Arrêt de la Cour du 25 février 1988. – Commission des Communautés européennes contre République hellénique. – Restrictions à l’importation des bananes. – Affaires jointes 194/85 et 241/85.

Par un arrêt rendu en 1987, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur la compatibilité avec le droit communautaire de mesures nationales de restriction à l’importation de bananes, prises par un État membre au cours de la période transitoire suivant son adhésion.

En l’espèce, un État membre avait subordonné, dès son adhésion à la Communauté, les importations de bananes à l’octroi d’une licence. Les demandes de licences concernant des bananes originaires d’autres États membres ou s’y trouvant en libre pratique étaient systématiquement rejetées. Parallèlement, les importations de bananes en provenance des États ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) étaient totalement interdites. La Commission, estimant ces pratiques contraires au principe de libre circulation des marchandises et aux obligations découlant d’une convention internationale liant la Communauté, engagea deux procédures en manquement. L’État membre se défendit en invoquant une disposition de son Acte d’adhésion, l’article 65, paragraphe 2, qui autorisait des dérogations transitoires à la libre circulation pour les produits agricoles relevant d’une organisation nationale de marché. Selon lui, de telles mesures étaient indispensables pour assurer le maintien de sa production nationale de bananes.

Le problème de droit soulevé était donc de savoir si un État membre pouvait, sur le fondement d’une clause dérogatoire transitoire de son Acte d’adhésion, mettre en place une interdiction quasi totale d’importation d’un produit agricole. Il s’agissait plus précisément de déterminer si de telles mesures pouvaient être considérées comme « strictement nécessaires pour assurer le maintien de l’organisation nationale », au sens de ladite clause.

La Cour de justice répond par la négative et constate le double manquement de l’État membre. Elle juge que si une organisation nationale du marché des bananes existait bien, les mesures prises excédaient ce qui était « strictement nécessaire » à son maintien. La Cour souligne qu’un tel isolement du marché national ne prépare pas les producteurs à la libéralisation inévitable à l’issue de la période transitoire. La justification des entraves au commerce intracommunautaire étant écartée, celle concernant l’interdiction d’importer des produits des États ACP, qui ne peuvent subir un traitement moins favorable, est également rejetée. La Cour rappelle ainsi que les dispositions dérogatoires d’un acte d’adhésion doivent être interprétées de manière restrictive et à la lumière de l’objectif d’intégration au marché commun.

L’arrêt illustre l’interprétation stricte des dérogations transitoires au principe de libre circulation (I), dont découle logiquement l’illégalité des restrictions imposées aux échanges avec les pays tiers (II).

I. L’interprétation stricte d’une dérogation transitoire au principe de libre circulation

La Cour examine les conditions d’application de la dérogation invoquée par l’État membre en deux temps. Si elle admet avec une certaine souplesse l’existence d’une organisation nationale de marché (A), elle applique avec la plus grande rigueur le critère de nécessité des mesures de protection (B).

A. La reconnaissance extensive de l’existence d’une organisation nationale de marché

Pour que la dérogation de l’article 65, paragraphe 2, de l’Acte d’adhésion puisse être invoquée, l’existence préalable d’une organisation nationale de marché pour le produit concerné devait être établie. La Commission contestait cette qualification pour les mesures encadrant le secteur de la banane dans l’État mis en cause. La Cour rappelle sa définition jurisprudentielle de l’organisation nationale de marché, conçue comme « un ensemble de moyens de droit plaçant sous le contrôle de l’autorité publique la régulation du marché des produits concernés ».

En l’espèce, le dossier faisait état d’aides financières à la culture et à la production, de la fixation de critères de qualité, de l’amélioration des circuits de commercialisation et de la fixation de prix de vente au détail. La Cour estime que cet ensemble de dispositions réglementaires et d’interventions étatiques est suffisant pour caractériser une organisation nationale de marché. En adoptant une vision d’ensemble et fonctionnelle, elle admet le premier argument de l’État défendeur, ce qui lui permet ensuite de se concentrer sur le véritable cœur du litige.

B. Le rejet d’une mesure de protection jugée disproportionnée

L’existence d’une organisation nationale de marché ne suffisait pas à justifier n’importe quelle mesure. Celles-ci devaient être « strictement nécessaires pour assurer le maintien de l’organisation nationale ». La Cour se livre ici à une interprétation téléologique de la dérogation. Les mesures adoptées, à savoir un régime de licences combiné à un refus systématique de délivrance, s’analysaient en une interdiction quasi totale d’importation.

La Cour juge qu’une telle mesure n’est pas apte à faciliter l’adaptation des producteurs nationaux aux conditions du marché commun. Elle énonce que « une telle interdiction, par l’isolation du marché national des bananes, ne prépare pas les producteurs helléniques à la libéralisation inévitable du marché après l’expiration de la période de transition ». Le but d’une période transitoire n’est pas de pérenniser une protection, mais de permettre une adaptation progressive à la concurrence. En isolant totalement ses producteurs, l’État membre agissait à l’encontre de cet objectif. La Cour suggère d’ailleurs que des mesures moins restrictives, comme une libéralisation progressive ou un système de contingentement, auraient pu être envisagées. Le manquement à l’article 30 du traité CEE était donc constitué.

II. Les conséquences en cascade de l’infraction constatée

Le rejet de la justification fondée sur l’Acte d’adhésion entraîne inéluctablement l’illégalité des mesures visant les importations en provenance des États ACP (A) et permet à la Cour de réaffirmer la finalité intégratrice de toute mesure transitoire (B).

A. L’inapplicabilité de la clause de préférence au profit des produits ACP

Dans la seconde affaire, la Commission reprochait à l’État membre d’interdire les importations de bananes originaires des États ACP, en violation de l’article 3, paragraphe 1, de la deuxième convention de Lomé. L’État membre se défendait en invoquant l’article 6 de cette même convention, qui dispose que le traitement des produits ACP ne peut être plus favorable que celui appliqué aux échanges entre les États membres. Puisqu’il restreignait légitimement, selon lui, les importations communautaires, il devait a fortiori interdire celles provenant des États ACP.

Le raisonnement de la Cour est implacable. Ayant jugé dans la première affaire que les restrictions imposées au commerce intracommunautaire étaient illégales, le postulat sur lequel reposait l’argumentation de l’État membre s’effondre. Il n’est pas possible de se prévaloir d’une situation illégale pour justifier une autre infraction. La Cour conclut sobrement que « l’argument du gouvernement hellénique tiré de l’article 6 de la convention de Lomé ne peut pas être accueilli ». Cette solution illustre la cohérence du système juridique communautaire et la primauté des principes fondamentaux du traité.

B. L’affirmation de la finalité d’intégration des mesures transitoires

Au-delà de la seule question des importations de bananes, cet arrêt revêt une portée de principe significative. Il constitue un rappel essentiel sur la nature et la fonction des périodes transitoires dans le processus d’élargissement de la Communauté. Ces périodes ne sont pas des chèques en blanc accordés aux nouveaux membres pour se soustraire à leurs obligations.

La Cour affirme clairement que « les dérogations permises par l’acte d’adhésion aux règles prévues par le traité doivent être interprétées en vue d’une réalisation plus facile des objectifs du traité et d’une application intégrale de ses règles ». Cette interprétation restrictive et finaliste vise à préserver l’intégrité du marché intérieur et à garantir que l’adhésion ne soit pas retardée par des protectionnismes nationaux prolongés indûment. La décision enseigne qu’un État membre doit utiliser une période transitoire non pour se protéger de la concurrence, mais pour s’y préparer activement.

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Hassan KOHEN
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