Arrêt de la Cour du 27 février 1992. – Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. – Manquement – Directive CEE – Non-transposition dans les délais prescrits. – Affaire C-377/90.

Par un arrêt en manquement du 12 décembre 1991, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur les obligations incombant aux États membres dans le cadre de la transposition des directives. En l’espèce, une directive du Conseil du 9 novembre 1987, relative à l’accès à la profession de transporteur de marchandises par voie navigable, imposait aux États membres de mettre en vigueur les mesures de transposition nécessaires au plus tard le 30 juin 1988 et d’en informer immédiatement la Commission. Constatant qu’un État membre n’avait procédé à aucune communication des dispositions adoptées, la Commission a engagé une procédure en manquement. Après une mise en demeure puis un avis motivé restés sans réponse, l’institution a saisi la Cour de justice afin de faire constater la défaillance de l’État au regard de ses obligations. Pour sa défense, le gouvernement de l’État membre a reconnu ne pas avoir pris les mesures nécessaires, invoquant pour ce faire de nombreuses difficultés internes et institutionnelles. La question soumise à la Cour était donc de déterminer si des difficultés d’ordre interne pouvaient justifier le non-respect par un État membre de son obligation de communiquer les mesures de transposition d’une directive dans le délai imparti. La Cour de justice écarte une telle justification en se fondant sur une jurisprudence constante et déclare que l’État membre a manqué à ses obligations. Elle limite toutefois la portée de sa constatation au seul grief de l’absence de communication, conformément à l’objet du recours introduit par la Commission.

Cet arrêt offre l’occasion de rappeler la rigueur avec laquelle la Cour apprécie les obligations procédurales qui pèsent sur les États membres, distinguant le manquement formel lié à la communication des mesures de l’obligation matérielle de transposition (I). Il permet également de réaffirmer avec force un principe fondamental de l’ordre juridique communautaire, celui de l’inopposabilité des circonstances internes pour justifier un manquement (II).

I. La consécration d’un manquement formel autonome

La Cour de justice circonscrit son analyse à la seule obligation de communication des mesures de transposition. Elle caractérise ainsi un manquement formel (A) qui découle directement de l’obligation de coopération loyale (B).

A. La caractérisation d’un manquement à l’obligation de communication

Dans sa décision, la Cour prend soin de souligner que « la Commission a limité l’objet de son recours à l’absence de communication des mesures adoptées pour la mise en œuvre de la directive ». En conséquence, elle juge qu’elle « ne peut accueillir le recours que dans cette limite ». Cette précision est essentielle car elle distingue deux types de manquements potentiels : celui, matériel, de ne pas avoir transposé la directive en droit interne, et celui, formel, de ne pas avoir communiqué les mesures de transposition à la Commission. L’État défendeur avait lui-même admis que « les mesures nécessaires pour transposer la directive en droit interne n’avaient pas été prises ». Pourtant, la Cour ne se prononce pas sur ce point, son contrôle étant strictement encadré par les termes de la saisine.

Le manquement constaté est donc celui prévu à l’article 11 de la directive, qui impose non seulement de mettre en vigueur les mesures mais aussi d’en « informer immédiatement la Commission ». Il s’agit d’une obligation de résultat, dont le non-respect dans le délai fixé suffit à caractériser la défaillance de l’État membre. La Cour n’a pas à rechercher les raisons de cette absence de communication ni à vérifier l’état d’avancement de la transposition. La simple constatation matérielle de l’expiration du délai sans que la communication ait eu lieu établit le manquement.

B. Une exigence issue de l’obligation de coopération loyale

L’obligation d’information posée par la directive est une expression spécifique du principe de coopération loyale, alors énoncé à l’article 5 du traité CEE. Ce principe impose aux États membres de prendre toutes mesures propres à assurer l’exécution des obligations découlant du traité et des actes des institutions. Il implique également qu’ils facilitent l’accomplissement de la mission de la Commission, laquelle, en tant que gardienne des traités, doit pouvoir contrôler la bonne et uniforme application du droit communautaire. Sans la communication des textes nationaux, un tel contrôle est impossible.

En sanctionnant le silence de l’État membre, la Cour réaffirme que la transposition d’une directive ne s’achève pas avec l’adoption des normes internes. La notification à la Commission en est une composante indissociable, garantissant la transparence et l’effectivité du suivi de l’application du droit de l’Union. Le manquement sanctionné, bien que de nature formelle, porte ainsi atteinte au bon fonctionnement du système juridique communautaire dans son ensemble, en privant la Commission des moyens d’exercer sa surveillance.

La solution de la Cour, bien que techniquement circonscrite, repose sur un principe structurel de l’ordre juridique communautaire, dont la portée dépasse largement le cas d’espèce.

II. Le rejet constant des justifications tirées de l’ordre interne

La Cour de justice profite de cette affaire pour rappeler fermement l’impossibilité pour un État membre d’invoquer des difficultés internes pour s’exonérer de ses obligations (A), garantissant ainsi la primauté et l’effectivité du droit communautaire (B).

A. L’inopposabilité des difficultés institutionnelles internes

Face au manquement constaté, le gouvernement de l’État défendeur a avancé l’existence de « nombreuses difficultés internes et institutionnelles ». L’argument est balayé par la Cour de manière péremptoire. Elle énonce en effet que « ce genre de difficultés ne peut pas justifier, selon une jurisprudence constante […], qu’un État membre ne prenne pas les mesures nécessaires à la mise en œuvre d’une directive ». Cette formule, classique dans la jurisprudence en matière de manquement, réaffirme que la nature et l’organisation de l’ordre juridique interne d’un État membre relèvent de sa seule responsabilité.

Qu’il s’agisse de complexités liées à la répartition des compétences entre entités fédérales et régionales, de blocages politiques, de lenteurs administratives ou de contraintes parlementaires, aucune de ces circonstances ne peut être valablement opposée à l’Union pour justifier un retard ou une absence de transposition. Les États membres sont tenus d’aménager leurs procédures internes de manière à garantir le respect en temps utile de leurs engagements européens. En refusant de prendre en considération de telles justifications, la Cour préserve l’autonomie du droit communautaire et son application uniforme dans tous les États membres.

B. La garantie de l’effectivité et de la primauté du droit communautaire

Le refus d’admettre des justifications fondées sur des situations internes est la clé de voûte de l’ordre juridique communautaire. Accepter de telles excuses reviendrait à permettre à un État de se prévaloir de son propre droit ou de ses propres dysfonctionnements pour paralyser l’application d’une norme européenne. Cela viderait de leur substance les obligations imposées par les traités et les directives, dont l’effectivité serait alors subordonnée au bon vouloir et aux contingences politiques de chaque État membre. La force contraignante du droit communautaire serait ainsi irrémédiablement compromise.

En jugeant de la sorte, la Cour de justice ne fait pas seulement œuvre de rigueur juridique ; elle assure la cohésion et la pérennité de l’Union. Le principe selon lequel un État ne peut invoquer son droit interne pour se soustraire à ses obligations internationales est un principe fondamental du droit international public, mais il acquiert une force particulière en droit communautaire en raison de la nature intégrée de cet ordre juridique. L’arrêt, bien que rendu dans une affaire aux faits simples, constitue ainsi une manifestation exemplaire de la fermeté avec laquelle la Cour de justice veille au respect des principes qui fondent l’Union de droit.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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