Arrêt de la Cour du 31 mai 2001. – D et Royaume de Suède contre Conseil de l’Union européenne. – Pourvoi – Fonctionnaire – Allocation de foyer – Fonctionnaire marié – Partenariat enregistre de droit suédois. – Affaires jointes C-122/99 P et C-125/99 P.

Par un arrêt en date du 31 mai 2001, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur l’interprétation de la notion de « fonctionnaire marié » au sens du statut des fonctionnaires, et plus précisément sur la question de savoir si un partenariat enregistré entre personnes de même sexe pouvait être assimilé au mariage pour l’octroi de l’allocation de foyer.

En l’espèce, un fonctionnaire de nationalité suédoise en service au sein d’une institution de l’Union européenne avait fait enregistrer en Suède un partenariat avec une personne de même sexe, conformément à la législation de cet État membre. Se prévalant de ce statut, il a sollicité auprès de son employeur le bénéfice de l’allocation de foyer, avantage prévu par le statut pour les fonctionnaires mariés.

Cette demande a été rejetée par l’institution au motif que le statut ne permettait pas d’assimiler un partenariat enregistré à un mariage. La réclamation administrative formée par le fonctionnaire a également été rejetée. Le fonctionnaire a alors introduit un recours en annulation de cette décision devant le Tribunal de première instance. Le Tribunal a rejeté le recours, considérant que la notion de mariage au sens du statut devait recevoir une interprétation autonome et traditionnelle, et qu’il n’appartenait pas au juge mais au législateur communautaire de modifier cette situation. Le fonctionnaire et l’État membre dont il est ressortissant ont interjeté un pourvoi contre cet arrêt devant la Cour de justice.

Il était ainsi demandé à la Cour de justice si la notion de « fonctionnaire marié », conditionnant l’octroi d’une allocation statutaire, devait être interprétée de manière autonome et restrictive comme visant exclusivement l’union entre deux personnes de sexes différents, ou si elle pouvait s’étendre, par la voie de l’interprétation, à un partenariat enregistré lorsque la législation nationale compétente lui confère des effets juridiques comparables à ceux du mariage.

La Cour de justice rejette les pourvois et confirme l’arrêt du Tribunal. Elle juge que le terme « mariage » désigne, selon une définition communément admise par les États membres, une union entre deux personnes de sexe différent et que les régimes de partenariat enregistré, bien que reconnus dans un nombre croissant d’États, demeurent distincts du mariage. Elle estime qu’une assimilation relèverait de la seule compétence du législateur communautaire, et non du juge. La Cour énonce ainsi que « l’assimilation, d’ailleurs incomplète, du partenariat enregistré au mariage dans un nombre limité d’États membres ne saurait avoir pour conséquence, par la voie d’une simple interprétation, d’inclure dans la notion statutaire de ‘fonctionnaire marié’ des personnes soumises à un régime de droit distinct du mariage ». Cette solution, qui consacre une lecture littérale du statut (I), conduit à valider une différence de traitement entre les fonctionnaires selon leur statut civil, révélant les limites de l’office du juge face à l’hétérogénéité des législations nationales (II).

I. L’affirmation d’une interprétation autonome et restrictive de la notion de mariage

La Cour de justice fonde sa décision sur une approche purement littérale du statut des fonctionnaires, en refusant de tenir compte des évolutions législatives nationales (A) et en renvoyant toute modification au seul législateur communautaire (B).

A. Le refus de l’assimilation du partenariat enregistré au mariage

La Cour, pour refuser d’étendre le bénéfice de l’allocation de foyer, se fonde sur une définition qu’elle qualifie de « communément admise par les États membres » pour le terme de mariage. Elle énonce qu’il « est constant que le terme de ‘mariage’ […] désigne une union entre deux personnes de sexe différent ». Ce faisant, elle adopte une interprétation autonome de la notion, indépendante des qualifications retenues par les droits nationaux des États membres.

Alors même que la législation suédoise en l’espèce conférait au partenariat enregistré des effets juridiques quasi identiques à ceux du mariage, la Cour souligne que ces régimes restent, « dans les États membres concernés, distincts du mariage ». La simple existence d’une distinction formelle entre les deux institutions dans le droit national suffit ainsi à justifier leur traitement différencié dans l’ordre juridique communautaire. Cette position revient à considérer que la portée des termes du statut ne saurait être affectée par les évolutions du droit de la famille propres à certains États membres, privilégiant ainsi l’uniformité d’application du droit de la fonction publique européenne sur la reconnaissance de la diversité des statuts personnels.

B. La primauté reconnue au législateur communautaire

En se refusant à toute interprétation extensive, la Cour de justice opère une stricte séparation des pouvoirs et fait preuve d’une grande retenue. Elle affirme qu’« il ne peut appartenir qu’au législateur d’adopter, le cas échéant, des mesures susceptibles d’affecter cette situation, par exemple en modifiant les termes du statut ». Le juge communautaire se défend ainsi d’outrepasser son rôle en se substituant au législateur, seul habilité à évaluer les conséquences, notamment budgétaires et juridiques, d’une extension du bénéfice des avantages statutaires.

La Cour note d’ailleurs que le législateur communautaire, lors d’une modification antérieure du statut, avait « expressément écarté, à ce stade, […] toute idée d’assimilation au mariage d’autres formes de partenariat ». Cette référence à la volonté du législateur vient renforcer la position du juge : en l’absence de volonté politique claire en faveur d’une telle assimilation, il ne lui appartient pas d’anticiper une réforme par la voie jurisprudentielle. La modification des droits sociaux des fonctionnaires relève donc d’un choix politique, et non d’une simple adaptation interprétative du droit existant.

II. La consécration d’une différence de traitement fondée sur le statut civil

En validant l’interprétation restrictive du Conseil, la Cour de justice accepte une différence de traitement entre les fonctionnaires, qu’elle justifie par une application rigide du principe d’égalité (A), demeurant ainsi peu perméable aux évolutions sociales et juridiques contemporaines (B).

A. Le rejet du moyen tiré de la violation du principe d’égalité

Le requérant soutenait que le refus de lui octroyer l’allocation constituait une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, contraire au principe d’égalité de traitement. La Cour écarte cet argument en affirmant que « le principe de l’égalité de traitement ne saurait s’appliquer qu’à des personnes placées dans des situations comparables ». Or, selon elle, la situation d’un fonctionnaire marié et celle d’un fonctionnaire ayant enregistré un partenariat ne sont pas comparables.

Pour parvenir à cette conclusion, la Cour s’appuie sur « la grande hétérogénéité des législations » et sur « une absence générale d’assimilation entre le mariage, d’une part, et les autres formes d’union légale, d’autre part » au sein de la Communauté. En conséquence, « la situation d’un fonctionnaire ayant fait enregistrer un partenariat […] ne saurait être tenue pour comparable, aux fins de l’application du statut, à celle d’un fonctionnaire marié ». Le raisonnement de la Cour apparaît quelque peu circulaire : c’est précisément parce que le statut n’assimile pas les deux situations que celles-ci ne sont pas jugées comparables, ce qui justifie en retour l’application différenciée du statut. Le manque de consensus entre les États membres devient ainsi un obstacle à la reconnaissance de l’égalité de traitement pour les fonctionnaires issus des États les plus progressistes.

B. Une portée limitée par une conception statique des droits fondamentaux

Au-delà de la question de l’égalité, la Cour examine l’argument tiré de la violation du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle le rejette de manière expéditive en considérant que la décision de refus d’une allocation « ne concernant que les rapports entre le fonctionnaire et son employeur, ne donne lieu, par lui-même, à aucune transmission d’informations personnelles à des personnes étrangères ». Par conséquent, elle ne saurait « constituer une ingérence dans la vie privée et familiale ».

Cette interprétation restrictive du champ d’application de l’article 8 témoigne d’une approche formaliste, qui ne prend pas en compte les conséquences concrètes de la décision sur la vie du requérant. En définitive, cet arrêt illustre la posture d’un juge qui, confronté à un vide juridique et à une absence de consensus politique, choisit la voie de la sécurité juridique et de la prudence. Il laisse au législateur la responsabilité pleine et entière de moderniser le statut des fonctionnaires pour l’adapter aux évolutions des structures familiales en Europe, entérinant en attendant une conception traditionnelle de la famille au sein de la fonction publique européenne.

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Hassan KOHEN
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