Arrêt de la Cour du 26 février 1986. – Krohn & Co. Import – Export GmbH & Co. KG contre Commission des Communautés européennes. – Recours en indemnité – Articles 178 et 215, alinéa 2, du traité – Recevabilité. – Affaire 175/84.

Un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, rendu le 26 février 1986, vient préciser les conditions de recevabilité d’un recours en indemnité introduit par un particulier à l’encontre d’une institution communautaire. En l’espèce, une société importatrice de produits agricoles s’est vu refuser l’octroi de certificats d’importation par l’organisme compétent d’un État membre. Cette autorité nationale agissait dans le cadre d’un règlement communautaire d’application d’un accord de coopération commerciale, lequel prévoyait un mécanisme de contingentement géré conjointement par la Communauté et le pays tiers exportateur. La décision de refus de l’organisme national a été prise sur la base d’instructions formelles émises par une institution communautaire, qui estimait que les conditions fixées par l’accord n’étaient pas remplies. L’opérateur économique, estimant avoir subi un préjudice important du fait de ce refus qu’il jugeait illégal, a engagé deux procédures distinctes. D’une part, il a saisi la juridiction administrative nationale d’un recours en annulation contre la décision de l’organisme national. D’autre part, il a introduit un recours en responsabilité non contractuelle devant la Cour de justice, au titre des articles 178 et 215, alinéa 2, du traité CEE, visant à obtenir réparation du préjudice auprès de l’institution communautaire. Face à ce recours, l’institution défenderesse a soulevé plusieurs fins de non-recevoir, contestant la compétence de la Cour et la régularité de l’action. Se posait ainsi la question de savoir si l’action en responsabilité dirigée contre une institution communautaire est recevable lorsque le dommage résulte d’une décision formellement prise par une autorité nationale agissant sur instruction de ladite institution. De plus, la Cour devait déterminer si une telle action est subordonnée à l’épuisement préalable des voies de recours internes ou si elle est entravée par l’absence d’un recours en annulation contre les instructions à l’origine du dommage. La Cour de justice a déclaré le recours recevable, écartant l’ensemble des objections. Elle retient que l’illégalité alléguée est imputable à l’institution communautaire dès lors que celle-ci disposait du pouvoir d’imposer sa décision à l’organisme national. Elle juge en outre que l’action en indemnité, autonome, n’est pas conditionnée par l’épuisement des voies de recours nationales lorsque celles-ci ne peuvent assurer une réparation efficace du préjudice, et qu’elle n’est pas non plus empêchée par le caractère définitif de l’acte dommageable n’ayant pas fait l’objet d’un recours en annulation. Cet arrêt permet de clarifier l’articulation des responsabilités entre la Communauté et les États membres dans le cadre de la gestion partagée de réglementations (I), tout en consolidant l’autonomie de l’action en indemnité au sein du système de protection juridictionnelle de l’Union (II).

I. La consécration d’une responsabilité communautaire pour les actes d’exécution nationale

La Cour fonde sa compétence en recherchant l’auteur véritable de l’acte dommageable, au-delà de l’apparence formelle (A), établissant ainsi une distinction claire entre une simple coopération administrative et une véritable subordination fonctionnelle (B).

A. La recherche de l’auteur véritable de la décision dommageable

La Cour rappelle d’abord le principe selon lequel sa compétence, au titre de la responsabilité non contractuelle, se limite aux « dommages causés par les institutions communautaires ou les agents de celles-ci ». La réparation des dommages causés par les institutions nationales relève, quant à elle, de la compétence exclusive des juridictions nationales. Toutefois, dans le cas d’une décision prise par un organisme national en exécution d’une réglementation communautaire, la Cour estime nécessaire de vérifier si « l’illégalité alléguée à l’appui de la demande d’indemnité émane bien d’une institution communautaire ». Elle dépasse ainsi l’analyse formelle de l’auteur de l’acte pour examiner la marge de manœuvre réelle dont disposait l’autorité nationale. En l’espèce, le règlement d’application pertinent ne conférait pas à l’institution communautaire une simple faculté d’émettre un avis, mais lui attribuait le « pouvoir d’imposer » à l’organisme national le refus des certificats si les conditions de l’accord de coopération n’étaient pas respectées. L’institution ayant effectivement usé de cette prérogative en donnant des instructions fermes, la Cour conclut que l’acte litigieux lui est directement imputable. L’organisme national, étant tenu de se conformer à ces instructions, n’a exercé aucune volonté propre.

B. La distinction entre coopération et subordination dans l’exécution du droit communautaire

En imputant la responsabilité à l’institution communautaire, la Cour opère une distinction fondamentale. Elle écarte le raisonnement qui prévaudrait dans un système de simple coopération, où l’autorité nationale conserve son pouvoir d’appréciation malgré l’avis de l’institution. Ici, la relation s’apparente à une subordination, l’organisme national devenant le bras exécutant d’une décision prise au niveau communautaire. La Cour précise que l’illégalité « est imputable non pas à l’organisme national, qui était tenu de déférer aux instructions de la commission, mais bien à cette dernière ». Cette solution assure une cohérence essentielle : la responsabilité doit incomber à l’entité qui détient le pouvoir de décision effectif. Elle empêche ainsi les institutions communautaires de se dégager de leur responsabilité en déléguant l’exécution matérielle de leurs décisions à des agences nationales. La solution garantit au justiciable une protection juridictionnelle adéquate en lui permettant de s’adresser directement au véritable auteur du préjudice, sans être contraint de diriger son action contre une autorité nationale qui n’a agi que comme un simple intermédiaire. Cette approche pragmatique renforce la lisibilité et l’efficacité du contrôle juridictionnel dans le cadre complexe de l’administration indirecte du droit de l’Union.

II. L’affirmation de l’autonomie de l’action en responsabilité non contractuelle

Après avoir établi sa compétence, la Cour confirme le caractère autonome de l’action en indemnité, d’une part en rejetant l’exigence d’un épuisement préalable des voies de recours nationales (A), et d’autre part en la dissociant des conditions de recevabilité du recours en annulation (B).

A. Le rejet de la subsidiarité par rapport aux voies de recours internes

L’institution défenderesse soutenait que l’action en indemnité était irrecevable tant que les recours engagés par la société requérante devant la juridiction nationale n’avaient pas été épuisés. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’action en indemnité « a été instituée comme une voie autonome ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours ». Elle admet que la recevabilité de cette action peut, dans certains cas, être subordonnée à l’épuisement des recours internes, mais pose une condition stricte : il faut que ces recours nationaux « assurent d’une manière efficace la protection des particuliers intéressés en étant susceptibles d’aboutir à la réparation du dommage allégué ». Or, en l’espèce, la Cour observe que l’annulation de la décision de refus et l’octroi tardif des certificats d’importation, plusieurs années après les faits, ne sauraient compenser le préjudice commercial subi à l’époque par l’opérateur économique. La voie de recours nationale, bien que visant à l’annulation de l’acte, ne constitue donc pas un moyen efficace pour obtenir la réparation intégrale du dommage. Par conséquent, exiger son épuisement préalable viderait l’action en indemnité de sa substance.

B. L’indifférence de principe au caractère définitif de l’acte dommageable

L’institution défenderesse faisait également valoir que son instruction, bien qu’étant une décision individuelle affectant la requérante, n’avait pas fait l’objet d’un recours en annulation dans les délais et était devenue définitive. Selon elle, l’action en indemnité ne pouvait viser à contourner cette forclusion pour « annihiler les effets juridiques » de la décision. La Cour rejette cette argumentation en soulignant la finalité distincte des deux recours. Elle énonce clairement que l’action en indemnité « se différencie notamment du recours en annulation en ce qu’elle tend non à la suppression d’une mesure déterminée, mais à la réparation du préjudice causé par une institution ». Dès lors, « l’existence d’une décision individuelle devenue définitive ne saurait faire obstacle à la recevabilite d’un tel recours ». La Cour prend soin de distinguer cette situation du cas d’exception où une action en indemnité viserait en réalité au remboursement d’une somme versée en exécution d’une décision devenue définitive, ce qui reviendrait à un retrait déguisé de celle-ci. Ce n’étant pas le cas en l’espèce, où la demande porte sur la compensation d’un manque à gagner, la recevabilité de l’action est confirmée. Cette solution consolide l’action en responsabilité comme un instrument de protection à part entière, préservant le droit à réparation du justiciable même en l’absence de contestation de la légalité de l’acte dans les délais du recours en annulation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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