L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 1er octobre 1987, dans l’affaire 116/86, offre un éclairage sur les exigences qualitatives et formelles de la transposition des directives en droit interne. En l’espèce, la Commission des Communautés européennes a engagé un recours en manquement à l’encontre d’un État membre pour ne pas avoir adopté dans les délais les dispositions nécessaires afin de se conformer à une directive modifiant des règles de police sanitaire relatives aux échanges d’animaux. L’État membre mis en cause soutenait s’être acquitté de ses obligations, d’une part, par l’édiction de simples circulaires administratives pour mettre en œuvre certaines dispositions et, d’autre part, en s’appuyant sur une législation antérieure jugée suffisante pour garantir la libre circulation des animaux conformément aux nouvelles normes. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si de simples pratiques administratives et une législation préexistante au contenu ambigu pouvaient constituer une transposition adéquate d’une directive. La Cour y répond par la négative, en jugeant que l’État membre a manqué à ses obligations. Elle précise que la transposition exige l’adoption de normes nationales contraignantes, claires et précises, assurant la pleine effectivité du droit de l’Union et garantissant la sécurité juridique pour les justiciables.
La solution retenue par la Cour réaffirme avec force la nécessité d’une transposition formellement correcte des directives (I), tout en insistant sur l’impératif substantiel de sécurité juridique qui en découle (II).
I. L’exigence d’une transposition par des actes juridiques contraignants
La Cour de justice censure la méthode de transposition choisie par l’État membre en rappelant que de simples mesures administratives internes sont impropres à assurer l’exécution des obligations découlant d’une directive. Elle rejette ainsi le recours à de simples pratiques administratives (A) et consacre une nécessaire correspondance entre la nature de la norme communautaire et celle de l’acte de transposition (B).
A. Le rejet des simples pratiques administratives comme mode de transposition
L’État membre défendeur arguait que des circulaires administratives suffisaient à mettre en œuvre certaines modifications techniques apportées par la directive. La Cour écarte fermement cet argument en s’appuyant sur une jurisprudence établie. Elle énonce que « de simples pratiques administratives, par nature modifiables au gré de l’administration et dépourvues d’une publicité adéquate, ne sauraient être considérées comme constituant une exécution valable de l’obligation qui incombe aux États membres ». Cette position se justifie par la nature même d’une circulaire, qui ne crée pas de droits pour les particuliers et ne présente pas le caractère contraignant requis pour assurer la pleine application du droit de l’Union. En étant aisément révocable et en ne faisant pas l’objet d’une publicité suffisante, une telle pratique ne peut garantir une application stable et transparente de la directive, laissant les opérateurs économiques et les citoyens dans l’incertitude.
B. La nécessaire correspondance des formes entre la norme à modifier et la norme de transposition
La Cour observe que la directive initiale, objet des modifications, avait été transposée en droit interne par une loi formelle. Elle en déduit logiquement que les amendements apportés par la nouvelle directive devaient également être transposés par des dispositions de même valeur juridique. Le juge affirme que les dispositions de la directive modificative « devraient aussi être transposées par des dispositions internes à caractère contraignant ayant la même valeur juridique que celles qui devraient être modifiées ». Cette solution consacre un principe de parallélisme des formes, assurant la cohérence et la hiérarchie des normes au sein de l’ordre juridique national. Une simple circulaire administrative ne peut en effet modifier une loi. En l’absence d’un acte de même rang, la législation nationale demeure inchangée en apparence, créant une contradiction entre le droit interne en vigueur et les nouvelles exigences du droit de l’Union.
Au-delà de la nature formelle de l’acte de transposition, la Cour s’attache également à l’effet utile de celui-ci, qui doit garantir une application effective et non équivoque du droit de l’Union.
II. La primauté de la sécurité juridique dans l’application du droit de l’Union
L’arrêt souligne que la transposition ne doit pas seulement être formellement correcte, mais aussi matériellement claire et inconditionnelle, afin de garantir la sécurité juridique. La Cour condamne ainsi le maintien d’une législation nationale ambiguë (A) et réaffirme que des circonstances de fait internes ne sauraient justifier un défaut de transposition (B).
A. La prohibition des législations nationales ambiguës
La Commission reprochait à l’État membre de ne pas avoir adapté sa législation pour autoriser explicitement l’importation d’animaux contrôlés selon des méthodes nouvelles prévues par la directive, mais non utilisées sur son propre territoire. Le gouvernement défendeur soutenait qu’une loi antérieure garantissait déjà cette conformité. La Cour constate cependant que cette loi est équivoque et que des textes administratifs suggèrent même une interprétation contraire, imposant les méthodes nationales aux importations. Elle en conclut que « une législation ambiguë qui maintient pour les sujets de droit concernés un état d’incertitude quant aux possibilités qui leur sont réservées de faire appel au droit communautaire ne satisfait pas à l’obligation de transposition d’une directive en droit national ». Cette affirmation place la sécurité juridique au cœur des obligations des États membres. Les opérateurs économiques doivent pouvoir connaître avec certitude l’étendue de leurs droits et obligations sans avoir à supporter le risque d’une interprétation restrictive de la part des administrations nationales.
B. L’indifférence des circonstances de fait nationales à l’obligation de transposer
Enfin, l’État membre tentait de justifier la non-transposition d’une disposition relative à un nouveau type de vaccin par le fait que celui-ci n’était pas encore commercialisé sur son territoire. La Cour rejette cet argument de manière lapidaire en jugeant que « cette considération n’est pas pertinente ». Cette position illustre le caractère absolu et inconditionnel de l’obligation de transposition. Les États membres ne peuvent invoquer des difficultés pratiques, économiques ou administratives internes pour se soustraire à leurs devoirs. L’obligation de transposer une directive dans le délai imparti vise précisément à garantir son application uniforme et simultanée dans toute l’Union, un principe fondamental pour le bon fonctionnement du marché intérieur. Accepter une telle justification reviendrait à permettre aux États de vider les directives de leur substance en fonction de considérations nationales contingentes.