Arrêt de la Cour du 5 décembre 1989. – Commission des Communautés européennes contre République italienne. – Manquement d’État – Marchés publics de fournitures dans le domaine de l’informatique – Entreprises à participation publique – Législation nationale non conforme aux obligations de droit communautaire. – Affaire C-3/88.

Par un arrêt du 5 décembre 1989, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur la compatibilité d’une législation nationale avec les libertés d’établissement et de prestation de services. En l’espèce, un État membre avait adopté des dispositions législatives et réglementaires réservant la conclusion de conventions avec l’administration publique, pour l’élaboration de systèmes informatiques, aux seules sociétés bénéficiant d’une participation majoritaire ou totale du secteur public. La Commission des Communautés européennes, estimant ces dispositions contraires aux articles 52 et 59 du traité CEE ainsi qu’à la directive 77/62/CEE sur la coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures, a engagé une procédure en manquement. L’État membre soutenait que sa législation, ne se fondant pas sur un critère de nationalité, n’était pas discriminatoire et se justifiait par la nécessité de contrôler des secteurs stratégiques et de garantir la confidentialité des données. La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si une telle exigence de participation publique, bien qu’indistinctement applicable, pouvait constituer une discrimination dissimulée entravant les libertés fondamentales. Il s’agissait en outre de savoir si ces marchés, portant à la fois sur des équipements et des services, relevaient du champ d’application de la directive sur les marchés de fournitures. La Cour a jugé que l’État membre avait manqué à ses obligations, considérant que la mesure litigieuse instaurait une discrimination contraire au traité et méconnaissait les obligations découlant de la directive. Elle a rappelé à ce titre que le principe d’égalité de traitement « prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat ».

I. L’affirmation d’une conception matérielle des entraves aux libertés économiques

La Cour, pour constater le manquement, s’attache à une analyse des effets concrets de la législation plutôt qu’à sa seule lettre, caractérisant ainsi une restriction indirecte tout en écartant les justifications fondées sur l’intérêt public.

A. La caractérisation d’une discrimination indirecte

La législation nationale en cause ne posait aucune condition de nationalité pour les sociétés candidates à l’obtention des marchés informatiques. L’État défendeur arguait de cette neutralité formelle pour contester toute violation des articles 52 et 59 du traité. La Cour écarte cet argument en se fondant sur une approche factuelle de la discrimination. Elle observe qu’au moment des faits, « il n’existe pas, à l’heure actuelle dans le domaine de l’informatique, des sociétés d’autres États membres dont le capital soit détenu en totalité ou en majorité par le secteur public italien ». Le critère de la participation publique majoritaire, bien que neutre en apparence, avantageait donc dans les faits quasi exclusivement les entreprises nationales. En adoptant ce raisonnement, la Cour confirme sa jurisprudence antérieure et donne son plein effet utile au principe de non-discrimination. L’analyse ne se limite pas à la discrimination juridique, mais s’étend à la discrimination de fait, qui produit un résultat identique en cloisonnant le marché national.

B. Le rejet des justifications fondées sur l’intérêt général

L’État membre invoquait plusieurs motifs pour justifier la restriction, notamment la nécessité de contrôler l’exécution de contrats stratégiques et de protéger la confidentialité de données sensibles. La Cour rejette ces justifications en appliquant le principe de proportionnalité. Elle considère que le gouvernement disposait de moyens moins restrictifs pour atteindre ces objectifs, comme l’insertion de clauses spécifiques dans les contrats ou l’imposition d’une obligation de secret assortie de sanctions pénales. La Cour réfute également l’argument selon lequel les activités relèveraient de l’exercice de l’autorité publique au sens de l’article 55 du traité. Elle rappelle sa jurisprudence restrictive initiée dans l’arrêt *Reyners*, selon laquelle une activité ne tombe sous le coup de cette dérogation que si elle comporte « une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique ». Or, les prestations informatiques, de nature technique, en sont dépourvues. Enfin, l’exception d’ordre public est également écartée, la protection de la confidentialité des données ne nécessitant pas une restriction aussi radicale à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services.

II. L’application rigoureuse du droit dérivé des marchés publics

Au-delà de la violation des libertés fondamentales, la Cour constate que la législation nationale méconnaît également les règles spécifiques de la directive 77/62/CEE, en refusant une vision globale du contrat et en interprétant strictement les possibilités de dérogation.

A. La divisibilité du contrat de système informatique

L’État défendeur soutenait que la directive sur les marchés publics de fournitures était inapplicable, car la réalisation d’un système informatique constituait une prestation de service complexe où la fourniture de matériel n’était qu’un élément accessoire. Le contrat devait donc être attribué dans son ensemble à une seule entité. La Cour s’oppose à cette analyse en affirmant la divisibilité des prestations. Elle juge que « l’acquisition de l’équipement nécessaire à la réalisation d’un système informatique est dissociable des activités relatives à la conception et à la gestion de celui-ci ». L’administration aurait ainsi pu dissocier l’achat des équipements, qui relève de la directive sur les fournitures, de la commande des logiciels et services de conception. Cette solution pragmatique empêche les pouvoirs adjudicateurs de contourner les obligations de mise en concurrence prévues par les directives en agrégeant artificiellement des prestations de nature différente au sein d’un marché unique qualifié de service.

B. L’interprétation stricte des dérogations aux procédures

L’État membre a tenté de justifier sa pratique en invoquant plusieurs exceptions prévues par la directive. Il a notamment fait valoir le caractère secret des fournitures ou la nécessité de mesures de sécurité particulières. La Cour rejette cet argument pour les mêmes raisons que celles avancées dans son analyse des libertés fondamentales : la confidentialité des données peut être assurée par des moyens moins contraignants. De même, l’argument selon lequel l’activité constituerait un service public est écarté, la Cour distinguant la mission de service public de l’administration des moyens techniques qui lui permettent de la remplir. Enfin, l’exception relative aux livraisons complémentaires destinées à des installations existantes est jugée inapplicable pour justifier une règle générale d’exclusion. En procédant à un examen systématique et restrictif de chaque dérogation invoquée, la Cour renforce la portée contraignante de la directive et limite les possibilités pour les États membres de se soustraire aux procédures de publicité et de mise en concurrence qu’elle impose.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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