Arrêt de la Cour du 4 décembre 1986. – État néerlandais contre Federatie Nederlandse Vakbeweging. – Demande de décision préjudicielle: Gerechtshof ‘s-Gravenhage – Pays-Bas. – Égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale – Article 4, paragraphe 1 – Directive 79/7/CEE – Effet direct. – Affaire 71/85.

Par une décision du 4 décembre 1986, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée de l’effet direct d’une directive non transposée en droit interne par un État membre. En l’espèce, une loi néerlandaise sur les secours aux chômeurs excluait du droit aux prestations les femmes mariées qui n’avaient pas la qualité de chef de famille. Une fédération syndicale a engagé une action contre l’État néerlandais, soutenant que cette disposition était contraire au principe d’égalité de traitement prévu par la directive 79/7/CEE du 19 décembre 1978. Le gouvernement néerlandais, n’ayant pas transposé la directive dans le délai imparti qui expirait le 23 décembre 1984, soutenait que des mesures législatives étaient en cours d’élaboration et que la complexité des options de mise en œuvre justifiait le retard. Saisi du litige en appel, le Gerechtshof de La Haye a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice plusieurs questions préjudicielles. La juridiction de renvoi cherchait essentiellement à savoir si l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7 pouvait, après l’expiration du délai de transposition, être invoqué par les justiciables pour écarter une législation nationale contraire et si, de ce fait, les femmes exclues du bénéfice des prestations acquéraient un droit à celles-ci dans les mêmes conditions que les hommes. La Cour de justice répond par l’affirmative, en jugeant que l’article 4, paragraphe 1, de la directive, en tant que disposition inconditionnelle et suffisamment précise, est d’effet direct. Elle en déduit qu’à défaut de mesures nationales de transposition, les femmes ont le droit « d’être traitées de la même façon et de se voir appliquer le même régime que les hommes se trouvant dans la même situation, régime qui reste, à défaut d’exécution de ladite directive, le seul système de référence valable ».

Cette décision, en confirmant l’invocabilité d’une directive non transposée, en précise les conditions et les effets. Elle réaffirme ainsi l’exigence d’application du principe d’égalité comme une obligation de résultat pesant sur les États membres (I), tout en définissant la méthode par laquelle les juridictions nationales doivent assurer la primauté et l’effectivité du droit communautaire (II).

I. L’affirmation de l’effet direct comme sanction de la défaillance de l’État

La Cour rappelle d’abord que la possibilité pour un particulier d’invoquer une directive est subordonnée à des conditions strictes liées à la nature de la disposition en cause (A), avant de souligner que cet effet direct constitue la conséquence inéluctable de l’inexécution par un État membre de ses obligations (B).

A. Le caractère inconditionnel et précis de l’interdiction de discrimination

La Cour de justice fonde son raisonnement sur sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt *Becker* du 19 janvier 1982, selon laquelle « dans tous les cas où les dispositions d’une directive apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises », les particuliers peuvent les invoquer à l’encontre de l’État défaillant. L’analyse se concentre donc sur la nature de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7. La Cour constate que cette disposition « exclut toute discrimination fondée sur le sexe d’une manière générale et dans des termes non équivoques ». Le caractère précis de l’obligation ne fait ainsi aucun doute.

La Cour examine ensuite le caractère inconditionnel de la disposition. Le gouvernement néerlandais laissait entendre que la faculté laissée aux États membres par l’article 7 d’exclure certains domaines du champ d’application de la directive, ainsi que l’obligation générale de prendre des mesures de transposition prévue à l’article 5, privaient l’article 4 de son caractère inconditionnel. La Cour écarte ces arguments, jugeant que l’article 7 se limite à autoriser des dérogations spécifiques sans conditionner l’application du principe lui-même, et que l’article 5, en imposant une obligation de résultat, ne subordonne en rien l’interdiction de la discrimination. La disposition est donc bien inconditionnelle, son application n’étant soumise à aucune condition suspensive ni à l’intervention d’un acte complémentaire de l’Union ou des États membres.

B. L’inopposabilité de la propre défaillance de l’État

L’effet direct de la directive est présenté comme une conséquence logique du manquement de l’État à ses obligations. La Cour rappelle avec force un principe fondamental du droit de l’Union, celui de l’estoppel, selon lequel un État ne peut tirer avantage de sa propre violation du droit. Elle juge ainsi que « l’État membre qui n’a pas pris, dans les délais, les mesures d’exécution imposées par la directive, ne peut opposer aux particuliers le non-accomplissement, par lui-même, des obligations qu’elle comporte ».

Cette solution garantit l’effet utile des directives et prévient le risque que les droits que le législateur de l’Union a entendu conférer aux particuliers restent lettre morte du fait de la négligence d’une administration nationale. L’effet direct agit donc comme un mécanisme de sanction et un palliatif à la défaillance de l’État, assurant que l’expiration du délai de transposition ne soit pas dépourvue de conséquences juridiques. Le particulier devient ainsi le gardien de l’application du droit de l’Union, en pouvant exiger du juge national qu’il assure le respect d’une obligation que l’exécutif ou le législateur national a ignorée. La Cour établit ainsi un lien de cause à effet entre l’inertie de l’État et la naissance d’un droit invocable par le justiciable.

II. La portée de l’effet direct : l’application du régime favorable comme seule référence

Après avoir consacré le principe de l’invocabilité de la directive, la Cour en précise les conséquences pratiques. Elle établit que l’éviction de la norme nationale discriminatoire entraîne nécessairement l’application du seul régime subsistant et conforme au droit de l’Union (A), tout en rejetant l’idée que la marge d’appréciation de l’État dans la transposition puisse paralyser cet effet (B).

A. L’extension du régime masculin comme unique système de référence valable

La question la plus délicate était de déterminer le sort des femmes exclues par la loi néerlandaise une fois cette dernière écartée. La Cour ne se contente pas d’un effet d’exclusion, qui aurait créé un vide juridique. Elle définit une solution positive en jugeant que, en l’absence de transposition correcte, le seul régime de référence valide est celui applicable aux hommes. En conséquence, « les femmes ont le droit d’être traitées de la même façon et de se voir appliquer le même régime que les hommes se trouvant dans la même situation ».

Cette solution est d’une grande importance pratique. Elle offre au juge national une méthode claire pour résoudre le litige : il ne doit pas se déclarer incompétent ni attendre une intervention législative, mais appliquer par extension le régime dont bénéficie la catégorie de personnes non discriminée. Cela revient à neutraliser la discrimination en alignant le traitement du groupe désavantagé sur celui du groupe avantagé. La Cour garantit ainsi que l’effet direct ne soit pas seulement une arme procédurale pour contester une loi, mais un véritable instrument pour obtenir la jouissance effective d’un droit.

B. Le rejet de la marge d’appréciation comme obstacle à l’invocabilité

Dans ses deuxième et troisième questions, la juridiction de renvoi demandait si la marge de manœuvre dont disposait l’État pour transposer la directive — par exemple en étendant la condition de « chef de famille » aux hommes plutôt qu’en la supprimant, ou en prévoyant des dispositions transitoires — pouvait faire obstacle à l’effet direct. La Cour répond par une négation catégorique. Elle affirme qu’« un État membre ne peut invoquer le pouvoir d’appréciation dont il dispose dans le choix des moyens pour mettre en œuvre le principe d’égalité de traitement […] pour dénier tout effet à son article 4, paragraphe 1 ».

Cette précision est essentielle car elle empêche les États de se prévaloir de la complexité du processus législatif interne pour se soustraire à une obligation de résultat claire et arrivée à échéance. La Cour distingue l’obligation fondamentale de garantir l’égalité de traitement, qui est immédiate après l’expiration du délai, de la faculté de choisir les modalités pour y parvenir, qui ne saurait être utilisée pour en différer l’application. En agissant de la sorte, elle renforce la primauté du droit de l’Union et assure que les droits des particuliers ne soient pas suspendus à la discrétion ou aux retards des législateurs nationaux. L’effectivité de la directive l’emporte sur les contingences de sa mise en œuvre.

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Hassan KOHEN
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