Dans un arrêt rendu dans l’affaire 169/82, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer sur la compatibilité d’aides régionales à l’agriculture avec les règles du droit communautaire. En l’espèce, une région d’un État membre avait adopté plusieurs lois instaurant des mesures de soutien financier en faveur de diverses productions agricoles, notamment le blé dur, les raisins de table destinés à la vinification, et les tomates destinées à la transformation. Ces lois avaient été promulguées avant que les projets ne soient notifiés à la Commission, laquelle a alors engagé une procédure en manquement.
La Commission a saisi la Cour en invoquant un double manquement de l’État membre concerné à ses obligations découlant du traité CEE. D’une part, elle lui reprochait une violation de l’article 93, paragraphe 3, du traité, en raison de la notification tardive des projets d’aides, intervenue postérieurement à leur adoption. D’autre part, elle soutenait que plusieurs de ces aides étaient matériellement incompatibles avec les règlements portant organisation commune des marchés dans les secteurs agricoles concernés. L’État membre défendait la validité de ses mesures, arguant notamment de la nécessité de simplifier des dispositifs préexistants ou de promouvoir le mouvement coopératif, sans pour autant interférer directement avec les mécanismes communautaires.
La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si un État membre manque à ses obligations conventionnelles lorsque l’une de ses collectivités régionales institue des aides dans des secteurs couverts par une organisation commune de marché, et ce, sans respecter la procédure de notification préalable à la Commission.
La Cour de justice a répondu par l’affirmative en consacrant l’existence d’un double manquement. Elle a d’abord jugé que le non-respect de l’obligation de notifier les projets d’aide en temps utile constituait en soi une violation du traité. Elle a ensuite déclaré que les aides nationales qui interfèrent avec un régime communautaire exhaustif sont matériellement incompatibles avec le droit communautaire, car elles compromettent les objectifs et le fonctionnement des organisations communes de marché.
La décision de la Cour réaffirme ainsi avec force le caractère impératif des règles de contrôle des aides d’État (I), tout en confirmant la prééminence des organisations communes de marché sur les interventions unilatérales des États membres (II).
I. Le caractère impératif et autonome de l’obligation de notification préalable
La Cour rappelle que la procédure de contrôle des aides d’État constitue une pierre angulaire du traité. Elle sanctionne ainsi le manquement formel de l’État (A) indépendamment de toute analyse sur le fond, soulignant le caractère inconditionnel de cette obligation (B).
A. La sanction d’un manquement procédural autonome
La Cour de justice constate en premier lieu que la notification des régimes d’aide est intervenue après leur promulgation. Elle en déduit une violation directe de l’article 93, paragraphe 3, du traité, sans avoir besoin d’examiner à ce stade la compatibilité matérielle des mesures avec le marché commun. Le manquement est constitué par le seul fait que l’État membre a mis ses projets à exécution avant que la Commission ait pu exercer son contrôle préventif. Le raisonnement de la Cour est sans équivoque : « la république italienne, en ne notifiant les projets des lois en cause qu’après leur adoption […], a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 93, paragraphe 3, du traité ».
Cette approche confirme que l’obligation de notification n’est pas une simple formalité administrative, mais une condition substantielle de la légalité d’une aide. Elle vise à garantir l’effectivité du contrôle exercé par la Commission, seule compétente pour apprécier la compatibilité d’une aide avec le marché commun. En agissant unilatéralement, l’État membre prive cette procédure de son effet utile et crée une situation illégale, indépendamment de l’appréciation qui pourrait être portée ultérieurement sur le fond de la mesure.
B. Le rejet des justifications nationales face à une obligation inconditionnelle
Face à ce manquement, l’État membre tentait de justifier son retard en présentant les lois litigieuses comme « une unique opération de simplification, s’inscrivant dans le contexte de l’aménagement du budget au moyen de reconductions substantielles des dispositions préexistantes ». La Cour écarte cet argument de manière catégorique, estimant qu’aucune de ces allégations n’est de nature à dispenser l’État de son obligation. Le caractère prétendument connu ou incontesté des mesures reconduites est jugé inopérant.
La solution est logique, car admettre de telles justifications reviendrait à créer des brèches dans le système de contrôle et à permettre aux États de s’ériger en juges de l’opportunité de notifier leurs propres mesures. La Cour rappelle ainsi que l’obligation de notification préalable est générale et absolue pour tout projet tendant à instituer ou à modifier une aide. Cette rigueur garantit la discipline que les États membres se sont imposée pour préserver le fonctionnement non faussé du marché intérieur.
II. La préemption par le droit communautaire des interventions étatiques
Au-delà de la question procédurale, la Cour examine la compatibilité matérielle des aides avec les organisations communes de marché (OCM). Elle conclut que le caractère exhaustif de ces dernières interdit en principe toute aide nationale complémentaire (A), tout en rappelant qu’il appartient à la Commission de prouver précisément l’incompatibilité alléguée (B).
A. L’incompatibilité des aides nationales avec un cadre réglementaire communautaire exhaustif
La Cour analyse successivement les aides accordées pour le blé dur, les raisins de table et les tomates. Pour chacun de ces secteurs, elle constate l’existence d’une OCM instaurant un système complet d’intervention. Pour le blé dur, elle relève que le règlement communautaire prévoit déjà une aide à la production, de sorte que « toute mesure de soutien doit être décidée sur le plan communautaire afin d’éviter d’en compromettre le fonctionnement par l’octroi d’aides supplémentaires ». L’aide nationale est donc jugée susceptible de « fausser le régime instauré ».
De même, concernant l’aide à la vinification des raisins de table, la Cour souligne que les mesures régionales « poursuivent un objectif qui n’est pas conciliable avec les objectifs de la réglementation communautaire », laquelle vise au contraire à limiter la production de vins de qualité jugée insuffisante. Enfin, pour les tomates, l’existence d’un « régime communautaire exhaustif […] à l’exclusion d’autres aides accordées par les États membres » rend l’intervention régionale incompatible. Cet arrêt illustre parfaitement le principe de préemption : là où la Communauté a légiféré de manière complète, les États membres perdent leur compétence d’intervention.
B. La charge de la preuve comme limite à la censure des mesures nationales
Si la Cour fait preuve de fermeté sur le principe, elle se montre également exigeante quant à l’administration de la preuve par la Commission. En effet, elle rejette le recours en ce qui concerne les aides prévues pour les agrumes, les amandes, les noisettes et les pistaches. La Cour motive ce rejet par l’insuffisance de l’argumentation de la Commission, qui n’a pas « précisé […] en quoi consistent les contributions prévues » ni démontré avec quelles dispositions spécifiques du règlement pertinent elles seraient incompatibles.
Cette partie de la décision apporte une nuance importante. Elle rappelle que le manquement d’un État ne se présume pas. Il incombe à la Commission, en tant que partie requérante, de fournir au juge tous les éléments de fait et de droit nécessaires pour établir la violation alléguée. La censure d’une mesure nationale, même dans un domaine largement harmonisé, ne peut reposer sur de simples affirmations générales. La Cour exerce ainsi un plein contrôle juridictionnel et se refuse à sanctionner un État lorsque le dossier présenté par la gardienne des traités manque de précision et de substance.