Arrêt de la Cour du 4 mai 1999. – Windsurfing Chiemsee Produktions- und Vertriebs GmbH (WSC) contre Boots- und Segelzubehör Walter Huber et Franz Attenberger. – Demandes de décision préjudicielle: Landgericht München I – Allemagne. – Directive 89/104/CEE – Marques – Indications de provenance géographique. – Affaires jointes C-108/97 et C-109/97.

Par un arrêt rendu dans les affaires jointes C-108/97 et C-109/97, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur l’interprétation de la première directive sur les marques de 1988, à la suite de questions préjudicielles posées par une juridiction allemande. L’affaire trouve son origine dans un litige opposant une société de vêtements de sport, qui utilise comme marque la dénomination d’un lac bavarois sur les bords duquel elle est établie, à d’autres entreprises commercialisant des produits similaires sous la même dénomination. La société demanderesse, titulaire de plusieurs marques figuratives incluant ce nom, avait vu sa demande d’enregistrement du nom seul refusée au motif qu’il s’agissait d’une indication de provenance géographique.

Saisie par la société titulaire des marques figuratives, la juridiction allemande a été confrontée à l’argument des défendeurs selon lequel la dénomination, en tant qu’indication géographique, devait rester librement utilisable par tous les opérateurs économiques de la région. Face à cette opposition entre la protection d’un signe utilisé comme une marque et l’intérêt général à maintenir la disponibilité des noms géographiques, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour de justice sur les conditions d’application des articles 3, paragraphe 1, sous c), et 3, paragraphe 3, de la directive. Le problème de droit soumis à la Cour était double : il s’agissait de déterminer, d’une part, si le refus d’enregistrer une marque composée d’un nom géographique dépend de l’existence d’un besoin actuel et concret pour les concurrents d’utiliser ce nom et, d’autre part, de définir les critères permettant d’établir qu’un tel nom a acquis un caractère distinctif par l’usage.

À ces questions, la Cour de justice a répondu en précisant que le motif de refus d’enregistrement d’un nom géographique s’applique non seulement lorsque celui-ci présente un lien actuel avec les produits concernés, mais également lorsqu’il est « raisonnable d’envisager » qu’un tel lien puisse être établi dans l’avenir. Elle a ajouté que l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage doit être appréciée de manière uniforme, sans égard à l’intensité du besoin de maintenir le signe disponible, et qu’elle est établie dès lors qu’une « fraction significative des milieux intéressés » identifie le produit comme provenant d’une entreprise déterminée, sans qu’un seuil quantitatif puisse être imposé. L’analyse de la Cour se déploie autour d’une conception large de l’obstacle à l’enregistrement que constitue la provenance géographique (I), tempérée par une approche pragmatique de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage (II).

I. L’interprétation extensive du motif de refus lié à la provenance géographique

La Cour de justice adopte une vision large de l’interdiction d’enregistrer les noms géographiques, en écartant une approche purement actuelle du besoin de disponibilité (A) et en retenant une définition souple du lien entre le produit et le lieu géographique (B).

A. L’exclusion d’un besoin actuel et concret de disponibilité

La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la pertinence d’un « impératif de disponibilité » concret, notion issue du droit allemand qui supposait un besoin réel et actuel pour les tiers d’utiliser une dénomination géographique. La Cour écarte cette condition, affirmant que l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive « ne se limite pas à interdire l’enregistrement des noms géographiques en tant que marques dans les seuls cas où ceux-ci désignent des lieux qui présentent actuellement, aux yeux des milieux intéressés, un lien avec la catégorie de produits concernée ». Elle étend cette interdiction aux « noms géographiques susceptibles d’être utilisés dans l’avenir ». Cette interprétation téléologique vise à protéger l’intérêt général en garantissant que les signes descriptifs, y compris les noms de lieux, restent librement accessibles à tous les opérateurs.

En fondant son raisonnement non pas sur un usage existant mais sur un usage potentiel, la Cour met en place un mécanisme préventif. Il ne s’agit plus seulement de constater une association existante entre un lieu et un produit, mais d’anticiper les évolutions économiques et commerciales. L’autorité compétente doit ainsi se livrer à une analyse prospective et apprécier « s’il est raisonnable d’envisager qu’un tel nom puisse, aux yeux des milieux intéressés, désigner la provenance géographique ». Cette approche préserve la capacité des entreprises futures à se prévaloir d’une origine géographique pertinente pour leurs produits, même si aucune production de ce type n’existe actuellement dans le lieu désigné.

B. L’appréciation assouplie du lien entre le produit et le lieu

La Cour clarifie également la nature du lien requis entre le produit et le territoire. Le simple fait que la fabrication soit délocalisée ne suffit pas à rompre ce lien. En l’espèce, les produits étaient conçus dans la région du lac mais fabriqués ailleurs. Pour la Cour, « le lien entre le produit concerné et le lieu géographique ne dépend pas nécessairement de la fabrication du produit dans ce lieu ». Cette solution reconnaît que la valeur d’une provenance géographique peut résider dans d’autres étapes que la seule production matérielle, comme la conception, le dessin ou la commercialisation.

Cette vision large reflète les réalités économiques modernes où la chaîne de valeur est souvent fragmentée. Un produit peut tirer sa réputation ou son image d’un lieu sans y être physiquement assemblé. En considérant que la conception peut suffire à établir un lien pertinent, la Cour renforce la portée de l’interdiction et complique la tâche des entreprises souhaitant s’approprier un nom géographique à titre de marque. L’appréciation doit donc se fonder sur la perception des milieux intéressés, qui peuvent associer un produit à un lieu pour des raisons variées, allant au-delà de la simple indication du lieu de fabrication.

II. La définition unifiée de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage

Face à cette interprétation stricte du motif de refus, la Cour précise les contours de l’exception prévue par l’article 3, paragraphe 3. Elle consacre un standard d’appréciation unique du caractère distinctif (A) et valide une méthode d’évaluation globale des preuves, affranchie de seuils rigides (B).

A. L’affirmation d’un standard uniforme d’appréciation du caractère distinctif

La juridiction de renvoi se demandait si les exigences pour prouver l’acquisition du caractère distinctif variaient en fonction de l’intensité du besoin de maintenir un signe disponible. La Cour répond par la négative, en affirmant que la directive « ne permet pas que la notion de caractère distinctif diffère selon l’intérêt perçu à maintenir le nom géographique disponible pour l’usage d’autres entreprises ». Le critère est donc unitaire : le signe, quel qu’il soit, doit être devenu « apte à identifier le produit pour lequel est demandé l’enregistrement comme provenant d’une entreprise déterminée ».

Cette solution est fondamentale pour l’harmonisation du droit des marques. Elle empêche les États membres d’imposer des exigences probatoires plus lourdes pour les indications géographiques que pour d’autres signes descriptifs. L’enjeu n’est plus la nature intrinsèque du signe, mais sa fonction effective sur le marché. Si, par son usage, un nom géographique a perdu sa signification purement descriptive dans l’esprit du public pour devenir l’indicateur d’une origine commerciale spécifique, il peut être enregistré. La Cour opère ainsi un basculement de l’analyse, passant de l’intérêt général abstrait à la perception concrète du consommateur.

B. La consécration d’une appréciation globale des preuves et le rejet de seuils quantitatifs

Enfin, la Cour encadre la méthode d’évaluation de ce caractère distinctif acquis par l’usage. Elle impose à l’autorité compétente de procéder à une « appréciation globale des éléments qui peuvent démontrer que la marque est devenue apte à identifier le produit ». Parmi ces éléments figurent la part de marché, l’intensité et la durée de l’usage, les investissements publicitaires ou encore les déclarations d’associations professionnelles. Cette approche globale s’oppose à des critères purement formels.

De manière décisive, la Cour invalide l’exigence de seuils chiffrés, tels qu’un pourcentage de reconnaissance supérieur à 50 % qui était parfois appliqué en droit allemand. Elle juge que la condition est remplie si « une fraction significative des milieux intéressés identifie grâce à la marque le produit comme provenant d’une entreprise déterminée ». La notion de « fraction significative » est qualitative et non quantitative, laissant une marge d’appréciation au juge national tout en fixant un cadre harmonisé. Le recours à des sondages d’opinion est autorisé mais ne constitue qu’un outil parmi d’autres, son résultat ne pouvant à lui seul déterminer l’issue de l’appréciation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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