Arrêt de la Cour du 28 novembre 1991. – Grand-Duché de Luxembourg contre Parlement européen. – Siège des institutions et lieux de travail du Parlement européen – Transfert de personnel. – Affaires jointes C-213/88 et C-39/89.

Par un arrêt rendu en 1991, la Cour de justice des Communautés européennes a tranché un litige opposant un État membre à une institution communautaire au sujet de la localisation des services de cette dernière. La controverse portait sur la légalité de plusieurs décisions prises par les organes de l’institution visant à renforcer sa présence et à transférer une partie de son personnel dans l’un de ses lieux de travail, distinct de celui où son secrétariat général était officiellement installé en vertu d’une décision antérieure des gouvernements des États membres. Saisie de deux recours en annulation, l’institution parlementaire, partie défenderesse, soutenait que ces mesures relevaient de son pouvoir d’organisation interne, indispensable à l’accomplissement de ses missions accrues. L’État membre requérant, sur le territoire duquel le secrétariat de l’institution était établi, arguait pour sa part que ces décisions constituaient un empiètement sur la compétence exclusive des États membres de fixer le siège des institutions. La question de droit soumise à la Cour était donc de déterminer dans quelle mesure le pouvoir d’auto-organisation d’une institution lui permet de modifier la répartition géographique de ses services, sans violer les décisions des États membres relatives à l’établissement de son siège provisoire. En rejetant les recours, la Cour a jugé que les mesures litigieuses ne dépassaient pas les limites du pouvoir d’organisation interne de l’institution, dès lors qu’elles visaient à assurer son bon fonctionnement et ne constituaient pas un transfert, même partiel, de son secrétariat général. La Cour consacre ainsi une conception extensive du pouvoir d’organisation de l’institution, tout en veillant à préserver la compétence des États membres en matière de fixation du siège.

I. La consécration d’une autonomie fonctionnelle au profit de l’institution

La solution retenue par la Cour repose sur la reconnaissance d’une large marge d’appréciation dont dispose l’institution parlementaire pour aménager ses services. Cette autonomie se fonde sur un pouvoir d’organisation interne jugé indispensable à l’exercice de ses missions (A) et se manifeste par la validation de transferts de personnel justifiés par des impératifs opérationnels (B).

A. La reconnaissance d’un indispensable pouvoir d’organisation interne

La Cour de justice rappelle de manière liminaire que l’institution parlementaire est habilitée à « prendre, en vertu du pouvoir d’organisation interne que lui attribuent les traités, des mesures appropriées en vue d’assurer son bon fonctionnement et le déroulement de ses procédures ». Ce pouvoir d’auto-organisation n’est pas une simple faculté, mais un instrument nécessaire à l’accomplissement des fonctions législatives, budgétaires et de contrôle qui lui sont dévolues, dont l’importance s’est accrue avec l’évolution des traités. En l’espèce, la Cour examine les mesures de renforcement des services d’information et de relations publiques à Bruxelles, ainsi que les projets immobiliers y afférents, à l’aune de cette prérogative. Elle admet que l’efficacité de l’action de l’institution, notamment son devoir d’informer l’opinion publique, justifie la mise en place de structures adéquates là où se déroule une part significative de ses activités. Le raisonnement de la Cour confère ainsi une portée matérielle et concrète au pouvoir d’organisation, qui ne se limite pas à la seule définition de règles de procédure, mais englobe également la gestion de ses ressources humaines et matérielles.

B. La justification des transferts par les nécessités opérationnelles

Appliquant ce principe général aux faits de l’espèce, la Cour examine la légalité des transferts de personnel envisagés par l’institution. Qu’il s’agisse du personnel affecté aux commissions parlementaires, aux activités d’information, aux services d’études et de recherche ou encore de celui directement attaché aux députés, la Cour admet que leur présence sur le lieu des réunions parlementaires et des contacts interinstitutionnels répond à un besoin fonctionnel. Elle estime qu’il revient à l’institution « d’apprécier, dans le cadre de son pouvoir d’organisation interne, la nécessité de transférer à Bruxelles le personnel utile à l’accomplissement des missions de ce service ». La Cour valide ainsi une logique pragmatique : l’infrastructure administrative doit pouvoir suivre le centre de gravité de l’activité politique. Cette approche permet de considérer les transferts litigieux non comme une remise en cause du siège, mais comme une adaptation nécessaire pour que l’institution puisse « disposer de tout le personnel et de toutes les infrastructures dont il a besoin pour s’acquitter efficacement et utilement de ses tâches ». En conséquence, les décisions relatives aux transferts de personnel et aux investissements immobiliers qui en découlent sont jugées conformes au droit communautaire, car elles correspondent à la constitution d’une « infrastructure indispensable ».

II. La délimitation d’une compétence exercée sous le contrôle du juge

Si la Cour reconnaît une sphère d’autonomie importante à l’institution, elle prend soin de rappeler que cette prérogative n’est pas absolue. Elle est encadrée par le respect de la compétence des États membres (A) et soumise au contrôle de la Cour, qui s’assure que les mesures prises ne constituent pas, en fait ou en droit, un détournement de cette compétence (B).

A. La réaffirmation de la prérogative des États membres quant au siège

La Cour rejette fermement l’argument de l’institution selon lequel l’inertie des États membres à fixer un siège définitif justifierait une interprétation extensive de son propre pouvoir d’organisation. Elle rappelle que les gouvernements ont exercé leur compétence en fixant des lieux de travail provisoires, et que ces décisions lient les institutions. Conformément au principe de coopération loyale, « les décisions du Parlement doivent respecter la compétence des gouvernements des États membres de fixer le siège des institutions et les décisions déjà prises provisoirement à cet égard ». Le fait que cette situation provisoire perdure ne saurait habiliter une institution à s’arroger une compétence qu’elle ne détient pas. La Cour refuse ainsi de voir dans la carence alléguée des États membres une circonstance de nature à modifier la répartition des compétences issue des traités. La prérogative des États membres demeure intacte, et le pouvoir d’organisation de l’institution doit s’exercer dans le cadre fixé par les décisions gouvernementales, aussi imparfaites soient-elles.

B. Le critère du non-démembrement du secrétariat comme limite matérielle

Le véritable critère de départage entre le pouvoir d’organisation interne de l’institution et la compétence des États membres réside dans la nature et l’ampleur des transferts opérés. La Cour se réfère à sa jurisprudence antérieure pour fixer une ligne infranchissable : si l’institution peut aménager une infrastructure dans ses différents lieux de travail, elle ne peut porter atteinte à la localisation de son secrétariat général. Toute décision qui équivaudrait à un « transfert, complet ou partiel, en droit ou en fait, du secrétariat général du Parlement ou de ses services » constituerait une violation des décisions des États membres. Le contrôle de la Cour devient alors un contrôle de proportionnalité et de substance. Elle examine si les transferts de personnel, par leur ampleur, ne vident pas de sa substance la décision localisant le secrétariat dans l’État membre requérant. En l’espèce, elle conclut que les mouvements de personnel envisagés, bien que significatifs, n’atteignent pas un seuil tel qu’ils pourraient être qualifiés de transfert, même partiel, du secrétariat. La solution établit donc une distinction subtile entre le renforcement des services dans un lieu de travail, qui est licite, et le démembrement du secrétariat, qui est prohibé.

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