Dans l’affaire 279/83, la Cour de justice des Communautés européennes a été saisie par la Commission d’un recours en manquement à l’encontre d’un État membre. La Commission reprochait à cet État de ne pas avoir transposé dans le délai imparti la directive 79/1071 du Conseil, datée du 6 décembre 1979. Cette directive visait à étendre le mécanisme d’assistance mutuelle pour le recouvrement des créances, initialement prévu pour les opérations du FEOGA, les prélèvements agricoles et les droits de douane, à la taxe sur la valeur ajoutée. Le délai de transposition était fixé au 1er janvier 1981.
L’État membre mis en cause n’a pas contesté le retard dans l’adoption des mesures nationales nécessaires. Pour justifier cette défaillance, il a invoqué des difficultés d’ordre interne, notamment la dissolution de son parlement, qui aurait entraîné l’interruption du processus législatif engagé pour assurer la transposition de la directive. Face à cette argumentation, la question de droit soumise à la Cour était de savoir si des circonstances relevant de l’organisation politique et institutionnelle interne d’un État membre peuvent légitimement justifier le non-respect d’une obligation de transposition d’une directive communautaire dans les délais prescrits.
La Cour de justice a répondu par la négative, en se fondant sur une jurisprudence bien établie. Elle a jugé que le manquement était constitué, indépendamment des obstacles rencontrés dans l’ordre juridique national. En conséquence, elle a déclaré que l’État défendeur avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE. Cette décision réaffirme avec fermeté le principe de l’obligation de transposition des directives (I), tout en écartant de manière catégorique les justifications tirées de l’ordre juridique interne (II).
I. La réaffirmation du caractère absolu de l’obligation de transposition
La Cour rappelle à travers cette décision que l’obligation pour les États membres de transposer les directives est fondamentale au sein de l’ordre juridique communautaire. Cette obligation se manifeste par le caractère pleinement contraignant du délai fixé pour la transposition (A) et s’impose comme une condition essentielle à l’effectivité du droit communautaire (B).
A. Le caractère contraignant du délai de transposition
L’arrêt met en lumière que le respect des délais de transposition constitue une obligation de résultat pour les États membres. En vertu de l’article 189 du traité CEE, si les directives laissent aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens, elles lient tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre. Ce résultat inclut nécessairement la dimension temporelle fixée par l’acte. Le simple constat objectif que le délai, en l’espèce le 1er janvier 1981, n’a pas été respecté suffit à caractériser le manquement.
La position de la Cour montre que le délai n’est pas une simple indication, mais un élément constitutif de l’obligation. Son non-respect porte atteinte à l’application uniforme et simultanée de la législation communautaire sur l’ensemble du territoire de la Communauté. En l’espèce, le retard dans la mise en œuvre de la directive sur l’assistance mutuelle en matière de TVA créait une rupture dans le système de recouvrement des créances, compromettant les objectifs financiers et fiscaux poursuivis par le législateur communautaire.
B. La finalité de l’effectivité du droit communautaire
Au-delà de la simple contrainte formelle du délai, la Cour souligne implicitement que l’obligation de transposition rapide est une garantie de l’effet utile du droit communautaire. Pour qu’une directive produise les effets juridiques qui lui sont attachés, sa transposition dans tous les États membres est indispensable. Un retard, même justifié par des raisons apparemment légitimes, prive les justiciables des droits que la directive pourrait leur conférer et entrave la réalisation des politiques communes.
L’objectif de la directive 79/1071 était de renforcer la coopération administrative pour lutter contre la fraude et assurer le bon fonctionnement du marché intérieur. L’absence de transposition par un État membre crée une brèche dans ce dispositif, susceptible d’être exploitée et de nuire aux intérêts financiers de la Communauté ainsi qu’à ceux des autres États membres. La solution retenue par la Cour vise donc à préserver l’intégrité et l’efficacité de l’ordre juridique communautaire dans son ensemble.
Après avoir rappelé la force de l’obligation pesant sur l’État, la Cour se penche sur les arguments avancés pour en justifier la méconnaissance, confirmant ainsi l’hermétisme du droit communautaire aux aléas de la vie politique nationale.
II. L’indifférence des circonstances internes à l’égard du manquement
La Cour oppose une fin de non-recevoir à la défense de l’État membre. Elle rejette les justifications d’ordre institutionnel qui lui sont présentées (A) et confirme ainsi une jurisprudence constante qui est protectrice de l’autonomie et de la primauté de l’ordre juridique communautaire (B).
A. Le rejet des justifications d’ordre institutionnel et politique
L’argument principal de l’État défendeur reposait sur la fin prématurée de la législature, un événement politique majeur ayant paralysé le travail parlementaire. La Cour considère cette circonstance comme inopérante. En statuant ainsi, elle rappelle que l’État membre est considéré comme une entité unique et continue sur la scène communautaire. Les vicissitudes de son organisation politique interne ou les modalités de sa répartition des pouvoirs ne sauraient affecter la portée de ses engagements internationaux.
La Cour formalise cette position en s’appuyant sur sa jurisprudence antérieure, énonçant qu’« un etat membre ne saurait exciper de dispositions , pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations et delais resultant des directives communautaires ». Cette formule de principe établit une séparation nette entre l’ordre juridique communautaire et l’ordre interne. L’État a le devoir de s’organiser de manière à garantir l’exécution de ses obligations communautaires, quelles que soient les contraintes de son système constitutionnel ou politique.
B. La portée de la solution : une jurisprudence protectrice de l’ordre juridique communautaire
Cette décision, bien qu’elle ne constitue pas un revirement, a une valeur et une portée considérables. Elle réaffirme un principe fondamental de la construction européenne : la primauté du droit communautaire sur les droits nationaux. En refusant de prendre en compte les difficultés internes, la Cour garantit que l’application du droit communautaire ne sera pas dépendante du bon vouloir ou de l’efficacité administrative et politique de chaque État membre.
La portée de cet arrêt est avant tout préventive. Il adresse un message clair à tous les États membres, les incitant à anticiper les difficultés et à mettre en place des procédures internes efficaces pour assurer la transposition des directives en temps utile. Cette jurisprudence constante est une pierre angulaire de l’État de droit communautaire, car elle assure la prévisibilité, la sécurité juridique et l’égalité des États et des citoyens devant le droit de l’Union. Elle confirme le rôle de la Cour de justice comme gardienne de l’intégrité d’un ordre juridique autonome.