L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes dans l’affaire 1251/79 offre un éclaircissement sur les conditions d’octroi des aides agricoles financées par la Communauté. Un État membre a contesté une décision de la Commission refusant de prendre en charge des dépenses relatives à des aides pour le stockage de vin. L’institution estimait que les contrats de stockage avaient été conclus après l’expiration du délai réglementaire fixé au 15 février 1972 pour la campagne en cause. L’État membre soutenait, pour sa part, que la conclusion des contrats était intervenue dès la réception des demandes des producteurs, avant cette date butoir, même si la formalisation écrite de ces accords était postérieure. La procédure administrative impliquait en effet une demande de l’opérateur, une vérification par les autorités nationales, puis la rédaction d’un acte formel. S’estimant lésé par le refus de financement, l’État membre a saisi la Cour de justice d’un recours en annulation. Il prétendait que, selon les règles générales du droit des contrats, l’accord des volontés était suffisant pour former le contrat, la vérification ultérieure ne constituant qu’une condition résolutoire. Il arguait également qu’un règlement communautaire postérieur, modifiant la date de début de validité des contrats, avait créé une confiance légitime quant à la validité de sa pratique administrative. La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer à quel moment un contrat d’aide au stockage peut être considéré comme « conclu » au sens du droit communautaire. Il s’agissait plus précisément de savoir si la simple soumission d’une demande par un producteur suffisait à former le contrat, ou si la conclusion n’intervenait qu’avec la formalisation d’un acte écrit après vérification par l’organisme d’intervention. La Cour a jugé que le droit à une aide ne pouvait naître avant que les conditions de son octroi ne soient vérifiées. Elle a donc rejeté l’interprétation de l’État membre et validé la position de la Commission.
Cette décision conduit à examiner la conception stricte de la formation du contrat d’aide retenue par la Cour (I), avant d’analyser l’application rigoureuse du principe de protection de la confiance légitime (II).
I. Une conception rigoureuse de la formation du contrat d’aide au stockage
La Cour de justice a précisé les contours de la notion de « conclusion » du contrat en écartant une approche purement consensualiste (A) au profit d’une interprétation qui consacre la nécessité d’un acte formel (B).
A. Le rejet d’une formation du contrat par le seul échange des consentements
L’État membre requérant fondait son argumentation sur une conception civiliste du contrat, où la rencontre d’une offre et d’une acceptation suffit à parfaire l’accord. Dans cette optique, l’ouverture de la possibilité de contracter par la réglementation constituait une offre publique, et la demande du producteur valait acceptation. La Cour a cependant refusé d’appliquer cette logique au régime des aides communautaires. Elle a estimé qu’une telle interprétation aurait des conséquences contraires aux objectifs de la réglementation. En effet, « une interpretation de la notion de ‘conclusion’ du contrat qui permettrait de fonder un droit a l’aide communautaire avant meme qu’il soit etabli que les conditions regissant cette aide sont reunies ne saurait etre retenue. » Le raisonnement de la Cour repose sur la finalité du système d’aides, qui vise à stabiliser les marchés en s’assurant que seuls les opérateurs et les produits éligibles en bénéficient. Les vérifications effectuées par l’organisme d’intervention ne sont donc pas une simple formalité ou une condition résolutoire d’un droit déjà acquis, mais une condition suspensive de la naissance même de ce droit. Accepter la thèse de l’État membre aurait conduit à reconnaître un droit à l’aide de manière prématurée et incertaine.
B. La consécration de la formalisation écrite comme moment de la conclusion
En conséquence du rejet de la thèse consensualiste, la Cour a consacré une interprétation formaliste de la conclusion du contrat. Elle s’est appuyée sur l’article 9 du règlement n° 1437/70, qui prévoyait une forme écrite pour le contrat de stockage. Pour la Cour, cette exigence n’est pas seulement probatoire mais constitutive de l’accord. Le contrat n’est donc parfait qu’à l’issue de la procédure de contrôle menée par l’autorité compétente. C’est à cet instant précis que l’ensemble des conditions d’éligibilité sont confirmées et que l’engagement des deux parties peut être valablement scellé. La Cour affirme ainsi que « le contrat n’est parfait qu’au moment de la confection de l’acte ecrit, apres verification de tous les elements pertinents par l’organisme d’intervention. » Cette solution assure la sécurité juridique et garantit une application uniforme de la réglementation dans tous les États membres, en évitant que la date de conclusion du contrat dépende des aléas et des délais propres à chaque administration nationale. La distinction proposée par l’État membre entre la « conclusion » et la « stipulation formelle » est ainsi jugée artificielle et dépourvue de pertinence juridique.
II. Une application stricte du principe de protection de la confiance légitime
Outre la question de la formation du contrat, la Cour s’est prononcée sur le moyen tiré de la confiance légitime, en réaffirmant l’exigence d’une erreur imputable à une institution communautaire (A) et en jugeant qu’une simple modification réglementaire ne suffisait pas à créer une telle confiance (B).
A. L’exigence d’une erreur imputable à une institution communautaire
L’État membre soutenait que l’éventuelle irrégularité de sa pratique devait être couverte par le principe de confiance légitime. La Cour rappelle sa jurisprudence constante en matière d’apurement des comptes du FEOGA. Selon cette jurisprudence, la prise en charge de dépenses effectuées sur la base d’une interprétation erronée du droit communautaire n’est possible qu’à une condition restrictive. L’erreur d’interprétation doit pouvoir être imputée à une institution de la Communauté. La Cour énonce clairement que « la commission ne serait tenue de faire prendre en charge par le feoga les depenses effectuees sur cette base que si l’interpretation erronee pouvait etre imputee a une institution de la communaute. » Ce principe vise à protéger les finances de la Communauté contre les conséquences des erreurs commises par les administrations nationales. Il impose à ces dernières une obligation de diligence dans l’application du droit communautaire, la charge financière de leurs propres erreurs ne pouvant, en principe, être reportée sur le budget commun. La barre est donc placée haut pour l’État membre qui cherche à se prévaloir de la confiance légitime dans ce contexte.
B. Le refus de reconnaître une confiance légitime née d’une modification réglementaire
L’État membre tentait de démontrer que son erreur était imputable à la Commission, qui avait adopté le règlement n° 176/72 en connaissance des retards administratifs de l’organisme d’intervention national. Ce règlement permettait, par dérogation, de faire commencer la période de validité du contrat au jour de la réception de la demande. L’État membre y voyait une validation implicite de sa pratique. La Cour a minutieusement examiné les faits et a constaté que la genèse de ce règlement ne soutenait pas une telle interprétation. Les pièces du dossier montraient que la délégation de l’État membre avait demandé une modification de la « date de validité » des contrats, et non une prolongation du délai pour leur « conclusion ». La Commission avait accédé à cette demande spécifique et technique sans pour autant remettre en cause le délai impératif de conclusion des contrats. La Cour a conclu que l’institution n’avait eu aucun comportement susceptible d’induire l’État membre en erreur. Le fait que « le gouvernement italien n’a pu etablir que son interpretation erronee du reglement n° 176/72 serait imputable au comportement de la commission » a scellé le sort du moyen. Cet arrêt illustre que la confiance légitime ne peut naître d’une interprétation extensive et non fondée d’un texte réglementaire, même si celui-ci intervient dans un contexte de difficultés administratives avérées.