Arrêt de la Cour du 28 février 1991. – Commission des Communautés européennes contre République fédérale d’Allemagne. – Manquement d’État – Non-transposition d’une directive – Eaux souterraines. – Affaire C-131/88.

Par un arrêt du 28 mai 1991, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur les conditions de transposition en droit interne des directives communautaires, en particulier dans le domaine de la protection de l’environnement. En l’espèce, la Commission avait engagé une procédure en manquement à l’encontre d’un État membre, lui reprochant de ne pas avoir correctement transposé une directive visant à protéger les eaux souterraines contre la pollution causée par certaines substances dangereuses. L’État membre soutenait que son ordre juridique interne, composé de diverses lois générales sur la gestion des eaux et les déchets ainsi que de pratiques administratives, assurait déjà une mise en œuvre effective de la directive, rendant inutile l’adoption de mesures spécifiques.

La procédure a donc opposé la Commission, qui exigeait une transposition formelle et précise garantissant la sécurité juridique, à l’État membre défendeur, qui avançait une approche matérielle fondée sur l’interprétation et l’application de son droit existant. Le débat portait sur le degré de précision requis pour la transposition d’une directive créant des droits et des obligations pour les particuliers. La question de droit soulevée était de savoir si un contexte juridique général, non spécifiquement édicté pour la transposition, et complété par des pratiques administratives, pouvait être considéré comme une exécution adéquate des obligations découlant d’une directive détaillée.

La Cour a répondu par la négative, en jugeant que la transposition d’une telle directive doit assurer sa pleine application « d’une façon suffisamment claire et précise » pour permettre aux particuliers de connaître leurs droits et de s’en prévaloir. Elle a ainsi estimé que l’État membre avait manqué à ses obligations en ne traduisant pas fidèlement les exigences de la directive dans son ordre juridique interne. La solution retenue réaffirme la primauté de la sécurité juridique dans le processus de transposition (I) et en sanctionne l’absence à travers l’examen concret des dispositions nationales (II).

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I. La réaffirmation de l’exigence de sécurité juridique pour la transposition des directives

La Cour, dans sa décision, rappelle avec fermeté les principes gouvernant l’obligation de transposition qui incombe aux États membres. Elle insiste sur la nécessité d’une transposition assurant une clarté et une précision suffisantes, particulièrement lorsque des droits sont conférés aux particuliers (A), tout en rejetant catégoriquement la validité de simples pratiques administratives pour satisfaire à cette obligation (B).

A. La primauté d’une transposition claire et précise

L’arrêt énonce d’emblée que si la transposition « n’exige pas nécessairement une reprise formelle et textuelle de ses dispositions dans une disposition légale expresse et spécifique », elle ne peut se satisfaire que d’un « contexte juridique général, dès lors que celui-ci assure effectivement la pleine application de la directive d’une façon suffisamment claire et précise ». Cette condition est d’autant plus impérative lorsque la directive, comme en l’espèce, a pour finalité de créer des droits pour les particuliers. Ces derniers doivent être mis en mesure de « connaître la plénitude de leurs droits et de s’en prévaloir, le cas échéant, devant les juridictions nationales ».

En l’occurrence, la directive de 1980 sur la protection des eaux souterraines établit un cadre détaillé d’interdictions, de régimes d’autorisation et de procédures de contrôle visant à empêcher ou limiter les rejets de substances dangereuses. Ces dispositions ont pour objet de créer des droits et des obligations précis, tant pour les opérateurs économiques que pour les citoyens. La Cour en déduit logiquement que le niveau d’exigence en matière de transposition doit être particulièrement élevé. L’argument de l’État membre, selon lequel aucun cas de non-conformité ne se serait présenté en pratique, est jugé inopérant, car la pleine application des directives doit être garantie en droit, et non seulement en fait.

B. L’inadéquation fondamentale des pratiques administratives

L’un des apports essentiels de la décision réside dans le rejet sans équivoque des pratiques administratives comme moyen de transposition suffisant. La Cour affirme que « de simples pratiques administratives, par nature modifiables au gré de l’administration et dépourvues d’une publicité adéquate, ne sauraient être considérées comme constituant une exécution valable de l’obligation qui incombe aux États membres ». Cette position, constante dans la jurisprudence de la Cour, trouve ici une application particulièrement rigoureuse.

L’État membre se prévalait en effet de l’interprétation et de l’application de ses lois par ses autorités administratives, lesquelles seraient conformes aux objectifs de la directive. La Cour balaye cet argument en soulignant le caractère précaire et opaque de telles pratiques. Elles ne fournissent pas aux particuliers la garantie stable et transparente nécessaire pour connaître leurs droits et obligations. Une simple circulaire ou une interprétation administrative, même constante, peut être modifiée à tout moment sans suivre les procédures législatives ou réglementaires, créant ainsi une insécurité juridique incompatible avec les exigences du droit de l’Union.

II. La sanction d’une transposition lacunaire et imprécise

Forte de ces principes, la Cour procède à un examen détaillé des dispositions nationales invoquées par l’État membre. Elle constate que la législation allemande, bien que poursuivant des objectifs de protection des eaux, n’assure pas une mise en œuvre fidèle des obligations spécifiques de la directive, qu’il s’agisse de la prévention des rejets de substances dangereuses (A) ou des procédures de contrôle et d’autorisation (B).

A. Une protection insuffisante contre les rejets de substances dangereuses

La Cour examine successivement les différents types de rejets visés par la directive. Concernant l’interdiction des rejets directs de substances de la liste I, elle relève que le droit national ne contient pas d’interdiction générale et absolue comme l’exige la directive. Au contraire, la législation interne permet à l’autorité compétente d’octroyer des autorisations sur la base de critères vagues tels que l’absence de « pollution nuisible », ce qui confère une marge d’appréciation incompatible avec le caractère inconditionnel de l’interdiction posée par la directive.

De même, s’agissant des rejets indirects, la directive impose une enquête préalable systématique pour toute action susceptible d’y conduire, aboutissant soit à une interdiction, soit à une autorisation conditionnée par des précautions techniques. Or, les dispositions nationales invoquées ne couvrent pas toutes les actions visées, n’énumèrent pas précisément les substances concernées et reposent sur des lois de procédure administrative générale qui n’ont pas « la spécificité, la précision et la clarté requises ». La simple possibilité pour une autorité de mener une enquête d’office ne saurait transposer une obligation d’enquête spécifique et systématique.

B. L’inadaptation des procédures nationales d’autorisation et de contrôle

Au-delà des obligations de fond, la Cour sanctionne également la transposition défaillante des dispositions procédurales de la directive. Les articles 7 à 13 de celle-ci détaillent le contenu des enquêtes, les éléments que doivent comporter les autorisations, leur durée limitée et les obligations de contrôle. L’État membre prétendait satisfaire à ces exigences par le biais de sa loi générale sur la procédure administrative et par la faculté laissée à ses autorités d’assortir les autorisations de conditions.

La Cour juge cette approche insuffisante. Par exemple, alors que l’article 11 de la directive impose que les autorisations soient accordées « pour une période limitée » et réexaminées « au moins tous les quatre ans », le droit national se contente de prévoir que l’administration peut librement décider de limiter ou non la durée d’un acte administratif. Une simple faculté discrétionnaire ne saurait valablement transposer une obligation contraignante. Ce raisonnement est appliqué à l’ensemble des règles procédurales, la Cour concluant que l’ordre juridique interne n’assure pas leur mise en œuvre avec la précision et la clarté requises pour garantir la sécurité juridique.

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Hassan KOHEN
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