Par un arrêt du 22 mars 2001, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’application de la procédure de contrôle des aides d’État. En l’espèce, les autorités d’un État membre avaient notifié à la Commission un projet d’aides destiné à des producteurs de vins de liqueur et d’eaux-de-vie. Cette notification faisait suite à des plaintes déposées par une association d’exportateurs d’un autre État membre, alléguant que ces aides visaient en réalité à compenser l’impact d’une fiscalité nationale jugée discriminatoire. Après une phase d’examen préliminaire de seize mois, marquée par de nombreux échanges avec l’État membre concerné, la Commission a décidé de ne pas soulever d’objections, considérant les aides compatibles avec le marché commun au titre d’une dérogation.
Saisie d’un recours en annulation par l’État membre dont émanaient les plaignants, la Cour de justice était amenée à se prononcer sur la légalité de cette décision prise au terme de la seule phase préliminaire. Il s’agissait de déterminer si, au regard des éléments dont elle disposait, la Commission n’était pas tenue d’engager la procédure formelle d’examen prévue à l’article 93, paragraphe 2, du traité CE. La Cour répond par l’affirmative, estimant que l’institution faisait face à des difficultés sérieuses qui imposaient l’ouverture de cette procédure contradictoire. Elle annule par conséquent la décision de la Commission pour violation des formes substantielles, en raison de l’omission d’ouvrir la procédure formelle et d’un défaut de motivation. Cette décision souligne la distinction fondamentale entre les deux phases de la procédure de contrôle et rappelle que le choix de la Commission n’est pas discrétionnaire (I), renforçant ainsi les garanties procédurales offertes aux tiers intéressés (II).
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I. L’obligation procédurale renforcée de la Commission face aux difficultés d’appréciation d’une aide
La Cour rappelle avec rigueur la finalité de chaque étape de la procédure de contrôle des aides d’État, en consacrant une conception stricte de la notion de « difficultés sérieuses » (A) et en intégrant dans cette appréciation la potentielle violation d’autres dispositions du traité (B).
A. Le caractère impératif de la procédure formelle d’examen en présence de difficultés sérieuses
L’arrêt réaffirme la distinction fondamentale entre la phase préliminaire de l’article 93, paragraphe 3, du traité et la phase formelle de l’article 93, paragraphe 2. La première phase a pour seul objet de permettre à la Commission « de se former une première opinion sur la compatibilité partielle ou totale de l’aide en cause ». La seconde, de nature contradictoire, vise à lui permettre d’obtenir une information complète sur l’ensemble des données de l’affaire. La Cour en déduit que le passage à la procédure formelle est une obligation, et non une simple faculté, dès lors que l’institution rencontre des obstacles dans son analyse.
Le juge communautaire précise que « la procédure prévue à l’article 93, paragraphe 2, du traité, […] revêt un caractère indispensable dès que la Commission éprouve des difficultés sérieuses pour apprécier si une aide est compatible avec le marché commun ». En l’espèce, plusieurs indices révélaient l’existence de telles difficultés. La durée même de l’examen préliminaire, qui s’est étendue sur seize mois, et la nécessité pour la Commission de solliciter des informations complémentaires à de multiples reprises, démontraient que la compatibilité du projet d’aide n’était pas évidente. Cette analyse factuelle souligne que la Commission ne peut prolonger indéfiniment la phase préliminaire pour résoudre des problèmes de fond qui justifient un examen approfondi et contradictoire.
B. L’articulation avec d’autres dispositions du traité comme source de difficultés sérieuses
La principale difficulté soulevée en l’espèce tenait à l’allégation, étayée par les plaignants, d’un lien entre le projet d’aides et une réglementation fiscale nationale potentiellement discriminatoire au regard de l’article 95 du traité. Les plaignants soutenaient que l’aide avait pour objet de neutraliser pour les seuls producteurs nationaux les effets d’une taxe plus élevée sur les vins de liqueur, créant ainsi une discrimination indirecte. La Cour estime que cette question constituait en soi une difficulté sérieuse que la Commission ne pouvait ignorer.
L’arrêt énonce clairement qu’« une aide d’État qui, par certaines de ses modalités, viole d’autres dispositions du traité ne peut être déclarée compatible avec le marché commun par la Commission ». Ce faisant, la Cour rappelle que le contrôle des aides ne s’opère pas en vase clos, mais doit s’inscrire dans le respect de l’économie générale du traité. En omettant de se prononcer explicitement dans sa décision sur ce lien potentiel et sur sa compatibilité avec l’article 95, la Commission n’a pas seulement méconnu son devoir d’ouvrir la procédure formelle ; elle a également entaché sa décision d’un défaut de motivation. Cette approche globale renforce la cohérence du droit communautaire et la rigueur de l’examen que doit mener la Commission.
II. La consolidation des garanties procédurales des tiers intéressés
En sanctionnant le choix de la Commission de ne pas ouvrir la procédure formelle, la Cour de justice confère une portée concrète aux droits des tiers (A) et affirme le rôle du contrôle juridictionnel dans la préservation de l’équilibre institutionnel (B).
A. La valorisation du rôle des plaignants dans le déclenchement du contrôle approfondi
Cet arrêt confère une importance déterminante aux informations et aux arguments soulevés par les tiers intéressés, notamment les concurrents de l’entreprise bénéficiaire de l’aide. La Cour précise que la Commission « est tenue d’examiner l’ensemble des éléments de fait et de droit que les personnes, entreprises ou associations éventuellement affectées dans leurs intérêts par l’octroi de l’aide ont porté à sa connaissance ». Le dossier soumis par les plaignants, qui contenait des indices sérieux d’un lien entre l’aide et la fiscalité, aurait dû alerter la Commission et la conduire à douter de la compatibilité du projet.
En ne tenant pas compte de manière adéquate de ces éléments, la Commission a privé de son effectivité le droit des tiers de participer à la procédure. La décision de la Cour réhabilite ce droit en liant l’obligation d’ouvrir la procédure formelle non seulement aux doutes internes de la Commission, mais aussi à la pertinence et à la gravité des arguments soulevés par les plaignants. La procédure de l’article 93, paragraphe 2, apparaît ainsi comme une garantie essentielle pour les tiers, leur assurant que leurs observations seront dûment prises en considération dans un cadre contradictoire.
B. La sanction par l’annulation, garantie du respect des formes substantielles
La conséquence tirée par la Cour de la méconnaissance de cette obligation est l’annulation de la décision. Cette sanction rappelle que le choix entre la phase préliminaire et la phase formelle n’est pas un acte de pure opportunité, mais un choix encadré par le droit et soumis au contrôle du juge. En qualifiant la procédure de l’article 93, paragraphe 2, d’« indispensable » en cas de difficultés sérieuses, la Cour la range au nombre des formes substantielles dont la violation entraîne l’illégalité de l’acte.
De surcroît, la censure pour défaut de motivation sur le lien allégué entre l’aide et la fiscalité discriminatoire renforce cette protection. En exigeant de la Commission qu’elle expose les raisons pour lesquelles elle écarte les arguments des plaignants, la Cour assure la transparence du processus décisionnel et permet l’exercice effectif d’un contrôle juridictionnel. L’arrêt confirme ainsi que les droits procéduraux des États membres et des tiers intéressés constituent une contrepartie nécessaire aux larges pouvoirs d’appréciation dont dispose la Commission en matière d’aides d’État, garantissant par là même l’équilibre du système de contrôle.