Arrêt de la Cour du 28 février 1991. – Commission des Communautés européennes contre République italienne. – Manquement – Non-transposition d’une directive – Eaux souterraines. – Affaire C-360/87.

En matière de droit de l’environnement, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer sur les modalités de transposition d’une directive visant la protection des eaux souterraines. Une institution communautaire a engagé un recours en manquement à l’encontre d’un État membre, lui reprochant une transposition incomplète et incorrecte de la directive 80/68/CEE. L’État membre soutenait que sa législation nationale existante, bien que non spécifique, assurait une protection suffisante et répondait aux objectifs du texte communautaire. Les autorités nationales estimaient notamment que l’interdiction de tout rejet direct dans les eaux souterraines satisfaisait aux exigences principales. Après un examen détaillé, l’institution requérante a maintenu plusieurs griefs portant sur le manque de précision et le caractère lacunaire de la législation nationale. La question de droit soumise à la Cour portait donc sur le niveau d’exactitude et de clarté requis pour qu’un ordre juridique national puisse être considéré comme ayant correctement transposé une directive européenne. Plus précisément, un cadre législatif général et préexistant, qui n’incorpore pas explicitement les distinctions et procédures détaillées d’une directive, peut-il suffire à remplir les obligations découlant du traité CEE ? À cette question, la Cour répond par la négative, en jugeant que la transposition doit assurer la pleine application de la directive d’une manière suffisamment claire et précise pour garantir la sécurité juridique. Elle a ainsi déclaré que l’État membre avait manqué à ses obligations. La solution retenue par la Cour réaffirme l’exigence d’une transposition précise et complète (I), consacrant par là même le principe de sécurité juridique comme un impératif de la protection environnementale (II).

I. L’exigence réaffirmée d’une transposition précise et complète

La Cour rappelle avec force que l’effectivité du droit communautaire de l’environnement dépend de la rigueur de sa transposition en droit interne. Elle rejette ainsi l’idée qu’un cadre légal général puisse suffire (A) et sanctionne une transposition substantiellement incomplète qui ne reprend pas les éléments fondamentaux de la directive (B).

A. L’insuffisance d’un cadre juridique général

L’arrêt commenté énonce un principe fondamental en matière de transposition. La Cour reconnaît que celle-ci « n’exige pas nécessairement une reprise formelle et textuelle de son contenu dans une disposition expresse et spécifique », mais elle subordonne cette souplesse à une condition stricte. Le contexte juridique national doit assurer « effectivement la pleine application de la directive d’une façon suffisamment claire et précise ». En l’espèce, la législation de l’État défendeur ne remplissait pas cette condition. La directive opérait une distinction capitale entre les substances particulièrement dangereuses de la liste I, dont les rejets directs doivent être empêchés, et celles de la liste II, dont les rejets doivent être limités. Or, la législation nationale ignorait cette distinction. En ne différenciant pas les régimes applicables aux deux catégories de substances, le droit interne se révélait incapable de mettre en œuvre l’un des mécanismes essentiels prévus par la directive pour atteindre son objectif de protection graduée des eaux souterraines. La Cour souligne que cette distinction est « impérative au regard de l’objectif de la directive » et doit être reprise avec clarté pour satisfaire à l’exigence de sécurité juridique. L’approche globale et indifférenciée de l’État membre, même si elle pouvait paraître plus sévère sur certains aspects, ne constituait donc pas une transposition correcte.

B. La sanction d’une transposition substantiellement incomplète

Au-delà de l’imprécision, la Cour sanctionne les omissions manifestes de la législation nationale. L’institution requérante avait relevé que plusieurs substances figurant sur les listes I et II de la directive étaient absentes des textes de l’État membre. Il en allait ainsi pour des composés organostanniques ou pour la catégorie des substances possédant un « pouvoir cancérogène, mutagène et tératogène ». L’État défendeur a tenté de justifier cette dernière omission par le silence de la directive quant à l’identité précise de ces substances. La Cour écarte cet argument en jugeant que cette difficulté « ne justifie pas l’absence d’une mention générale de ces substances dans la législation nationale ». La décision met en évidence que la transposition ne peut être sélective. Elle doit être complète afin de garantir que le niveau de protection défini par le législateur communautaire soit uniformément appliqué sur tout le territoire de l’Union. Le manquement ne réside donc pas seulement dans une méthode de transposition inadéquate, mais également dans un résultat matériellement déficient. En omettant de viser l’ensemble des substances dangereuses identifiées, le droit interne créait des failles dans le système de protection, ce qui est contraire à l’objectif même de la directive.

II. La consécration de la sécurité juridique en droit de l’environnement

En insistant sur la clarté et la précision, la Cour ne défend pas un pur formalisme juridique ; elle garantit l’effectivité des normes environnementales. Cette exigence conduit au rejet de procédures administratives ambiguës (A) et vise, en définitive, à protéger les droits que les particuliers tirent des directives (B).

A. Le rejet des procédures administratives ambiguës

L’arrêt censure plusieurs aspects de la procédure d’autorisation des rejets en vigueur dans l’État membre. La législation nationale permettait notamment l’octroi d’une « autorisation provisoire » tacite si l’administration ne rejetait pas une demande dans un délai de six mois. La Cour juge qu’une telle procédure n’est pas compatible avec la directive. Elle estime en effet qu’une « autorisation tacite ne saurait être compatible avec les exigences de la directive », car elle ne permet pas d’assurer que les enquêtes préalables et les contrôles requis ont bien été effectués. Le texte communautaire subordonne l’autorisation de rejet à des études hydrogéologiques précises et à des vérifications spécifiques, ce qu’un accord implicite ne peut garantir. De même, la Cour relève que les autorisations délivrées n’étaient pas limitées dans le temps, contrairement à l’article 11 de la directive qui impose un réexamen périodique. Ces défaillances procédurales, en créant une incertitude sur le respect des conditions de fond, vident de leur substance les garanties prévues par le droit communautaire. La censure de l’autorisation tacite est particulièrement significative, car elle réaffirme que la protection de l’environnement ne peut se satisfaire d’approximations ou de silences de l’administration.

B. La protection des droits des particuliers par la clarté de la loi

Le fondement ultime de la position de la Cour réside dans le principe de sécurité juridique. La précision de la transposition n’est pas une fin en soi ; elle est la condition nécessaire pour que les sujets de droit puissent connaître leurs droits et obligations. La Cour le formule sans équivoque en rappelant qu’« une législation qui maintient pour les sujets de droit concernés un état d’incertitude quant aux possibilités qui leur sont réservées de faire appel au droit communautaire ne satisfait pas à l’obligation de transposition d’une directive en droit national ». Cette affirmation est au cœur de l’arrêt. Une transposition vague ou incomplète prive les citoyens, les associations et les entreprises de la capacité de se prévaloir des normes protectrices de la directive devant les juridictions nationales. Elle fait obstacle à l’effet utile du droit communautaire et affaiblit le rôle des particuliers comme gardiens de sa bonne application. En exigeant un cadre légal précis, la Cour garantit donc non seulement l’intégrité du droit communautaire, mais aussi son invocabilité au profit de ceux qu’il vise à protéger. La protection de l’environnement devient ainsi indissociable de la protection des droits des sujets de droit.

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