Arrêt de la Cour du 30 juin 1988. – Commission des Communautés européennes contre République hellénique. – Manquement – Inexécution d’une décision prise au titre de l’article 90, paragraphe 3. – Affaire 226/87.

Par un arrêt du 30 juin 1988, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée des décisions adressées par la Commission aux États membres sur le fondement de l’article 90 du traité CEE.

En l’espèce, une législation nationale imposait que les biens publics soient assurés exclusivement par des compagnies d’assurances nationales appartenant au secteur public. Cette même loi contraignait le personnel des banques publiques à recommander à leurs clients les services de ces assureurs. Saisissant le fondement de l’article 90, paragraphe 3, du traité, la Commission a adopté une décision déclarant ces dispositions législatives incompatibles avec le droit communautaire. Cette décision, notifiée à l’État membre concerné, lui impartissait un délai de deux mois pour se conformer.

Face à l’inertie de l’État membre, et après plusieurs échanges infructueux au cours desquels ce dernier promettait une modification législative à venir, la Commission a engagé une procédure en manquement conformément à l’article 169 du traité. Devant la Cour, l’État membre défendeur a soutenu que la décision de la Commission n’était qu’un simple avis et qu’il était en droit, dans le cadre du recours en manquement, de contester la légalité de cet acte. La Commission a rétorqué que la décision était obligatoire et que sa légalité ne pouvait être remise en cause à ce stade de la procédure.

Il revenait donc à la Cour de déterminer si un État membre, poursuivi en manquement pour ne pas avoir exécuté une décision de la Commission, peut se défendre en invoquant l’illégalité de cette décision alors qu’il n’a pas exercé de recours en annulation dans les délais prévus par le traité.

La Cour de justice répond par la négative, affirmant le caractère obligatoire de la décision et l’autonomie des voies de recours. Elle juge que l’État membre ne peut utilement invoquer l’illégalité de la décision pour justifier son inexécution. La seule exception, non retenue en l’espèce, résiderait dans l’hypothèse d’un acte affecté de vices si graves et évidents qu’il pourrait être qualifié d’inexistant.

La solution retenue par la Cour consacre ainsi la force exécutoire des décisions de la Commission tout en affirmant la stricte séparation des voies de droit (I), tout en ménageant une exception théorique très encadrée, celle de l’acte inexistant (II).

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I. La consécration de la force obligatoire des décisions de la Commission et de l’autonomie des voies de droit

La Cour réaffirme avec clarté que les décisions fondées sur l’article 90 du traité sont des actes contraignants (A) et qu’un État membre ne peut se soustraire à ses obligations en contestant leur validité par une voie de recours inappropriée (B).

A. Le caractère exécutoire des décisions fondées sur l’article 90, paragraphe 3, du traité

La Cour écarte d’emblée l’argument de l’État défendeur selon lequel l’acte de la Commission ne serait qu’un simple avis. Elle rappelle que les directives et décisions que la Commission peut adresser aux États membres en vertu de l’article 90, paragraphe 3, appartiennent bien à la catégorie générale des actes prévus à l’article 189 du traité. Cette assimilation confirme que la compétence spécifique attribuée à la Commission en matière d’entreprises publiques ne déroge pas à la nature juridique des instruments qu’elle emploie.

Par conséquent, la décision litigieuse était, conformément à l’article 189, alinéa 4, « obligatoire en tous ses éléments » pour l’État membre qui en était le destinataire. La Cour en déduit logiquement que cet État était tenu de respecter les dispositions de l’acte tant qu’il n’avait pas obtenu de la justice communautaire une mesure de sursis à exécution ou une annulation. L’absence de toute démarche en ce sens de la part du gouvernement défendeur le plaçait donc en situation d’inexécution de ses obligations.

B. L’irrecevabilité de l’exception d’illégalité comme moyen de défense en recours en manquement

Le cœur de l’argumentation de la Cour repose sur la structure même du système juridictionnel communautaire. Elle souligne que « le système des voies de recours établi par le traité distingue les recours visés aux articles 169 et 170, qui tendent à faire constater qu’un État membre a manqué aux obligations qui lui incombent, et les recours visés aux articles 173 et 175, qui tendent à faire contrôler la légalité des actes ou des abstentions des institutions communautaires ». Ces procédures poursuivent des finalités distinctes et sont soumises à des conditions propres.

Admettre qu’un État puisse contester la légalité d’une décision à l’occasion d’un recours en manquement reviendrait à créer une voie de recours parallèle, contournant les conditions et surtout les délais stricts du recours en annulation prévu à l’article 173. Une telle solution porterait atteinte à la sécurité juridique, car elle laisserait les décisions des institutions dans un état d’incertitude prolongée. La Cour conclut donc fermement qu’« un État membre ne saurait donc utilement, en l’absence d’une disposition du traité l’y autorisant expressément, invoquer l’illégalité d’une décision dont il est destinataire comme moyen de défense à l’encontre d’un recours en manquement fondé sur l’inexécution de cette décision ».

II. L’aménagement d’une limite à la forclusion procédurale : la théorie de l’acte inexistant

Tout en posant un principe de forclusion procédurale très strict, la Cour examine la possibilité d’une exception fondée sur la théorie de l’acte inexistant (A), avant de la rejeter en l’espèce pour des motifs rigoureux (B).

A. L’admission théorique de l’exception fondée sur l’inexistence de l’acte

Face à l’argument de l’État membre soulevant une méconnaissance fondamentale de la répartition des compétences, la Cour ne se contente pas d’opposer une fin de non-recevoir absolue. Elle reconnaît, de manière implicite, qu’une exigence fondamentale de l’ordre juridique peut justifier un contrôle même en dehors des voies de recours classiques. Elle admet que son contrôle pourrait s’exercer par voie d’exception dans une situation extrême.

Cette situation est celle où l’acte contesté serait entaché de vices d’une gravité telle qu’il devrait être regardé comme inexistant. La Cour énonce que son objection « ne pourrait être accueillie que si l’acte en cause était affecté de vices particulièrement graves et évidents, au point de pouvoir être qualifié d’acte inexistant ». En agissant ainsi, elle transpose en droit communautaire une catégorie connue de certains ordres juridiques nationaux pour sanctionner les illégalités les plus extrêmes. La valeur de cette ouverture est de préserver l’ordre juridique contre des actes qui le nieraient dans son essence même, tout en posant un seuil d’une exigence considérable.

B. Le rejet de la qualification d’acte inexistant en l’espèce

Après avoir posé la condition théorique, la Cour l’applique aux faits du litige et conclut que les critères ne sont pas remplis. Elle estime que l’argumentation de l’État défendeur « ne contient aucun élément précis de nature à conférer une telle qualification à la décision de la Commission ». Les vices soulevés, relatifs à une éventuelle incompétence de l’institution, ne présentent pas le caractère manifeste et particulièrement grave requis.

De surcroît, la Cour relève une contradiction dans le comportement même de l’État défendeur. En annonçant à plusieurs reprises son intention de se conformer à la décision durant la phase précontentieuse, ce dernier a lui-même reconnu l’existence juridique de l’acte qu’il prétendait ensuite ignorer. Cet argument comportemental achève de démontrer que la qualification d’acte inexistant ne pouvait être retenue. La portée de l’arrêt est ainsi claire : si la porte de l’acte inexistant reste théoriquement ouverte, son seuil est si élevé qu’elle ne saurait servir de prétexte pour échapper à la rigueur du système des voies de recours.

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