Arrêt de la Cour du 27 février 1985. – Société des produits de maïs SA contre Administration des douanes et droits indirects. – Demande de décision préjudicielle: Tribunal d’instance de Paris 1er – France. – Montants compensatoires monétaires sur les produits derivés du maïs – Conséquences de la non-validité d’un règlement. – Affaire 112/83.

Par un arrêt du 22 mai 1985, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée de ses décisions préjudicielles constatant l’invalidité d’un règlement communautaire. En l’espèce, une société spécialisée dans la transformation de maïs avait sollicité auprès de l’administration douanière nationale le remboursement de montants compensatoires monétaires qu’elle estimait avoir indûment versés. Cette demande se fondait sur un précédent arrêt de la Cour qui avait déclaré invalide le règlement de la Commission instituant ces montants.

La procédure engagée par l’entreprise faisait suite à une situation juridique complexe. Dans une affaire antérieure du 15 octobre 1980, la Cour avait effectivement prononcé l’invalidité du règlement en question, mais avait assorti sa décision d’une limitation de ses effets dans le temps. Elle avait précisé que cette invalidité ne pouvait justifier la remise en cause des paiements effectués antérieurement à la date de son arrêt. Saisis de l’affaire initiale, les juges du fond avaient toutefois écarté cette limitation, estimant que la Cour avait excédé sa compétence, et avaient ordonné le remboursement des sommes. Forte de ce précédent, la société requérante dans la présente affaire a engagé une nouvelle action en remboursement. L’administration douanière lui a opposé une fin de non-recevoir, tirée précisément de la limitation temporelle fixée par la Cour dans son arrêt de 1980. Le tribunal d’instance de Paris, confronté à cette contradiction, a alors décidé de surseoir à statuer et a posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour.

Il était ainsi demandé à la Cour de justice de clarifier l’autorité de ses arrêts préjudiciels en invalidité et, plus spécifiquement, de déterminer si elle dispose du pouvoir de moduler les effets de telles décisions dans le temps. La question centrale était de savoir si une constatation d’invalidité prononcée par la Cour dans le cadre de l’article 177 du traité CEE pouvait être privée d’effet rétroactif, et si une telle limitation s’imposait à toutes les juridictions nationales.

La Cour répond que la constatation d’invalidité d’un acte réglementaire, bien qu’adressée au juge du renvoi, constitue une raison suffisante pour tout autre juge de considérer cet acte comme non valide. Elle ajoute que la faculté de limiter dans le temps les effets de cette invalidité est une compétence qui lui est réservée par le traité, justifiée par des exigences de sécurité juridique. En conséquence, la Cour confirme que l’invalidité du règlement ne permet pas de remettre en cause les paiements effectués par les autorités nationales pour la période antérieure à l’arrêt d’invalidation.

La décision commentée établit ainsi fermement l’autorité des arrêts préjudiciels en invalidité (I), avant de consacrer le pouvoir de la Cour d’en moduler les conséquences temporelles (II).

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I. L’affirmation de l’autorité des arrêts préjudiciels en invalidité

L’arrêt précise d’abord la portée générale qui s’attache à une constatation d’invalidité (A), puis clarifie le rôle qui incombe dès lors au juge national (B).

A. La portée générale de la constatation d’invalidité

La Cour énonce avec force qu’un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel et constatant l’invalidité d’un acte communautaire déploie ses effets au-delà du seul litige au principal. Elle juge en effet qu’une telle décision, « bien qu’il ne soit adressé directement qu’au juge qui a saisi la cour, constitue une raison suffisante pour tout autre juge de considérer cet acte comme non valide pour les besoins d’une décision qu’il doit rendre ». Ce faisant, elle confère une autorité *erga omnes* à ses arrêts préjudiciels en invalidité, ce qui garantit une application uniforme du droit communautaire sur l’ensemble du territoire de la Communauté.

Cette solution est indispensable pour préserver la cohérence du système juridique intégré. Admettre le contraire reviendrait à accepter qu’un même règlement puisse être considéré comme valide dans un État membre et invalide dans un autre, créant une insécurité juridique et des distorsions de concurrence incompatibles avec les objectifs du traité. La Cour prévient ainsi une fragmentation du droit communautaire qui résulterait d’appréciations divergentes des juridictions nationales. L’invalidité constatée s’impose donc à toutes les autorités, administratives comme judiciaires, des États membres.

B. Le rôle du juge national face à une invalidité constatée

La conséquence directe de cette autorité généralisée est la définition stricte du rôle du juge national. Ce dernier n’a pas la faculté d’apprécier lui-même la validité d’un acte communautaire déjà déclaré invalide par la Cour. L’arrêt rendu en application de l’article 177 du traité le lie et il doit en tirer toutes les conséquences pour le litige dont il est saisi. En l’espèce, la Cour censure implicitement mais fermement la position du tribunal d’instance de Lille, qui avait estimé que la Cour avait outrepassé sa compétence en modulant les effets de sa décision.

Le juge national devient ainsi l’exécuteur de la décision de la Cour de justice. Sa mission consiste à appliquer la solution dégagée par la juridiction communautaire, sans pouvoir en contester le bien-fondé ni en modifier la portée. Cette articulation des compétences est essentielle au fonctionnement du dialogue des juges. Le juge national conserve la maîtrise des faits et de la procédure interne, mais l’interprétation et l’appréciation de la validité du droit communautaire relèvent du monopole de la Cour, dont les décisions s’imposent avec une autorité absolue.

II. La consécration du pouvoir de modulation des effets d’une invalidité

Après avoir posé le principe de l’autorité de ses arrêts, la Cour justifie sa compétence pour en limiter les effets dans le temps (A) et précise les modalités de sa mise en œuvre (B).

A. Le fondement du pouvoir de limitation temporelle

L’aspect le plus significatif de l’arrêt réside dans la justification du pouvoir de la Cour de moduler les effets d’une déclaration d’invalidité. Elle fonde cette compétence sur une interprétation combinée des articles 174 et 177 du traité, en invoquant « la nécessaire cohérence entre le renvoi préjudiciel et le recours en annulation ». L’article 174, alinéa 2, permet expressément à la Cour, dans le cadre d’un recours en annulation, de maintenir certains effets d’un règlement annulé si des considérations impérieuses le justifient. Par analogie, la Cour s’octroie une faculté similaire dans le cadre du renvoi préjudiciel.

Le fondement matériel de cette limitation est la sécurité juridique. La Cour expose que la remise en cause rétroactive d’un acte réglementaire, sur la base duquel d’innombrables situations juridiques ont pu être constituées de bonne foi, engendrerait des conséquences graves pour l’ordre juridique communautaire et les finances publiques des États membres. Cette approche pragmatique permet de concilier le respect de la légalité avec la nécessité de préserver la stabilité des relations juridiques. La Cour se reconnaît ainsi un pouvoir régulateur qui dépasse la simple fonction de dire le droit.

B. La mise en œuvre discrétionnaire de la limitation par la Cour

La Cour précise qu’il lui appartient de déterminer, dans chaque cas d’espèce, les effets d’un acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs. Elle dispose à cet égard d’un « pouvoir d’appréciation pour déterminer concrètement » l’étendue de la limitation. Elle peut ainsi choisir de faire une exception en faveur de la partie qui a introduit le recours ou de tout opérateur ayant agi en temps utile, ou au contraire, comme en l’espèce, d’appliquer la limitation à l’ensemble des situations passées sans distinction.

Dans la présente affaire, la Cour confirme la solution retenue dans l’arrêt de 1980 et la rend opposable à la société requérante. Elle énonce clairement que « L’invalidité constatée […] ne permet pas de remettre en cause la perception ou le paiement des montants compensatoires monétaires effectués par les autorités nationales sur la base de ces dispositions, pour la période antérieure à la date de l’arrêt d’invalidation ». En refusant le remboursement, la Cour fait prévaloir les impératifs de sécurité juridique sur le principe de la répétition de l’indu. Cette décision établit la Cour non seulement comme une gardienne de la légalité, mais aussi comme une administratrice des conséquences de ses propres jugements.

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