Arrêt de la Cour du 26 mai 1981. – Procédure pénale contre Siegfried Ewald Rinkau. – Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad – Pays-Bas. – Convention judiciaire du 27 septembre 1968, protocole article II. – Affaire 157/80.

Un arrêt rendu en 1981 par la Cour de justice des Communautés européennes, sur renvoi préjudiciel du Hoge Raad des Pays-Bas, vient préciser l’interprétation de l’article II du protocole annexe à la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968. En l’espèce, une personne domiciliée en République fédérale d’Allemagne était poursuivie devant les juridictions néerlandaises pour avoir utilisé une installation radioélectrique sans autorisation. Le prévenu ne s’étant pas présenté à l’audience, son avocat a sollicité l’autorisation de le défendre. Le juge de première instance a accueilli cette demande, appliquant l’article II du protocole, avant de condamner le prévenu par défaut. Sur appel du ministère public, la juridiction supérieure a infirmé cette approche, considérant que l’infraction n’était pas involontaire au sens du protocole et a refusé à l’avocat le droit de défendre son client absent. Saisie d’un pourvoi, la plus haute juridiction néerlandaise a sursis à statuer afin de poser deux questions à la Cour de justice. Il s’agissait, d’une part, de savoir si la notion d’« infraction involontaire » devait s’entendre de toute infraction n’exigeant pas un élément intentionnel, ou seulement de celles se référant à une imprudence ou une négligence. D’autre part, il était demandé si le droit de se faire défendre sans comparaître était un droit général ou s’il était limité aux cas où les intérêts civils du prévenu sont en jeu. La Cour de justice a jugé que la notion d’infraction involontaire est une notion autonome visant toute infraction dont la définition légale n’exige pas l’intention de commettre l’acte, et que le droit à la défense s’étend à toute procédure de cette nature dès lors que la responsabilité civile du prévenu est ou pourrait être engagée.

Il convenait donc pour la Cour de justice de définir de manière autonome une notion clé de la coopération judiciaire (I), afin d’en déterminer précisément les conditions d’exercice (II).

I. L’élaboration d’une définition autonome de l’infraction involontaire

La Cour de justice a consacré une interprétation large de la notion d’« infraction involontaire » en la dégageant des particularités des droits nationaux (A), pour lui substituer un critère fonctionnel fondé sur les seuls éléments constitutifs de l’infraction (B).

A. Le rejet d’une interprétation dépendante des qualifications nationales

La Cour souligne d’emblée la nécessité d’assurer « l’égalité et l’uniformité des droits et obligations qui découlent de la convention ». Pour cette raison, elle juge que la notion d’« infraction involontaire » doit être considérée comme une « notion autonome qu’il y a lieu de préciser en se référant, d’une part, aux objectifs et au système de la convention et, d’autre part, aux principes généraux de l’ensemble des systèmes de droit nationaux ». Cette démarche est essentielle pour éviter des divergences d’application d’un État membre à l’autre, où les classifications pénales peuvent varier. En écartant une définition restrictive qui limiterait la notion aux seules infractions faisant explicitement référence à la *culpa*, la Cour prévient une fragmentation du droit à la défense garanti par le protocole. Elle s’oppose ainsi à une lecture qui aurait pu exclure de nombreuses infractions, notamment contraventionnelles, où l’élément moral n’est pas expressément défini en termes de négligence. L’autonomie de la notion assure ainsi que la protection offerte par la Convention ne dépende pas des subtilités ou des traditions juridiques de l’État de poursuite.

B. La consécration d’un critère matériel objectif

Pour définir cette notion autonome, la Cour retient un critère purement objectif. Elle se fonde sur la structure même de l’incrimination. Est ainsi considérée comme involontaire « toute infraction dont la définition légale n’exige pas, expressément ou par la nature même du délit qu’elle définit, l’existence dans le chef du prévenu de l’intention de commettre l’action ou l’omission pénalement sanctionnée ». L’analyse doit donc porter exclusivement sur le texte d’incrimination. Si celui-ci ne requiert pas la preuve d’un dol, qu’il soit général ou spécial, l’infraction entre dans le champ de l’article II du protocole. Cette solution présente une grande sécurité juridique, car elle permet au juge de déterminer facilement la nature de l’infraction sans avoir à se livrer à une appréciation complexe de l’état d’esprit du prévenu. Comme le relève la Cour, cette définition large permet d’atteindre l’un des objectifs du protocole, qui est de couvrir les « accidents de roulage », lesquels résultent le plus souvent d’une violation objective d’une règle de prudence.

Une fois la notion d’infraction involontaire clarifiée, la Cour se devait de délimiter le périmètre du droit à la défense qui y est attaché.

II. La délimitation du champ d’application du droit à la défense

La Cour conditionne l’exercice du droit de se faire défendre sans comparaître à l’existence d’un enjeu civil (A), tout en adoptant une vision large de cet enjeu qui inclut les risques futurs (B).

A. Le rattachement nécessaire de la procédure pénale à un enjeu civil

L’article II du protocole figure dans un instrument régissant la compétence en matière civile et commerciale. La Cour en tire une conséquence logique quant à son champ d’application. Elle rappelle que l’insertion de cette règle de procédure pénale est justifiée par « les conséquences en matière civile ou commerciale qui peuvent découler du jugement d’une juridiction répressive ». Le droit de se faire défendre sans comparaître personnellement n’a donc pas une portée générale et absolue dans toutes les procédures pénales. Il est spécifiquement conçu pour protéger le prévenu lorsque sa responsabilité civile pourrait être affectée par l’issue du procès pénal. La Cour écarte ainsi l’idée que ce droit pourrait être invoqué dans une affaire purement répressive, sans aucun lien avec des intérêts patrimoniaux. Cette finalité justifie la sanction prévue au second alinéa de l’article II : si la comparution personnelle est ordonnée mais n’a pas lieu, la décision sur l’action civile pourra ne pas être reconnue, soulignant le lien indissociable entre la garantie procédurale et ses implications civiles.

B. L’extension de la garantie à la responsabilité civile potentielle

La Cour ne limite cependant pas cette protection aux seuls cas où une action civile est effectivement jointe à l’action publique. Elle précise que le droit à la défense reconnu par le protocole « s’étend à toute procédure pénale relative à une infraction involontaire pour autant que la responsabilité civile du prévenu découlant des faits constitutifs de l’infraction pour laquelle il est poursuivi est retenue ou susceptible d’être ultérieurement mise en cause ». L’emploi du terme « susceptible » est déterminant, car il confère une portée préventive à la garantie. Le prévenu peut se faire défendre en son absence dès lors qu’un procès civil futur fondé sur les mêmes faits est une possibilité. Cette interprétation est particulièrement protectrice, car elle tient compte de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil qui existe dans de nombreux systèmes juridiques. Elle permet au prévenu de se défendre efficacement sur la matérialité des faits et sur sa faute dès le stade de la procédure pénale, même si aucune demande de réparation n’a encore été formulée.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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