Par un arrêt en date du 28 avril 1994, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les modalités d’application du principe d’égalité de rémunération entre les travailleurs masculins et féminins, s’agissant spécifiquement des régimes de pensions professionnels. En l’espèce, un fonds de pension avait, dès 1985, uniformisé l’âge de la retraite à soixante ans pour tous ses affiliés, mais avait instauré une mesure transitoire permettant aux femmes de conserver leur ancien âge de départ à la retraite, fixé à cinquante-cinq ans. Suite à l’arrêt du 17 mai 1990, dit Barber, qui a jugé de telles différences d’âge contraires au droit communautaire, le fonds de pension a décidé de supprimer cette option avec effet au 1er juin 1991. Plusieurs employées, ayant choisi de maintenir leur retraite à cinquante-cinq ans, ont contesté cette suppression devant les juridictions nationales. Saisie d’un renvoi préjudiciel par une juridiction néerlandaise, la Cour a été interrogée sur la compatibilité avec l’article 119 du traité CEE du maintien d’un âge de retraite inférieur pour les femmes après le 17 mai 1990, et sur les modalités de rétablissement de l’égalité. Il s’agissait de déterminer si une situation discriminatoire, issue d’un choix exercé par les salariées avant l’arrêt Barber, pouvait perdurer et, dans la négative, comment l’égalité devait être restaurée pour les différentes périodes d’emploi concernées. La Cour de justice a répondu en distinguant nettement la période transitoire suivant l’arrêt Barber de la période postérieure à la mise en conformité du régime ; elle juge que si l’égalité doit être rétablie pour l’avenir, y compris par une réduction des avantages, elle ne peut être assurée, pour la période intermédiaire, que par l’extension du régime le plus favorable aux travailleurs lésés. Cette solution illustre la force du principe d’égalité, dont l’application est impérative (I), tout en organisant les conséquences de sa mise en œuvre dans le temps de manière pragmatique (II).
I. L’application impérative du principe d’égalité en dépit des droits acquis
La Cour réaffirme avec force le caractère fondamental du principe d’égalité des rémunérations, qui prime sur les accords particuliers et les situations établies (A), et ce, quelle que soit la manière dont la discrimination a été initialement consentie (B).
A. La primauté du droit communautaire sur les accords collectifs et individuels
L’arrêt rappelle que le principe d’égalité des rémunérations, consacré à l’article 119 du traité, constitue l’un des fondements de la Communauté. En conséquence, sa portée est particulièrement large et s’applique avec une force obligatoire. La Cour énonce clairement que la prohibition des discriminations « s’ impose non seulement à l’ action des autorités publiques, mais s’ étend également aux relations entre particuliers ainsi qu’ à toutes conventions visant à régler de façon collective le travail salarié ». Ainsi, ni une convention collective, ni un accord d’entreprise, ni même un choix individuel ne sauraient déroger à cette règle impérative. En l’espèce, bien que les salariées aient bénéficié d’une option leur permettant de conserver un âge de retraite plus favorable, cet avantage, créant une disparité fondée sur le sexe, est devenu illégal à la suite de l’interprétation de l’article 119 donnée par l’arrêt Barber. Le fait que cette situation découle d’une option exercée avant cet arrêt est sans incidence sur l’obligation pour le régime de pension de rétablir une situation d’égalité pour les prestations futures. La volonté des parties, même exprimée par un choix formel, ne peut donc faire obstacle à l’application d’une norme fondamentale du droit communautaire.
B. L’indifférence quant au caractère explicite ou implicite du choix
La juridiction de renvoi s’interrogeait sur l’éventuelle influence de la modalité du choix des salariées. En effet, la réglementation transitoire prévoyait que l’absence de choix explicite en faveur du nouvel âge de retraite à soixante ans valait option pour le maintien de l’ancien âge à cinquante-cinq ans. La Cour écarte cet argument avec une grande netteté. Elle juge que la réponse apportée à la première question « n’ est pas affectée par le fait que, dans un cas comme celui de l’ espèce, à défaut d’ un choix explicite par le travailleur féminin concerné, celui-ci était censé avoir opté pour le maintien de l’ âge de la retraite au niveau antérieur à l’ égalisation ». Cette précision confirme que le droit communautaire s’attache au résultat objectif de la situation, à savoir l’existence d’une discrimination, plutôt qu’aux mécanismes ou aux intentions qui y ont conduit. Peu importe que le maintien de l’avantage résulte d’un acte positif ou d’une abstention ; dès lors qu’une différence de traitement fondée sur le sexe existe en matière de rémunération, elle doit être éliminée. L’obligation de respecter le principe d’égalité est absolue et ne saurait être contournée par un artifice contractuel ou réglementaire.
II. La modulation temporelle des modalités de rétablissement de l’égalité
Après avoir posé le principe de la nécessaire mise en conformité, la Cour en précise les modalités d’application dans le temps. Elle distingue rigoureusement la période où le régime est en infraction, qui impose un nivellement par le haut (A), de la période suivant la mise en conformité, qui autorise une égalisation par le bas (B).
A. L’alignement sur le régime le plus favorable pour les périodes d’emploi passées
La Cour apporte une solution cruciale pour la période comprise entre la date de l’arrêt Barber, le 17 mai 1990, et la date à laquelle le régime de pension a adopté des mesures pour rétablir l’égalité, soit le 1er juin 1991. Durant cet intervalle, le régime se trouvait en situation d’illégalité. La Cour juge qu’aussi longtemps que des mesures correctrices n’ont pas été prises, « le respect de l’ article 119 ne saurait être assuré que par l’ octroi aux personnes de la catégorie défavorisée des mêmes avantages que ceux dont bénéficient les personnes de la catégorie privilégiée ». En d’autres termes, les travailleurs masculins affiliés au régime étaient en droit, pour cette période, de revendiquer un âge de départ à la retraite calculé sur la base de celui des femmes, c’est-à-dire cinquante-cinq ans. Cette solution, qui impose un nivellement par le haut, constitue la sanction de l’inertie du régime. Elle garantit que l’égalité ne se fasse pas au détriment des droits des salariés et que le seul système de référence valide, en l’absence de régime conforme, est le plus avantageux existant.
B. La légitimité de la suppression des avantages pour les périodes d’emploi futures
S’agissant des périodes d’emploi postérieures à l’entrée en vigueur des nouvelles règles du régime de pension, soit après le 1er juin 1991, la Cour adopte une position différente. Elle affirme que l’article 119 « ne s’ oppose pas à des mesures qui rétablissent une égalité de traitement par la réduction des avantages des personnes antérieurement privilégiées ». Le droit communautaire exige que les travailleurs masculins et féminins reçoivent une même rémunération, mais il n’impose pas un niveau de rémunération déterminé. Par conséquent, une fois que le régime de pension a pris des mesures pour mettre fin à la discrimination, il est libre de le faire en relevant l’âge de la retraite des femmes à soixante ans, alignant ainsi leur situation sur celle des hommes. L’arrêt valide donc la décision du fonds de pension de supprimer l’option de retraite à cinquante-cinq ans pour les prestations dues au titre des périodes d’emploi futures. Cette solution pragmatique permet aux régimes de maîtriser leurs équilibres financiers tout en assurant le respect du principe fondamental d’égalité de traitement.