Arrêt de la Cour du 26 mai 1993. – Dimitrios Tsiotras contre Landeshauptstadt Stuttgart. – Demande de décision préjudicielle: Bundesverwaltungsgericht – Allemagne. – Droit de séjour – Adhésion de la République hellénique. – Affaire C-171/91.

Par un arrêt du 7 juillet 1992, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée des droits conférés aux ressortissants d’un nouvel État membre au titre de la libre circulation des travailleurs. La décision portait sur la situation d’un individu dont le statut professionnel dans un autre État membre était déjà précaire au moment de l’adhésion de son pays d’origine à la Communauté.

En l’espèce, un ressortissant hellène, résidant en Allemagne depuis 1960 et y ayant exercé une activité salariée jusqu’en 1978, se trouvait au chômage au moment de l’adhésion de la République hellénique à la Communauté le 1er janvier 1981. Sa demande de prorogation de permis de séjour a été rejetée par les autorités allemandes en 1986, au motif qu’il n’exerçait plus d’emploi et que ses perspectives de réinsertion professionnelle étaient nulles.

Après l’épuisement des voies de recours internes, la juridiction administrative suprême allemande a saisi la Cour de justice de deux questions préjudicielles. Il s’agissait de déterminer si un ressortissant communautaire, qui était déjà au chômage avant l’adhésion de son pays et qui est demeuré sans emploi depuis, pouvait se prévaloir d’un droit de séjour en tant que travailleur à la recherche d’un emploi. La question se posait également de savoir si ce même individu pouvait bénéficier du droit de demeurer sur le territoire après y avoir travaillé, notamment en cas de survenance d’une incapacité de travail permanente durant la procédure. La Cour a estimé que les droits de séjour liés au statut de travailleur ne pouvaient être invoqués, car l’emploi antérieur n’avait pas été exercé dans le cadre du droit communautaire à la libre circulation.

La solution retenue par la Cour de justice conduit à une application stricte des conditions temporelles d’acquisition du statut de travailleur communautaire, limitant ainsi l’accès aux droits qui en découlent. L’analyse de la Cour se fonde sur une interprétation rigoureuse de la notion de travailleur au sens du droit communautaire (I), ce qui entraîne une exclusion logique du bénéfice du droit de demeurer sur le territoire de l’État d’accueil (II).

I. L’interprétation stricte de la notion de travailleur communautaire

La Cour de justice circonscrit le bénéfice du droit de séjour au travailleur ayant exercé une activité dans le cadre de la libre circulation, excluant de fait les situations antérieures à l’adhésion de l’État d’origine. Cette approche restrictive s’applique tant au droit de séjour du chômeur qu’à celui de la personne en recherche d’emploi.

A. L’exclusion du droit de séjour pour le chômeur pré-adhésion

La Cour examine d’abord la situation du ressortissant au regard de son passé de travailleur. Elle estime que le maintien du droit de séjour en cas de chômage involontaire est une protection accordée à celui qui a déjà exercé son droit à la libre circulation en tant que travailleur communautaire. En l’occurrence, le requérant avait perdu son emploi avant que son statut de citoyen communautaire ne lui soit reconnu par l’adhésion de son pays. Son activité salariée antérieure relevait donc exclusivement du droit national allemand et des conventions bilatérales alors en vigueur.

La Cour souligne que « le droit de séjour accordé par le droit communautaire aux travailleurs ressortissants des États membres qui se trouvent en situation de chômage dans l’État membre d’accueil suppose que ces travailleurs aient auparavant occupé un emploi salarié dans ledit État membre dans le cadre de l’exercice du droit à la libre circulation ». Ainsi, l’emploi exercé avant l’adhésion ne constitue pas un fondement suffisant pour ouvrir droit au maintien sur le territoire en tant que chômeur au sens du droit communautaire. La solution consacre une absence de rétroactivité des droits issus du traité.

B. Le rejet du droit de séjour au titre de la recherche d’emploi

La Cour analyse ensuite la situation du ressortissant en tant que personne à la recherche d’un emploi. Elle rappelle sa jurisprudence antérieure selon laquelle un ressortissant communautaire dispose d’un délai raisonnable pour trouver un emploi dans un autre État membre. Cependant, ce droit n’est pas illimité dans le temps et dépend des chances réelles de l’individu d’être engagé.

La Cour précise que si, après l’écoulement d’un certain délai, « l’intéressé apportait la preuve qu’il continue à chercher un emploi et qu’il a des chances véritables d’être engagé, il ne pouvait être contraint de quitter le territoire de l’État membre d’accueil ». Or, dans le cas présent, plusieurs années s’étaient écoulées depuis l’adhésion sans que l’individu ait retrouvé un travail, et la juridiction de renvoi avait elle-même constaté l’impossibilité objective pour lui d’obtenir un emploi. Dans ces conditions, le droit de séjourner pour rechercher un emploi ne pouvait plus être valablement invoqué.

II. La consécration d’une condition préalable à l’exercice du droit de demeurer

La Cour de justice déduit logiquement de son analyse l’impossibilité pour le ressortissant de bénéficier du droit de demeurer, un droit qui est lui-même conditionné par l’exercice antérieur de la libre circulation. L’incapacité de travail survenue postérieurement ne saurait pallier l’absence de ce prérequis fondamental.

A. La subordination du droit de demeurer à l’exercice antérieur de la libre circulation

Le droit de demeurer sur le territoire d’un État membre après y avoir occupé un emploi est conçu comme l’aboutissement du parcours d’un travailleur migrant. Il permet à celui qui a contribué à l’économie d’un État d’accueil de s’y maintenir durablement après la fin de sa vie active. La Cour affirme ce principe avec constance en liant ce droit à la qualité de travailleur communautaire.

La Cour énonce clairement que « le droit de demeurer sur le territoire de l’État membre d’accueil suppose que l’intéressé y ait occupé, au préalable, un emploi salarié dans le cadre de la libre circulation des travailleurs ». Cette condition n’étant pas remplie en l’espèce, le requérant ne peut prétendre à ce droit. Le raisonnement confirme que les différents droits accordés aux travailleurs par le droit communautaire forment un ensemble cohérent, dont l’accès est conditionné par une porte d’entrée unique : l’exercice effectif de la libre circulation pour occuper un emploi.

B. L’indifférence de la survenance de l’incapacité de travail

Le requérant invoquait subsidiairement une incapacité de travail permanente survenue au cours de la procédure juridictionnelle. Cette circonstance aurait pu, en théorie, lui ouvrir le droit de demeurer. Toutefois, la Cour écarte cet argument en le jugeant inopérant. L’incapacité de travail ne crée pas un droit autonome, mais constitue l’un des faits générateurs du droit de demeurer pour celui qui a déjà la qualité de travailleur migrant.

Le fait que l’incapacité se soit manifestée durant une période de séjour tolérée uniquement pour les besoins de la procédure judiciaire est sans incidence. Ce séjour précaire, autorisé à des fins procédurales, ne saurait être assimilé à une période d’activité ou de résidence régulière susceptible de créer de nouveaux droits. La Cour confirme ainsi une application rigoureuse de la chronologie des faits, refusant de prendre en compte des événements postérieurs à la perte du statut pertinent au regard du droit communautaire.

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