Arrêt de la Cour du 25 mars 1981. – Coöperatieve Stremsel- en Kleurselfabriek contre Commission des Communautés européennes. – Concurrence – Obligation d’achat exclusif de présure. – Affaire 61/80.

Par un arrêt du 25 janvier 1981, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur l’application des règles de concurrence à une coopérative de production. En l’espèce, une coopérative établie dans un État membre, qui fabrique la quasi-totalité de la production nationale de présure et de colorants pour fromages, imposait à ses membres des obligations statutaires contraignantes. Celles-ci consistaient en un approvisionnement exclusif pour la totalité de leurs besoins auprès de la coopérative, ainsi qu’au paiement d’une somme substantielle en cas de démission ou d’exclusion, calculée sur la base des achats antérieurs. La Commission des Communautés européennes, saisie de l’affaire, avait rendu une décision constatant que ces clauses constituaient une infraction à l’article 85, paragraphe 1, du traité CEE. Elle avait également rejeté l’octroi d’une exemption au titre du paragraphe 3 du même article et écarté l’application du règlement n° 26/62 relatif aux produits agricoles. La coopérative a alors formé un recours en annulation contre cette décision devant la Cour de justice. Il s’agissait pour la Cour de déterminer si les statuts d’une coopérative en situation de quasi-monopole, imposant une obligation d’achat exclusif et une indemnité de départ significative, faussent le jeu de la concurrence au sens du traité. De plus, il lui appartenait de clarifier si un produit non listé à l’annexe II du traité, mais essentiel à la fabrication d’un produit agricole, pouvait bénéficier du régime dérogatoire prévu pour l’agriculture. La Cour rejette le recours, confirmant ainsi la décision de la Commission. Elle estime que les clauses litigieuses ont pour objet même d’entraver la concurrence et qu’elles ne sont pas indispensables au bon fonctionnement de la coopérative, tout en éliminant la concurrence sur une part substantielle du marché. La solution adoptée par la Cour témoigne d’une application rigoureuse des règles de concurrence au modèle coopératif lorsque celui-ci détient une position dominante (I), tout en définissant une interprétation stricte du champ d’application du droit agricole dérogatoire (II).

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I. L’assujettissement de la coopérative dominante au droit commun de la concurrence

La Cour de justice confirme l’analyse de la Commission en qualifiant de manière non équivoque les clauses statutaires de restriction de concurrence par leur objet (A), avant de valider le refus d’exemption en raison du caractère disproportionné des contraintes imposées (B).

A. La caractérisation d’une restriction de concurrence par l’objet

La Cour examine les obligations statutaires de la coopérative non pas sous l’angle de leurs effets, mais à travers leur finalité intrinsèque. Elle juge que les dispositions qui contraignent les membres à un approvisionnement intégral auprès de la coopérative et qui les sanctionnent financièrement en cas de départ « ont clairement pour objet d’empêcher que les membres ne s’approvisionnent auprès d’autres fournisseurs ». Ce faisant, la Cour adopte une approche formaliste qui s’attache à la nature même de l’accord, sans qu’il soit nécessaire de démontrer un impact concret sur le marché. L’objet anticoncurrentiel est présumé dès lors que les clauses visent à isoler les membres de toute offre alternative, qu’elle émane d’autres producteurs ou de leur propre capacité de production. Cette analyse est renforcée par la position de la coopérative, qui représente la quasi-totalité de l’offre sur le marché national. En verrouillant l’accès à plus de 90 % de la demande nationale, représentée par ses membres, la coopérative ne se contente pas de régir les relations avec ses adhérents ; elle érige des barrières à l’entrée sur le marché national et consolide des cloisonnements qui entravent l’interpénétration économique voulue par le traité.

B. Le refus d’exemption fondé sur l’élimination de la concurrence

Après avoir établi l’infraction à l’article 85, paragraphe 1, la Cour se penche sur la possibilité d’une exemption au titre du paragraphe 3. Si la Commission avait admis que la coopérative contribuait à améliorer la production et la distribution, réservant un profit équitable aux utilisateurs, la Cour confirme que les deux autres conditions cumulatives faisaient défaut. Les restrictions imposées n’étaient pas indispensables et elles éliminaient la concurrence pour une partie substantielle des produits. Sur ce point, le raisonnement de la Cour est guidé par un principe de proportionnalité. Compte tenu de la position écrasante de la coopérative, une obligation d’achat à 100 %, renforcée par une clause de sortie onéreuse, apparaît comme une mesure excessive pour atteindre les objectifs d’efficacité et de stabilité de l’approvisionnement. D’autres mécanismes moins restrictifs, comme une obligation d’approvisionnement limitée dans le temps ou un simple préavis de démission, auraient pu suffire. De plus, en empêchant la quasi-totalité des producteurs de fromage néerlandais de se tourner vers d’autres fournisseurs, ces dispositions contribuent à « maintenir une situation où la concurrence est éliminée pour une partie substantielle des produits en cause ». La Cour sanctionne ici non pas le modèle coopératif en soi, mais l’usage de clauses d’une rigueur absolue qui, combinées à une position de quasi-monopole, anéantissent toute forme de concurrence sur le marché concerné.

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L’analyse de la Cour ne s’arrête pas à l’application du droit commun de la concurrence ; elle se prononce également sur le champ d’application du régime agricole dérogatoire, livrant une méthode d’interprétation stricte qui en limite la portée.

II. L’interprétation stricte du champ d’application du régime agricole dérogatoire

La Cour écarte l’application du règlement n° 26/62 en se fondant sur une lecture littérale de l’annexe II du traité (A), refusant par là même d’étendre le bénéfice de l’exception agricole aux matières auxiliaires (B).

A. La méthode d’interprétation de l’annexe II du traité

Face à l’argument de la coopérative selon lequel la présure relevait de l’annexe II, la Cour établit une règle d’interprétation claire et pragmatique. Elle constate qu’en l’absence de définitions communautaires propres, et puisque l’annexe II du traité reprend des positions de la nomenclature du Conseil de coopération douanière, il convient de se référer aux notes explicatives de cette nomenclature pour interpréter les notions qui y figurent. Or, la note explicative relative à la position 35.07 range explicitement la présure d’origine animale dans cette catégorie, laquelle n’est pas énumérée à l’annexe II. Cette approche méthodologique revêt une portée significative : elle offre une sécurité juridique en renvoyant à un instrument technique externe pour clarifier le droit communautaire. Elle ferme la porte à une interprétation extensive ou téléologique de l’annexe qui serait fondée sur la nature ou la fonction agricole d’un produit. La solution est donc textuelle et formaliste, privilégiant la prévisibilité à la souplesse.

B. Le rejet de l’extension du régime aux produits auxiliaires

La Cour répond ensuite à l’argument subsidiaire selon lequel la présure, même non listée, devrait bénéficier du règlement n° 26/62 en tant que produit de première transformation indispensable à la fabrication du fromage, un produit agricole par excellence. La Cour rejette fermement cette conception fonctionnelle. Elle rappelle que le champ d’application du règlement est expressément limité par son article premier « à la production et au commerce des produits énumérés à l’annexe II du traité ». Par conséquent, « on ne saurait donc appliquer ce règlement à la fabrication d’un produit qui ne relève pas de l’annexe II, même s’il constitue une matière auxiliaire à la production d’un autre produit qui relève, quant à lui, de cette annexe ». Cette décision confirme que les régimes dérogatoires au droit commun, et en particulier aux règles fondamentales de concurrence, doivent faire l’objet d’une interprétation stricte. L’exception agricole ne s’étend pas par contamination aux intrants ou aux matières auxiliaires. Pour bénéficier de ce régime, le produit doit lui-même figurer dans la liste exhaustive de l’annexe II. En agissant ainsi, la Cour prévient un élargissement incontrôlé du régime agricole dérogatoire et maintient la primauté des règles de concurrence comme principe cardinal du marché commun.

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Hassan KOHEN
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