemble du territoire de la Communauté. En rejetant l’argument de l’État défendeur, la Cour ne fait donc que préserver la structure même du système juridique qu’elle a pour mission de garantir.

La fermeté de cette solution, qui ne laisse aucune place à la discussion sur les causes du retard, met en lumière la nature spécifique des contraintes que le droit communautaire impose aux souverainetés nationales.

II. La portée de la décision dans la garantie de l’effectivité du droit communautaire

La solution retenue par la Cour est essentielle pour assurer l’application uniforme et effective du droit communautaire (A) et confirme la nature objective de la procédure en manquement (B).

A. La garantie de l’application uniforme et effective

En refusant de prendre en considération les difficultés internes d’un État, la Cour de justice assure l’« effet utile » des directives. Une directive a pour objet de créer des droits et des obligations pour les particuliers. Permettre à un État de retarder indéfiniment sa transposition priverait ses ressortissants du bénéfice de ces droits et créerait des distorsions au sein du marché intérieur, puisque les règles applicables ne seraient pas les mêmes dans tous les États membres.

Dans le cas présent, la directive sur les franchises fiscales visait à faciliter la libre circulation des personnes en harmonisant les règles d’importation de leurs biens personnels. L’absence de transposition en temps voulu par l’État défendeur portait directement atteinte à cet objectif. L’arrêt, bien qu’il statue sur un cas d’espèce, revêt donc une portée de principe en ce qu’il rappelle que la finalité du droit communautaire est de s’appliquer concrètement et simultanément dans tous les États membres. Il s’agit d’une condition indispensable à la réalisation des objectifs des traités.

B. La confirmation du caractère objectif de la procédure en manquement

La procédure en manquement prévue à l’article 169 du traité CEE est un mécanisme de contrôle objectif du respect par les États de leurs obligations. Le rôle de la Cour n’est pas de juger de la bonne ou de la mauvaise volonté d’un État, ni de tenir compte de son contexte politique. Sa seule mission est de constater, de manière quasi mécanique, si une obligation a été violée.

Le fait que la Commission ait accordé plusieurs prorogations de délai ou que l’État ait finalement engagé le processus législatif est sans pertinence pour l’appréciation juridique du manquement, qui est déjà constitué par le simple dépassement du délai initial. En se concentrant exclusivement sur ce constat objectif, la Cour renforce sa position de gardienne des traités et l’idée d’une Communauté de droit. Les obligations qui découlent des traités ne sont pas de simples engagements politiques négociables, mais des normes juridiques dont l’exécution peut être imposée par la voie contentieuse, assurant ainsi la prévisibilité et la sécurité juridique pour tous les acteurs.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture