Arrêt de la Cour du 30 mai 1989. – Commission des Communautés européennes contre République italienne. – Manquement d’État – Contrôles et formalités administratives lors du transport des marchandises – Législation nationale non conforme aux obligations du droit communautaire. – Affaire 340/87.

Par un arrêt en date du 25 mai 1989, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur la compatibilité d’une redevance perçue par un État membre pour des contrôles douaniers avec les dispositions du traité instituant la Communauté économique européenne relatives à la libre circulation des marchandises. En l’espèce, la législation d’un État membre prévoyait la perception d’une rémunération pour les opérations douanières effectuées pendant une période d’ouverture des bureaux qui, bien que conforme aux exigences du droit communautaire, excédait l’horaire normal de travail des fonctionnaires nationaux. Les opérateurs économiques devaient ainsi s’acquitter d’un montant correspondant au coût du service pour les formalités accomplies durant une partie des heures d’ouverture pourtant définies comme normales par une directive communautaire.

La Commission des Communautés européennes, considérant que cette pratique constituait une entrave prohibée aux échanges, a engagé une procédure en manquement en application de l’article 169 du traité CEE. Après une lettre de mise en demeure et un avis motivé restés sans effet substantiel, la Commission a saisi la Cour de justice. Elle soutenait que la redevance litigieuse constituait une taxe d’effet équivalant à un droit de douane, interdite par les articles 9 et 12 du traité CEE, tant pour le commerce intracommunautaire que pour les échanges avec les pays tiers. L’État membre défendeur rétorquait que cette charge constituait la contrepartie justifiée d’un service rendu aux opérateurs, puisque les prestations étaient assurées en dehors de l’horaire habituel de ses agents.

Le problème de droit soulevé consistait donc à déterminer si la perception d’une redevance pour des opérations de contrôle douanier, effectuées durant les heures d’ouverture obligatoires des bureaux de douane telles que fixées par le droit communautaire, constitue une taxe d’effet équivalant à un droit de douane prohibée.

La Cour de justice répond par l’affirmative en ce qui concerne le commerce intracommunautaire, estimant qu’une telle perception méconnaît les obligations découlant des articles 9 et 12 du traité. Elle juge qu’« en mettant, à l’occasion du commerce intracommunautaire, à la charge des opérateurs économiques le coût des contrôles et formalités administratives effectués pendant une partie des heures normales d’ouverture des bureaux de douane », l’État membre a manqué à ses obligations. La Cour rejette en revanche le recours pour ce qui est des échanges avec les pays tiers, faute d’arguments suffisamment précis de la part de la Commission.

Cette décision conduit à examiner la qualification rigoureuse de taxe d’effet équivalent retenue par la Cour dans le cadre du marché intérieur (I), avant d’analyser la portée plus limitée de cette condamnation en raison du traitement distinct réservé au commerce extracommunautaire (II).

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I. La confirmation du caractère illicite de la redevance dans le commerce intracommunautaire

La Cour de justice fonde sa condamnation de l’État membre sur une application orthodoxe de la notion de taxe d’effet équivalent (A), en refusant de voir dans la prestation des services douaniers un service spécifique rendu à l’opérateur économique (B).

A. Le rappel de la prohibition de principe des taxes d’effet équivalent

La Cour commence son raisonnement par un rappel de sa jurisprudence constante relative aux articles 9 et 12 du traité. Elle énonce que « toute charge pécuniaire, unilatéralement imposée, quelles que soient son appellation et sa technique, et frappant les marchandises en raison du fait qu’elles franchissent la frontière, constitue une taxe d’effet équivalant à un droit de douane ». Cette définition très large vise à garantir l’effectivité de l’union douanière, en neutralisant toute entrave financière, même minime, à la circulation des marchandises entre les États membres. La justification de cette interdiction réside dans le fait que de telles charges augmentent artificiellement le prix des produits importés ou exportés, faussant ainsi la concurrence au sein du marché commun.

En l’espèce, la Cour constate sans difficulté que la redevance perçue par l’administration nationale frappe bien les marchandises en raison du franchissement de la frontière. Elle s’ajoute aux coûts de transport et grève directement le prix des marchandises, remplissant ainsi le critère matériel de la taxe d’effet équivalent. L’unilatéralité de la mesure ne fait aucun doute, celle-ci résultant de la seule législation nationale de l’État membre mis en cause. La Cour réaffirme par là que l’appellation de la charge ou la finalité de son produit sont indifférentes à sa qualification. Seul compte l’effet protectionniste ou dissuasif qu’elle produit sur les échanges.

B. Le rejet de la qualification de service rendu à l’opérateur

Face à cette qualification, l’État défendeur invoquait l’exception classique développée par la jurisprudence, selon laquelle une charge échappe à l’interdiction si elle constitue « la contrepartie d’un service déterminé, effectivement et individuellement rendu à l’opérateur économique, d’un montant proportionné audit service ». Pour être admise, cette exception suppose un avantage spécifique et individualisé dont bénéficie l’opérateur, distinct de l’intérêt général qui s’attache au bon fonctionnement des contrôles douaniers. L’État membre soutenait que la mobilisation de ses agents au-delà de leur horaire national constituait un tel service.

La Cour rejette cet argument de manière catégorique. Elle lie l’analyse de la notion de service rendu aux obligations d’organisation pesant sur les États membres. En effet, l’article 5 de la directive 83/643, telle que modifiée, imposait aux États d’assurer une ouverture des bureaux de douane frontaliers d’au moins dix heures sans interruption du lundi au vendredi. Dès lors, la Cour juge qu’« on n’est pas en présence d’un tel service spécifique dans le cas d’un transporteur qui se présente à un bureau de douane pendant les heures normales d’ouverture de celui-ci ». En se présentant durant cette plage horaire, l’opérateur ne sollicite aucune prestation exceptionnelle ; il ne fait qu’user d’une faculté prévue et organisée par le droit communautaire lui-même. Le service douanier ne fait qu’accomplir sa mission ordinaire, et le bénéfice qu’en retire l’opérateur n’est pas plus individualisé que celui de tout autre usager.

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Si la Cour sanctionne fermement le manquement s’agissant des échanges internes au marché commun, elle adopte une position différente concernant le commerce avec les pays tiers, délimitant ainsi la portée de sa décision.

II. La délimitation de la portée de la condamnation à l’égard du commerce extracommunautaire

La Cour de justice module la portée de son arrêt en rejetant le second volet du recours de la Commission, soulignant ainsi la nécessité d’une argumentation probante de sa part (A), ce qui laisse en suspens la question du régime applicable aux contrôles imposés dans les échanges avec les pays tiers (B).

A. L’exigence d’une démonstration probante à la charge de la Commission

Alors qu’elle avait solidement étayé son argumentation pour le commerce intracommunautaire, la Commission a étendu son grief aux échanges avec les pays tiers de manière presque identique, sans fournir d’éléments spécifiques à ce contexte. Elle a postulé que la redevance était également contraire aux règlements portant organisation commune des marchés agricoles et aux accords préférentiels conclus par la Communauté. Or, la Cour de justice relève cette faiblesse manifeste dans la requête. Elle constate que la Commission est « restée en défaut d’avancer le moindre argument de nature à faire admettre qu’une redevance exigée dans les conditions ci-dessus décrites doit être considérée comme une taxe d’effet équivalant à un droit de douane interdite par le droit communautaire ».

Cette position de la Cour relève moins d’une divergence sur le fond que d’une censure procédurale. Dans le cadre d’un recours en manquement, la charge de la preuve incombe entièrement à la Commission. Celle-ci doit établir de manière circonstanciée la réalité du manquement, en fournissant à la Cour tous les éléments de fait et de droit nécessaires. En se contentant de transposer son raisonnement sans l’adapter, la Commission n’a pas permis à la Cour d’apprécier si les conditions d’une interdiction étaient réunies dans le cadre des échanges extracommunautaires, dont la logique et le fondement juridique diffèrent de ceux du marché intérieur. La Cour conclut qu’en agissant ainsi, la Commission ne l’a « pas mis en mesure d’identifier avec la précision indispensable le manquement reproché ».

B. L’incertitude sur le régime des redevances pour contrôles imposés par le droit communautaire

En rejetant le recours sur ce second point pour des raisons de preuve, la Cour évite de se prononcer sur une question de fond plus délicate. Contrairement au commerce intracommunautaire où l’objectif est la suppression des formalités, les échanges avec les pays tiers impliquent nécessairement des contrôles pour l’application du tarif douanier commun et des politiques commerciales. La Cour note elle-même qu’il s’agit de formalités « susceptibles d’être considérées comme effectuées pour satisfaire à des obligations imposées par le droit communautaire ». La question de savoir si un État membre peut faire supporter aux opérateurs le coût de contrôles rendus obligatoires par la Communauté elle-même restait donc entière.

La jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt Simmenthal de 1978, suggérait que les États membres ne peuvent ajouter des charges nationales aux droits prévus par la réglementation communautaire, au risque de compromettre son uniformité. Toutefois, la Cour s’abstient ici de trancher et laisse la question ouverte. Cet arrêt a donc une portée clairement délimitée : il affirme sans ambiguïté qu’un État membre ne peut facturer un service douanier rendu pendant les heures d’ouverture normales fixées par le droit communautaire dans le cadre du marché intérieur. Il ne fournit cependant aucune solution définitive pour les situations où les contrôles découlent d’une obligation communautaire, notamment dans les relations avec les pays tiers, laissant persister une zone d’incertitude juridique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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