Arrêt de la Cour du 31 mars 1992. – Commission des Communautés européennes contre République italienne. – Manquement d’État – Marchés publics de fournitures – Recevabilité. – Affaire C-362/90.

Par un arrêt en date du 5 décembre 1991, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions de recevabilité d’un recours en manquement, en se prononçant sur la temporalité de l’appréciation de l’infraction.

En l’espèce, une unité sanitaire locale d’un État membre avait publié un avis de marché public de fournitures. Cet avis contenait une clause subordonnant la participation des soumissionnaires à une condition spécifique : cinquante pour cent de leurs fournitures antérieures devaient avoir été réalisées au profit d’administrations publiques. La Commission des Communautés européennes a considéré que cette exigence était contraire à la directive 77/62/CEE relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures.

Suivant la procédure établie par l’article 169 du traité CEE, la Commission a d’abord mis en demeure l’État membre de présenter ses observations, par une lettre du 10 février 1989. Insatisfaite de la réponse, elle a ensuite émis un avis motivé le 27 mars 1990, accordant à l’État un délai de quinze jours pour se conformer. Face à l’inaction perçue, la Commission a saisi la Cour de justice le 11 décembre 1990. L’État membre a soutenu que le recours était sans objet, puis irrecevable, car le marché litigieux avait épuisé ses effets le 31 décembre 1989 et la clause contestée avait été retirée des avis de marché ultérieurs, et ce, avant même l’expiration du délai fixé par l’avis motivé. Le problème de droit soulevé était donc de déterminer si un recours en manquement demeure recevable lorsque l’infraction alléguée a pris fin avant l’échéance du délai imparti par l’avis motivé.

La Cour répond à cette question par la négative en jugeant le recours irrecevable. Elle énonce que l’existence d’une infraction doit s’apprécier à la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé. Or, à cette date, le manquement reproché à l’État membre n’existait plus.

Cette décision réaffirme la fonction et le cadre temporel stricts de la procédure précontentieuse (I), tout en soulignant implicitement l’exigence de diligence pesant sur la Commission en tant que gardienne des traités (II).

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I. La cristallisation du manquement comme condition de recevabilité

La Cour de justice fonde son irrecevabilité sur une interprétation rigoureuse des conditions temporelles du recours en manquement, rappelant que l’avis motivé constitue le point de référence central de la procédure (A) et que l’appréciation du manquement est figée à l’expiration du délai qu’il fixe (B).

A. Le rôle charnière de l’avis motivé dans la procédure précontentieuse

La procédure en manquement organisée par l’article 169 du traité CEE est conçue comme un dialogue progressif entre la Commission et l’État membre mis en cause. L’avis motivé en constitue une étape décisive, délimitant l’objet du litige et fixant un ultime délai pour que l’État se conforme volontairement. En l’espèce, la Cour réaffirme que la saisine de la juridiction n’est qu’une faculté offerte à la Commission si l’État « ne s’est pas conformé à l’avis motivé dans le délai imparti par la Commission ». Cette formule conditionne explicitement la recevabilité de l’action judiciaire à une persistance du manquement au-delà de l’échéance fixée.

L’objectif principal de cette phase précontentieuse n’est pas de sanctionner une faute passée, mais bien de mettre un terme à une situation contraire au droit de l’Union. La solution retenue par la Cour est donc une application logique de cette finalité. Si l’État membre a corrigé la situation avant l’expiration du délai, la poursuite de la procédure perd son objet principal, qui est d’obtenir cette mise en conformité. La Cour s’assure ainsi que le recours contentieux reste une mesure subsidiaire, réservée aux cas où la coopération de l’État membre a manifestement fait défaut jusqu’au terme du processus.

B. L’appréciation de l’existence du manquement à l’échéance du délai

La Cour énonce de manière constante que « l’existence d’un manquement devait être appréciée en fonction de la situation de l’État membre, telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé ». Ce principe de fixation temporelle est au cœur du raisonnement de l’arrêt. En l’espèce, la Cour constate que le marché litigieux avait épuisé tous ses effets le 31 décembre 1989, et que les avis de marché postérieurs ne contenaient plus la clause litigieuse. L’avis motivé ayant été émis le 27 mars 1990, il est donc factuellement établi qu’au moment de l’expiration du délai de quinze jours, le manquement n’existait plus.

En refusant de prendre en considération l’existence passée de l’infraction, la Cour adopte une approche pragmatique et formaliste. Peu importe que l’État membre ait, un temps, violé le droit de l’Union ; ce qui compte pour la recevabilité du recours, c’est sa situation au moment précis où la phase précontentieuse se clôt. Cette jurisprudence offre une prévisibilité juridique aux États membres, qui savent précisément jusqu’à quand ils peuvent régulariser leur situation pour éviter une condamnation. Elle contraint également la Commission à fonder son action sur des manquements actuels et persistants au moment de la saisine.

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II. La sanction indirecte de l’inertie procédurale de la Commission

Au-delà de l’application stricte des règles de procédure, la décision de la Cour peut être lue comme une critique de la gestion du dossier par la Commission (A), portant en elle une incitation à une plus grande célérité dans la conduite des procédures en manquement (B).

A. L’inefficacité d’une action tardivement menée

La Cour prend soin de noter que la Commission n’a pas agi avec la diligence requise pour que son action puisse avoir un effet utile. Elle relève que l’institution « n’a pas agi en temps utile pour éviter, par les procédures qui sont à sa disposition, que le manquement reproché produise des effets ». En effet, l’avis de marché datait d’octobre 1988 et le contrat qui en résultait a pu être exécuté dans son intégralité sans que la procédure en manquement n’atteigne son terme. La Commission a ainsi permis que les effets d’une clause qu’elle jugeait illégale se produisent intégralement.

Cette observation, bien que non nécessaire au fondement de l’irrecevabilité, constitue une appréciation de la valeur de l’action de la Commission. Elle souligne que le recours en manquement n’est pas seulement un instrument de constatation juridique, mais aussi un outil destiné à préserver l’effectivité du droit de l’Union. En agissant avec une telle lenteur, la Commission a privé son intervention de toute portée pratique pour les soumissionnaires potentiellement lésés par la clause litigieuse. La Cour sanctionne donc non seulement une erreur de calendrier procédural, mais aussi une forme d’inefficacité dans l’exercice de la mission de gardienne des traités.

B. La portée de la décision : une incitation à la diligence

En déclarant le recours irrecevable, la Cour envoie un signal clair sur la manière dont les procédures en manquement doivent être conduites. La solution incite la Commission à faire preuve de plus de célérité, d’une part dans le déclenchement de la procédure, et d’autre part dans sa progression d’une étape à l’autre. L’argument de la Commission, soulevé tardivement à l’audience, concernant l’existence d’un premier avis motivé non mentionné dans la requête, est d’ailleurs sèchely écarté comme irrecevable, renforçant l’idée d’une exigence de rigueur et de cohérence procédurales.

La portée de cet arrêt est donc de rappeler que si la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour engager une procédure en manquement, l’exercice de ce pouvoir est encadré par des exigences d’efficacité et de bonne administration. Un État membre ne saurait rester indéfiniment sous la menace d’une procédure concernant une infraction révolue. Cette jurisprudence contribue à l’équilibre des pouvoirs entre les institutions et les États membres, en évitant que la procédure en manquement ne se transforme en un outil purement punitif pour des faits passés et corrigés, la consacrant fermement dans son rôle de mécanisme de régularisation du droit positif.

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