Par un arrêt du 31 mai 1983, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions dans lesquelles un État membre peut restreindre les importations de produits agricoles pour des motifs de protection de la santé des animaux. En l’espèce, un État membre interdisait, sauf dérogation par licence, l’importation de carcasses, d’œufs et de produits de volaille. Cette politique, appliquée de longue date, visait à préserver le statut sanitaire de son cheptel aviaire, indemne de la maladie de Newcastle, en refusant les produits provenant d’États membres autorisant la vaccination contre cette affection. La Commission, estimant cette mesure contraire à la libre circulation des marchandises, a engagé une procédure en manquement sur le fondement de l’article 169 du traité CEE.
Saisie par la Commission, la Cour était confrontée à une double interrogation. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si une interdiction quasi totale d’importation de produits de volaille en provenance d’États membres qui autorisent la vaccination contre la maladie de Newcastle constituait une mesure justifiée et proportionnée au regard de l’article 36 du traité CEE. D’autre part, la Cour devait se prononcer sur la compatibilité avec le droit communautaire d’un régime de licences d’importation institué pour des raisons de police sanitaire. En réponse, la Cour a jugé que l’interdiction générale et absolue des importations était disproportionnée et constituait un manquement aux obligations découlant du traité. Elle a toutefois estimé que le maintien d’un système de licences ne saurait, en principe, être considéré comme incompatible avec l’article 36, sa justification dépendant d’une appréciation concrète des risques sanitaires et des contraintes administratives.
La solution retenue par la Cour de justice met en lumière la tension classique entre la liberté de circulation et les prérogatives sanitaires des États membres. Elle illustre la méthode du juge communautaire qui, tout en reconnaissant la légitimité des objectifs de santé publique, en contrôle rigoureusement les modalités de mise en œuvre. Ainsi, si la Cour censure une interdiction d’importation jugée excessive (I), elle admet la possibilité pour un État membre de maintenir un cadre réglementaire fondé sur un système de licences, sous réserve d’une appréciation au cas par cas (II).
I. La censure d’une interdiction d’importation jugée disproportionnée
La Cour examine la compatibilité de la mesure d’interdiction avec le droit communautaire en deux temps. Elle commence par reconnaître la compétence de l’État membre en matière de police sanitaire avant de soumettre la mesure litigieuse à un strict contrôle de proportionnalité.
A. La reconnaissance de la compétence étatique en matière de police sanitaire
L’État membre mis en cause soutenait que sa législation était justifiée par l’article 11 de la directive 71/118, qui, en l’absence de dispositions communautaires, laissait les réglementations nationales en matière de police sanitaire applicables. La Cour écarte cette interprétation, qui aurait pour effet de soustraire durablement un pan entier du commerce intracommunautaire aux règles du traité. Elle affirme que cette disposition ne saurait paralyser l’application des principes fondamentaux de la libre circulation des marchandises. La Cour juge que le texte de la directive « doit etre entendu comme laissant aux etats membres la competence pour edicter les regles en matiere de police sanitaire relatives aux viandes fraiches de volaille , dans L ‘ attente de mesures communautaires ». Elle en déduit logiquement que cette compétence résiduelle ne peut « avoir pour effet de soustraire les etats membres a leur obligation de respecter , dans le domaine couvert par L ‘ article 11 , paragraphe 1 , de la directive , les interdictions prevues aux articles 30 et 36 du traite ». Par ce raisonnement, la Cour réaffirme que les dérogations prévues par le droit dérivé ne peuvent être interprétées comme autorisant des mesures contraires aux libertés fondamentales garanties par le traité lui-même. En l’absence d’harmonisation complète, les mesures nationales restent possibles mais doivent se conformer aux exigences de l’article 36.
B. L’application du contrôle de proportionnalité à la mesure d’interdiction
Le cœur de l’analyse de la Cour réside dans l’appréciation du caractère « justifié » de la restriction, au sens de l’article 36 du traité. La Cour admet la légitimité de l’objectif poursuivi par l’État défendeur, à savoir la protection de la santé de son cheptel aviaire. Cependant, elle examine si une interdiction totale des importations constitue un moyen nécessaire et proportionné pour atteindre cet objectif. Se fondant sur les données scientifiques et statistiques disponibles, elle constate la régression constante de la maladie de Newcastle dans la Communauté et le risque « extrêmement faible » de contamination par des carcasses ou des viandes de volaille. La Cour en conclut que la mesure prise par l’État membre excède ce qui est nécessaire. Elle énonce qu’ « est en effet en tout cas disproportionnee a L ‘ objectif recherche L ‘ interdiction D ‘ importer des carcasses et viandes de volaille lorsque ces importations proviennent D ‘ un pays ou aucun foyer N ‘ a ete detecte au cours D ‘ un certain nombre D ‘ annees et lorsque , au surplus , il est etabli que les carcasses et viandes en cause sont des carcasses et viandes de volatiles non vaccines ». La Cour ne nie pas la réalité du risque sanitaire mais impose à l’État membre de recourir à des moyens moins restrictifs pour les échanges, tels que des contrôles ciblés ou des exigences de certification, plutôt qu’à une prohibition générale qui frappe indistinctement l’ensemble des importations.
II. La validation conditionnelle d’un régime de licences d’importation
Après avoir condamné l’interdiction quasi-totale des importations, la Cour se penche sur le second grief de la Commission, qui visait le régime de licences lui-même. Elle opère une distinction conceptuelle entre l’interdiction de fait et le cadre juridique qui la sous-tend, ce qui la conduit à une solution nuancée.
A. La distinction entre la mesure d’interdiction et le principe du régime de licences
La Commission soutenait qu’un régime de licences d’importation, sauf à être général et ouvert, était par sa nature même contraire à l’article 30 du traité. La Cour, tout en admettant qu’une telle exigence formelle constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative, refuse de la considérer comme nécessairement injustifiable au regard de l’article 36. Elle affirme que « si L ‘ exigence , meme formelle , D ‘ une licence est contraire a L ‘ article 30 du traite , il N ‘ en resulte pas necessairement que cette mesure ne puisse en aucun cas etre justifiee au regard de L ‘ article 36 ». Cette approche pragmatique permet de préserver la possibilité pour un État membre de mettre en place un système de surveillance et de contrôle des importations. Un régime de licences peut, en effet, constituer un instrument de gestion du risque sanitaire moins contraignant qu’une interdiction pure et simple, en permettant d’autoriser les importations qui ne présentent pas de danger et de refuser les autres. La Cour se refuse donc à condamner le système dans son principe, préférant analyser sa justification au cas par cas.
B. La soumission du régime de licences à une appréciation au cas par cas
Rejetant l’approche abstraite de la Commission, la Cour établit un critère d’appréciation concret pour déterminer la compatibilité d’un régime de licences avec l’article 36. Elle juge que la réponse « ne se prete pas a une reponse uniforme dans tous les cas D ‘ espece ». La validité d’un tel régime dépend d’une mise en balance de deux éléments. La Cour explique que « cette reponse est fonction de la relation qui existe dans un cas concret entre , D ‘ une part , la gene occasionnee par les charges administratives et financieres que comporte un tel regime et , D ‘ autre part , les dangers et risques pour la sante animale impliques par les importations en cause ». En l’occurrence, compte tenu de l’état sanitaire particulièrement favorable mais aussi vulnérable du cheptel de l’État membre concerné, la Cour estime que le maintien d’un système de licences n’est pas disproportionné. Cette solution flexible permet d’adapter la rigueur des contrôles à l’évolution des risques sanitaires, tout en soumettant la marge d’appréciation des États membres à un contrôle juridictionnel. La Cour valide ainsi un instrument de politique sanitaire à condition qu’il soit utilisé de manière proportionnée et non discriminatoire.