Arrêt de la Cour du 4 octobre 1991. – David Maxwell Middleburgh contre Chief Adjudication Officer. – Demande de décision préjudicielle: Court of Appeal – Royaume-Uni. – Sécurité sociale – Qualité de travailleur salarié – Règlement n. 1408/71 – Allocation pour enfants à charge – Clause de résidence – Articles 48 et 52 du traité CEE. – Affaire C-15/90.

Par un arrêt du 16 avril 1991, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’octroi des prestations familiales à un ressortissant exerçant une activité non salariée dans son État d’origine pour son enfant résidant dans un autre État membre. En l’espèce, un ressortissant britannique, après avoir travaillé en Irlande où est né un enfant d’une relation avec une ressortissante irlandaise, est retourné seul au Royaume-Uni. Sur le territoire britannique, il a exercé une activité salariée, puis s’est retrouvé au chômage avant d’entreprendre une activité non salariée, et enfin de suivre une formation professionnelle. Les autorités britanniques lui ont refusé le versement des allocations pour enfant à charge pour les périodes durant lesquelles il exerçait comme indépendant et suivait une formation, au motif que son fils ne résidait pas en Grande-Bretagne. Saisie par l’intéressé, la Court of Appeal in London a sursis à statuer et a posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait pour la haute juridiction de déterminer, d’une part, si une personne exerçant une activité non salariée pouvait être qualifiée de « travailleur salarié » au sens du règlement n°1408/71 au motif que ses droits aux prestations de chômage découlaient de cotisations antérieurement versées en tant que salarié. D’autre part, il était demandé si les articles 48 et 52 du traité CEE s’opposaient à ce qu’une législation nationale subordonne le versement de prestations familiales à une condition de résidence de l’enfant sur le territoire national, lorsque le parent a exercé sa liberté de circulation. La Cour de justice a répondu par la négative à ces deux interrogations, considérant que le statut de travailleur non salarié prime sur les droits acquis antérieurement et que, en l’absence de mesures communautaires d’harmonisation à l’époque des faits, le traité ne s’opposait pas à une telle condition de résidence pour les travailleurs indépendants.

La solution retenue par la Cour de justice repose sur une définition stricte de la qualité de travailleur au regard du droit communautaire de la sécurité sociale (I), ce qui conduit à limiter l’application des libertés fondamentales garanties par le traité en l’absence de législation dérivée (II).

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I. La définition stricte de la qualité de travailleur au regard du droit de la sécurité sociale

La Cour de justice adopte une interprétation littérale des dispositions du règlement n°1408/71, refusant d’assimiler un travailleur non salarié à un travailleur salarié sur la base de ses droits passés (A), ce qui confirme la prééminence du régime de sécurité sociale applicable au moment de la demande (B).

A. Le rejet d’une assimilation fondée sur l’origine des droits sociaux

L’argument du requérant au principal consistait à soutenir qu’il devait être considéré comme un « travailleur salarié » au sens de l’article 73 du règlement n°1408/71, puisqu’il était assuré contre le chômage en vertu de cotisations versées en tant que salarié. La Cour écarte cette analyse en se fondant sur la situation effective de l’intéressé durant la période litigieuse. Elle juge que « le simple fait que, si une personne se trouvant dans une telle situation avait alors cessé de travailler, elle aurait eu droit à des prestations de chômage en vertu de cotisations versées au cours d’une période antérieure, pendant laquelle elle était salariée, ne saurait suffire » pour lui conférer la qualité de travailleur salarié. Ce faisant, la Cour refuse une approche fonctionnelle qui aurait pris en compte l’ensemble de la carrière du migrant. Elle privilégie une vision instantanée, attachée au statut professionnel au moment précis où le droit aux prestations familiales est invoqué.

B. La prééminence du régime d’affiliation actuel

En conséquence, la qualification de « travailleur salarié » ou « non salarié » dépend exclusivement du régime de sécurité sociale auquel la personne est affiliée en raison de son activité professionnelle présente. La Cour relève que « c’est seulement en qualité de non salarié que l’intéressé a cotisé à un régime de sécurité sociale » pendant la période en cause. Dès lors, le régime applicable aux allocations familiales, qui n’est pas lié aux cotisations en tant que travailleur salarié, ne permet pas de l’identifier comme tel au sens de l’article 1er, sous a), du règlement. Cette interprétation rigoureuse ancre la qualification juridique dans le présent et refuse de la laisser influencer par un parcours professionnel passé. La solution confirme ainsi une application cloisonnée des catégories du règlement, avant que des modifications ultérieures n’étendent plus largement le bénéfice de la coordination aux travailleurs non salariés.

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II. La portée limitée des libertés fondamentales en l’absence de droit dérivé

Après avoir écarté l’application du règlement n°1408/71, la Cour examine si les libertés de circulation garanties par le traité CEE s’opposent directement à la législation nationale. Elle conclut que l’article 48 est inapplicable en l’espèce (A) et que l’article 52 ne pouvait, à l’époque des faits, fonder un droit aux prestations pour un enfant non-résident (B).

A. L’inapplicabilité de la libre circulation des travailleurs

La Cour observe de manière concise qu’une personne ayant exercé une activité non salariée avant de se retrouver au chômage ne peut être qualifiée de « travailleur » au sens de l’article 48 du traité. Cette disposition ne peut donc être invoquée pour contester la législation nationale. Le raisonnement, d’une logique implacable, illustre la distinction fondamentale que le traité opère entre la libre circulation des travailleurs salariés (article 48) et la liberté d’établissement des non-salariés (article 52). Le requérant, en changeant de statut professionnel, a également changé le fondement juridique de la protection que le droit communautaire pouvait lui offrir, le faisant sortir du champ de l’article 48 pour la période considérée.

B. La justification de la condition de résidence au regard de la liberté d’établissement

Concernant l’article 52, la Cour reconnaît son applicabilité potentielle mais en limite la portée directe. Elle constate que, durant la période en cause, « le législateur communautaire n’avait pas encore adopté les mesures nécessaires pour s’assurer, dans le domaine de la liberté d’établissement, le paiement des allocations pour enfants à charge aux personnes résidant sur le territoire des États membres ». L’absence de ces mesures de coordination, jugées indispensables notamment pour éviter les cumuls d’allocations, justifiait selon la Cour le maintien de la condition de résidence prévue par le droit national. Il s’ensuit que « la législation d’un État membre qui excluait le paiement d’allocations pour enfants à charge en ce qui concerne les enfants d’un travailleur non salarié qui résidaient dans un autre État membre n’était pas incompatible avec l’article 52 du traité aussi longtemps que lesdites mesures n’avaient pas été prises par le Conseil ». Cette décision met en lumière le rôle essentiel du droit dérivé pour donner leur plein effet aux libertés fondamentales du traité, et témoigne d’une certaine retenue judiciaire face à une situation que le législateur communautaire n’avait pas encore pleinement réglementée.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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