Arrêt de la Cour du 25 juillet 1991. – Marc Rich & Co. AG contre Società Italiana Impianti PA. – Demande de décision préjudicielle: Court of Appeal – Royaume-Uni. – Convention de Bruxelles – Article 1er, deuxième alinéa, point 4 – Arbitrage. – Affaire C-190/89.

Par un arrêt en date du 25 juillet 1991, la Cour de justice des Communautés européennes a rendu une décision préjudicielle essentielle à la délimitation du champ d’application de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968. Le litige à l’origine de cette saisine opposait une société de droit suisse et une société de droit italien à la suite de l’exécution d’un contrat de vente de pétrole. Un désaccord étant survenu quant à la qualité de la marchandise, la société italienne a saisi le tribunal de Gênes afin de voir sa responsabilité écartée. En défense, la société suisse a invoqué une clause compromissoire stipulant une procédure d’arbitrage à Londres et a, parallèlement, engagé une action devant la High Court de Londres afin de faire désigner un arbitre, conformément au droit anglais choisi par les parties. La société italienne a contesté la compétence de la juridiction anglaise en soutenant que le litige relevait de la convention de Bruxelles et devait être tranché en Italie, lieu où la première juridiction avait été saisie. La High Court ayant rejeté cette exception et retenu sa compétence, la société italienne a interjeté appel. La Court of Appeal a alors décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice sur l’interprétation de l’exclusion en matière d’arbitrage prévue par l’article 1er, deuxième alinéa, point 4, de la convention. La question posée était de savoir si cette exclusion s’applique à une procédure judiciaire visant la désignation d’un arbitre, y compris lorsque la discussion porte à titre préalable sur l’existence même de la convention d’arbitrage. À cette question, la Cour répond que « l’article 1er, deuxième alinéa, point 4, de la convention doit être interprété en ce sens que l’exclusion qu’il prévoit s’étend à un litige pendant devant une juridiction étatique qui a pour objet la désignation d’un arbitre, même si ce litige soulève au préalable la question de l’existence ou de la validité d’une convention d’arbitrage ».

La Cour consacre ainsi une interprétation extensive de l’exclusion de l’arbitrage (I), dont la portée renforce l’autonomie du droit de l’arbitrage international au sein de l’espace judiciaire européen (II).

I. L’affirmation d’une conception extensive de l’exclusion de l’arbitrage

La Cour de justice opte pour une lecture finaliste de la convention de Bruxelles, ce qui la conduit à rejeter une interprétation restrictive de la matière arbitrale (A) et à considérer comme inopérante la nature de la contestation relative à la validité de la clause compromissoire (B).

A. Le rejet d’une interprétation restrictive de la matière arbitrale

La thèse défendue par l’une des parties au principal consistait à soutenir qu’une distinction devait être opérée entre la procédure arbitrale elle-même, menée par des personnes de droit privé, et les procédures judiciaires connexes portées devant les juridictions étatiques. Selon cette analyse, seules les premières seraient visées par l’exclusion de l’article 1er, deuxième alinéa, point 4, de la convention, tandis que les secondes, comme une demande de désignation d’arbitre, resteraient dans le champ d’application de celle-ci. Une telle approche aurait permis d’appliquer les règles de compétence unifiées de la convention à de nombreux litiges liés à l’arbitrage.

La Cour écarte fermement cette lecture. Elle fonde son raisonnement sur l’intention des rédacteurs de la convention, telle qu’elle ressort des rapports explicatifs. Ces derniers précisent que l’arbitrage a été exclu car il faisait déjà l’objet d’instruments internationaux spécifiques, au premier rang desquels la convention de New York de 1958. Or, ces instruments régissent précisément l’intervention du juge étatique en support ou en contrôle de la procédure arbitrale. La Cour en déduit que « les parties contractantes ont entendu exclure l’arbitrage en tant que matière dans son ensemble, y compris les procédures introduites devant les juridictions étatiques ». L’exclusion ne vise donc pas seulement la sentence arbitrale, mais toutes les actions judiciaires qui constituent le corollaire de la mise en œuvre d’un arbitrage, y compris la constitution du tribunal arbitral.

B. L’indifférence de la nature de la contestation relative à la clause compromissoire

L’argument subsidiaire soulevé devant la Cour visait à réintroduire la convention de Bruxelles lorsque l’existence ou la validité de la convention d’arbitrage est contestée. La question posée au juge ne serait plus alors une pure question de procédure arbitrale, mais une question de droit des contrats relevant de la matière civile et commerciale. L’enjeu était de taille, car admettre cette distinction aurait rendu la convention applicable à un grand nombre de litiges préliminaires à l’arbitrage.

La Cour refuse de s’engager dans cette voie. Elle établit un critère clair et fonctionnel : « pour déterminer si un litige relève du champ d’application de la convention, seul l’objet de ce litige doit être pris en compte ». Dès lors que l’objet principal de la demande portée devant le juge national est la désignation d’un arbitre, le litige dans son ensemble est soustrait à la convention de Bruxelles. La nécessité de trancher une question préalable, fût-elle relative à la validité du contrat contenant la clause compromissoire, ne modifie pas la nature fondamentale du litige et ne peut justifier un retour dans le giron de la convention. Cette solution est présentée comme une exigence de sécurité juridique, l’un des objectifs cardinaux du système de Bruxelles.

II. La portée de la solution au regard des objectifs de la Convention de Bruxelles

En privilégiant une séparation nette entre le contentieux judiciaire ordinaire et celui de l’arbitrage, la décision de la Cour réaffirme la place centrale de la sécurité juridique (A) et consacre l’autonomie du droit de l’arbitrage international (B).

A. La primauté accordée à la sécurité juridique sur l’harmonisation des compétences

L’un des buts de la convention de Bruxelles est d’éviter les décisions contradictoires et de garantir la libre circulation des jugements. En excluant entièrement le contentieux arbitral, y compris ses aspects préliminaires, la Cour prend le risque de voir des juridictions de différents États membres rendre des décisions inconciliables sur la validité d’une même clause compromissoire, sans que les mécanismes de litispendance prévus aux articles 21 et 22 de la convention ne puissent jouer. Une juridiction italienne pourrait ainsi nier l’existence de la clause tandis qu’une juridiction anglaise la reconnaîtrait et désignerait un arbitre.

La Cour assume pleinement cette conséquence. Elle juge en effet qu’il « serait d’ailleurs contraire au principe de la sécurité juridique […] que l’applicabilité de l’exclusion […] puisse varier au gré de l’existence d’une question préalable, qui peut être soulevée à tout moment par les parties ». En d’autres termes, le caractère prévisible du champ d’application de la convention est considéré comme un impératif supérieur à la prévention de tous les conflits de décisions. Une solution contraire aurait permis à une partie de paralyser une procédure d’arbitrage en soulevant une contestation, même dilatoire, sur la clause compromissoire pour attirer le litige dans le champ de la convention et de ses règles de compétence.

B. La consécration de l’autonomie du droit de l’arbitrage international

La portée de cet arrêt dépasse la seule interprétation de la convention de Bruxelles. En érigeant une frontière étanche entre le droit commun de la compétence judiciaire européenne et la matière arbitrale, la Cour reconnaît l’existence d’un ordre juridique spécifique à l’arbitrage international. Cet ordre est principalement régi par la convention de New York de 1958 et les lois nationales sur l’arbitrage, qui prévoient leurs propres règles pour statuer sur la compétence des arbitres, la validité des clauses compromissoires et la reconnaissance des sentences.

La décision commentée assure ainsi que le système spécialisé et largement harmonisé de l’arbitrage ne sera pas perturbé par l’application des règles générales de la convention de Bruxelles. Elle garantit l’efficacité des conventions internationales en matière d’arbitrage et conforte la volonté des parties de soustraire leurs litiges aux juridictions étatiques. En refusant de laisser la convention de Bruxelles s’immiscer dans les litiges relatifs à la constitution d’un tribunal arbitral, la Cour a posé une pierre angulaire du droit européen de l’arbitrage, dont l’influence demeure perceptible malgré les évolutions ultérieures des textes européens.

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Hassan KOHEN
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