Par un arrêt du 13 mai 1980, la Cour de justice des Communautés européennes a clarifié le régime juridique applicable à la perte des certificats d’exportation dans le cadre de la politique agricole commune. En l’espèce, une entreprise d’exportation s’était vu dérober un certificat d’exportation portant sur une quantité de semoule de froment dur, lequel bénéficiait d’une préfixation du montant de la restitution. Se trouvant dans l’incapacité de réaliser l’opération d’exportation aux conditions avantageuses prévues, elle a saisi une juridiction nationale afin d’obtenir l’annulation du titre volé et son remplacement par un document équivalent. Le juge national, exerçant la faculté prévue à l’article 177 du traité CEE, a alors adressé à la Cour de justice deux questions préjudicielles. Il s’agissait, d’une part, de déterminer si l’article 17, paragraphe 7, du règlement n° 193/75 de la Commission, qui régit la perte des certificats, devait s’appliquer au cas de vol et, d’autre part, de s’interroger sur la validité de cette disposition au regard du principe de proportionnalité et des compétences dévolues à la Commission. La question de droit posée était donc de savoir si la dépossession involontaire d’un certificat d’exportation, par l’effet d’un vol, emportait la perte définitive du droit d’exporter aux conditions de préfixation attachées à ce titre, et si une telle règle était conforme au droit communautaire. La Cour a répondu que la réglementation interdisait effectivement la délivrance d’un titre de remplacement opérationnel et a jugé que cette disposition était valide, ne révélant aucun élément de nature à en affecter la légalité.
I. Une interprétation stricte des conséquences de la perte du certificat
La Cour de justice adopte une lecture rigoureuse du règlement, en se fondant sur la finalité du système des certificats agricoles, ce qui la conduit à assimiler le vol à une perte et à confirmer l’impossibilité d’obtenir un remplacement fonctionnel du titre.
A. L’assimilation du vol à la notion de perte
La demanderesse au principal soutenait que la notion de « perte » visée par le règlement devait être interprétée restrictivement et ne couvrait pas le cas du « vol », qui relèverait d’une catégorie juridique distincte. La Cour écarte cette argumentation en privilégiant une approche téléologique. Elle affirme que « le terme ‘perte’ au sens de l’article 17, paragraphe 7, doit être interprété en tenant compte de la fonction que ce paragraphe remplit dans le système communautaire des certificats ». L’objectif principal de la réglementation est d’assurer un contrôle précis des flux commerciaux et d’éviter les abus, notamment le double emploi d’un certificat à préfixation, qui pourrait engendrer des charges financières importantes pour la Communauté. Or, le risque de voir un certificat volé être utilisé frauduleusement par un tiers est identique au risque présenté par un certificat simplement égaré. La situation factuelle, à savoir la disparition du document et le danger d’une utilisation indue qui en découle, est la même dans les deux hypothèses. En conséquence, la Cour juge qu’il n’y a pas de raison de distinguer là où la finalité de la norme impose une solution unique, incluant de ce fait le vol dans le champ d’application de la disposition.
B. L’impossibilité d’obtenir un titre de remplacement opérationnel
L’article 17 du règlement n° 193/75 prévoit bien la possibilité pour l’opérateur de se voir délivrer un duplicata en cas de perte du document original. Cependant, la Cour souligne la portée limitée de ce duplicata en citant le texte même de la disposition, qui énonce clairement que « les duplicata ne peuvent pas être produits aux fins de la réalisation d’opérations d’importation ou d’exportation ». La fonction de ce document de remplacement n’est donc pas de restaurer le droit d’effectuer l’opération commerciale aux conditions du titre initial. Il ne sert qu’à des fins administratives, comme celle de permettre la libération de la caution lorsque l’opérateur peut prouver que l’exportation a bien été réalisée avant la perte du certificat. Le droit d’exporter avec un taux de restitution préfixé est ainsi indissociablement lié à la présentation du document original. La perte de celui-ci, quelle qu’en soit la cause, entraîne donc l’extinction de la faculté d’invoquer les conditions particulières qu’il matérialisait, sans possibilité d’obtenir un nouveau titre équivalent.
La sévérité de cette interprétation, qui fait peser une lourde conséquence sur l’opérateur, a logiquement conduit la juridiction de renvoi à interroger la Cour sur la validité même d’une telle règle.
II. La validation de la règle au regard des objectifs de la politique agricole commune
La Cour de justice confirme la validité de la disposition contestée en la jugeant à la fois conforme aux pouvoirs délégués à la Commission et respectueuse du principe de proportionnalité.
A. La confirmation de la compétence réglementaire de la Commission
L’un des arguments soulevés visait à contester la compétence de la Commission pour édicter une règle qui, en pratique, aboutit à l’extinction d’un droit. Il était soutenu que la Commission ne pouvait réglementer que les aspects formels et administratifs du document, et non le droit substantiel d’exporter. La Cour rejette cette distinction qu’elle juge artificielle dans le contexte du système des certificats. Elle rappelle que le Conseil a conféré à la Commission un large pouvoir pour arrêter les modalités d’application de ce régime. Surtout, elle observe que « la fonction conférée aux certificats (…) ne permet pas de faire la distinction entre le droit de réaliser l’opération et le document qui ne servirait que de support à ce droit ». Le certificat n’est pas un simple titre probatoire ; il est l’instrument même qui conditionne la réalisation de l’opération et l’application des conditions de préfixation. Le contrôle de son utilisation est donc essentiel à la gestion du marché. En adoptant une règle visant à garantir l’efficacité de ce contrôle, la Commission n’a donc pas excédé les compétences qui lui ont été déléguées.
B. Le respect du principe de proportionnalité
La question centrale était de savoir si la perte de l’avantage de la préfixation, subie par un opérateur de bonne foi, constituait une conséquence disproportionnée au regard de l’objectif de contrôle poursuivi. La Cour procède à une mise en balance des intérêts en présence. D’un côté, l’opérateur subit un préjudice économique certain. De l’autre, la Communauté a un intérêt impérieux à prévenir les fraudes et à disposer de prévisions fiables sur les échanges. La Cour estime que l’interdiction d’utiliser des duplicatas est une « mesure à la fois simple et efficace » pour parer au risque de double emploi. Elle considère que les systèmes de contrôle alternatifs ne présenteraient pas des garanties suffisantes. Surtout, elle replace la situation dans le contexte commercial global. Le système de préfixation constitue un avantage considérable offert aux opérateurs, les protégeant contre les fluctuations des taux. La Cour juge alors qu’« il est donc justifié qu’ils supportent les inconvénients qui découlent de la nécessité, pour la communauté, d’éviter tout abus ». Le risque de perte du certificat est présenté comme un risque commercial inhérent à l’activité de l’opérateur, contre lequel il lui appartient de prendre ses précautions, y compris en s’assurant. Pour ces motifs, la Cour conclut que « le risque supporté par les opérateurs (…) n’est pas disproportionné par rapport aux exigences de contrôle ».