Arrêt de la Cour du 27 janvier 1982. – Birra Wührer SpA et autres contre Conseil et Commission des Communautés européennes. – Gritz – Prescription de l’action en responsabilité extracontractuelle. – Affaires jointes 256/80, 257/80, 265/80, 267/80 et 5/81.

La Cour de justice des Communautés européennes, par un arrêt rendu le 27 mai 1982, a précisé les modalités de computation du délai de prescription pour les actions en responsabilité non contractuelle à l’encontre de la Communauté. En l’espèce, plusieurs entreprises du secteur agroalimentaire se sont vu privées de restitutions à la production en raison de l’adoption de règlements communautaires en mars 1975. Ces règlements ayant été ultérieurement déclarés invalides par la Cour, les entreprises ont engagé des recours en indemnité afin d’obtenir réparation du préjudice subi entre août 1975 et octobre 1977, période durant laquelle les restitutions n’ont pas été versées. Le Conseil et la Commission ont opposé à ces recours une exception d’irrecevabilité, arguant de l’expiration du délai de prescription quinquennal prévu à l’article 43 du statut de la Cour. Selon les institutions défenderesses, ce délai aurait commencé à courir dès la publication des règlements illicites en mars 1975, rendant ainsi tardives les demandes introduites en 1980. Les sociétés requérantes soutenaient au contraire que le délai n’avait pu débuter qu’à la date où leur préjudice était devenu effectif, c’est-à-dire au moment où elles auraient dû percevoir les restitutions. Il appartenait donc à la Cour de déterminer à partir de quel événement le délai de prescription de l’action en responsabilité extracontractuelle de la Communauté commence à courir lorsque le dommage allégué découle d’un acte normatif. La Cour de justice rejette l’exception d’irrecevabilité en jugeant que le délai de prescription ne peut commencer à courir avant que toutes les conditions de l’obligation de réparation ne soient réunies, et notamment avant que le dommage à réparer ne se soit concrétisé.

La solution retenue par la Cour de justice subordonne ainsi le point de départ de la prescription à la matérialisation effective du dommage (I), consacrant une interprétation protectrice des droits des justiciables dont la portée est générale (II).

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I. La subordination du point de départ de la prescription à la matérialisation du dommage

La Cour de justice fonde sa décision sur un rappel des conditions cumulatives de la responsabilité extracontractuelle (A), ce qui la conduit logiquement à écarter une conception formelle du point de départ du délai de prescription (B).

A. Le rappel des conditions de la responsabilité extracontractuelle

La Cour ancre son raisonnement dans les dispositions combinées de l’article 215 du traité CEE et de l’article 43 de son statut. Elle énonce de manière didactique que « l’engagement de la responsabilite extracontractuelle de la communaute et la mise en oeuvre du droit a la reparation du prejudice subi dependent de la reunion d’un ensemble de conditions relatives a l’existence d’un acte illicite des institutions communautaires, d’un dommage reel et d’un lien de causalite entre eux ». Cette exigence d’un triptyque – illégalité, préjudice, causalité – constitue le fondement du droit à réparation. En conséquence, aucune action en responsabilité ne peut prospérer tant que l’un de ces trois éléments fait défaut. La Cour souligne que l’obligation de réparation de la Communauté n’naît qu’au moment où ces conditions sont cumulativement remplies. C’est de cette prémisse fondamentale que découle toute l’analyse relative à la prescription de l’action.

B. Le rejet d’un point de départ formel de la prescription

Face à l’argument des institutions défenderesses qui fixaient le point de départ du délai à la date de publication des règlements litigieux, la Cour oppose une logique matérielle. Elle affirme que « le delai de prescription de l’action en responsabilite de la communaute ne saurait commencer a courir avant que ne soient reunies toutes les conditions auxquelles se trouve subordonnee l’obligation de reparation et notamment avant que le dommage a reparer soit concretise ». Lier le début de la prescription à la seule survenance du fait générateur illicite, en l’occurrence l’adoption d’un règlement, reviendrait à faire courir un délai d’action avant même que le titulaire de cette action dispose d’un préjudice certain à faire valoir. En l’espèce, le préjudice des entreprises ne s’est pas produit à la date de publication des textes, mais de manière successive, chaque fois qu’une opération de production ouvrant droit à une restitution n’a pas été suivie du paiement correspondant. Le dommage, simplement potentiel en mars 1975, n’est devenu réel et certain qu’à partir du moment où les paiements attendus n’ont pas été effectués.

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II. La consécration d’une solution protectrice à la portée générale

La décision de la Cour se distingue par son pragmatisme et son équité, ce qui en renforce la valeur (A), tout en établissant un principe destiné à régir durablement la matière (B).

A. La valeur de la solution : une interprétation pragmatique et équitable

En refusant de dissocier le point de départ de la prescription de l’existence d’un préjudice actuel, la Cour adopte une solution conforme aux intérêts légitimes des justiciables. Admettre la thèse du Conseil et de la Commission aurait abouti à une situation inique : les entreprises auraient pu voir leur droit à agir s’éteindre avant même d’avoir subi l’intégralité de leur dommage. Une telle approche aurait privé de toute effectivité le droit à un recours en responsabilité. La solution retenue est donc pragmatique, car elle prend en compte la réalité économique des situations où un acte normatif produit des effets dommageables différés ou continus dans le temps. En exigeant que le dommage soit concrétisé pour que le délai commence à courir, la Cour garantit que la victime dispose bien des cinq années prévues par les textes pour préparer et introduire sa demande en réparation à compter du moment où son droit est né.

B. La portée de la décision : la définition d’un principe applicable aux actes normatifs

Au-delà des circonstances de l’espèce, la Cour de justice formule une règle de portée générale. Elle juge que « s’agissant des cas ou la responsabilite de la communaute trouve sa source dans un acte normatif, ce delai de prescription ne saurait commencer a courir avant que les effets dommageables de cet acte ne se soient produits ». Cet arrêt constitue ainsi un arrêt de principe qui clarifie durablement l’interprétation de l’article 43 du statut de la Cour pour toute une catégorie de contentieux. Il établit une distinction claire entre le fait générateur de la responsabilité et la réalisation du dommage, faisant de cette dernière le véritable point de départ de la prescription. Cette jurisprudence offre une sécurité juridique appréciable aux opérateurs économiques, qui savent désormais que leur droit d’agir en indemnité face à un acte réglementaire illégal n’est pas menacé par un délai qui commencerait à courir avant même qu’ils n’en ressentent les conséquences financières.

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