Arrêt de la Cour du 5 juin 1984. – Commission des Communautés européennes contre République italienne. – Exécution d’une directive – Impôts frappant la consommation des tabacs manufacturés. – Affaire 280/83.

Par un arrêt du 12 juillet 1984, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur le manquement d’un État membre à ses obligations de transposition d’une directive. La directive 79/32 du Conseil, datée du 18 décembre 1978, définissait les différentes sortes de tabacs manufacturés et imposait aux États membres de mettre en vigueur les dispositions nécessaires pour s’y conformer avant le 1er janvier 1980. La Commission des Communautés européennes, constatant l’absence de mesures de transposition par la République italienne, a engagé un recours en manquement sur le fondement de l’article 169 du traité CEE. Le gouvernement défendeur ne contestait pas le retard mais l’expliquait par des difficultés d’ordre institutionnel interne, à savoir la dissolution anticipée de son parlement qui avait interrompu la procédure législative. Il s’agissait donc pour la Cour de déterminer si des circonstances relevant de l’organisation politique et juridique interne d’un État membre pouvaient justifier le non-respect d’une obligation issue du droit communautaire. La Cour a répondu par la négative en affirmant qu’« un etat membre ne saurait exciper de dispositions , pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations et delais resultant des directives communautaires ». En conséquence, le manquement de l’État a été constaté.

La solution rendue par la Cour de justice permet de rappeler la nature des obligations pesant sur les États membres, dont l’exécution ne peut être subordonnée à des considérations nationales (I). Cette décision réaffirme ainsi un principe essentiel à la survie et à l’effectivité de l’ordre juridique communautaire (II).

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I. La constatation du manquement de l’État membre à son obligation de transposition

La Cour constate le manquement en se fondant sur l’existence d’une obligation de résultat claire et inconditionnelle (A) et en jugeant inopérantes les justifications présentées par l’État défendeur pour expliquer son retard (B).

A. Une obligation de résultat claire et inconditionnelle

La directive est un instrument normatif qui lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Dans le cas d’espèce, la directive 79/32 du Conseil fixait une obligation de résultat précise, consistant à intégrer en droit interne les définitions qu’elle édicte. Cette obligation était assortie d’un délai de transposition fixé au 1er janvier 1980, dont le respect constitue une partie intégrante de l’obligation elle-même.

Le manquement est constitué par le simple fait matériel de ne pas avoir adopté les mesures requises dans le délai imparti. La Cour n’a pas besoin d’examiner les raisons de l’inaction de l’État pour caractériser la violation du droit communautaire. La simple comparaison entre les exigences du texte et la situation juridique interne de l’État à la date butoir suffit à établir l’infraction, rendant la position de la Commission difficilement contestable sur ce point.

B. L’indifférence des causes du retard de transposition

L’État défendeur a tenté de justifier son inaction en invoquant la dissolution prématurée de son parlement, événement qui a rendu caduc le projet de loi de transposition. Cet argument, tiré de contraintes propres au système constitutionnel et politique national, est jugé entièrement non pertinent par la Cour. Celle-ci rappelle avec force que les modalités de fonctionnement de l’ordre juridique interne sont sans incidence sur les obligations communautaires.

En affirmant que « ces circonstances ne sauraient faire disparaitre le manquement », la Cour signifie que l’État membre est considéré comme une entité unique et cohérente sur la scène communautaire. Il lui appartient de s’organiser de manière à garantir l’exécution de ses engagements, quelles que soient les répartitions de compétences ou les aléas politiques internes. L’autonomie institutionnelle des États ne peut servir de prétexte à la violation du droit commun.

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Cette position de principe, qui peut sembler sévère, est en réalité le corollaire indispensable du principe de primauté du droit communautaire, dont la Cour assure la sauvegarde.

II. La réaffirmation du principe de primauté du droit communautaire

En refusant de prendre en compte les justifications nationales (A), la Cour de justice réaffirme une solution jurisprudentielle constante qui est essentielle pour garantir l’effectivité et l’uniformité du droit communautaire (B).

A. Le rejet systématique des justifications tirées de l’ordre juridique interne

La formule employée par la Cour, selon laquelle il s’agit d’une « jurisprudence constante », inscrit cet arrêt dans une lignée bien établie. Depuis les origines de la construction communautaire, la Cour a toujours affirmé que les règles issues des traités et des actes des institutions priment sur les normes nationales contraires. Cette primauté serait vidée de sa substance si un État pouvait se prévaloir de ses propres lois, de ses pratiques administratives ou de sa situation politique pour se soustraire à ses obligations.

Le raisonnement est d’une logique implacable : admettre de telles justifications reviendrait à permettre à chaque État de moduler l’application du droit communautaire en fonction de ses propres contraintes. Une telle situation créerait une insécurité juridique et ruinerait l’édifice commun en le soumettant aux volontés unilatérales et variables de ses membres. La Cour se montre donc la gardienne intransigeante de la nature spécifique et intégrée de l’ordre juridique communautaire.

B. Une solution indispensable à l’effectivité et à l’uniformité du droit

La portée de cet arrêt dépasse largement le simple domaine de la fiscalité des tabacs. Il confirme que l’effectivité du droit communautaire, ou son *effet utile*, est une exigence cardinale. Une directive qui ne serait pas transposée dans les délais resterait lettre morte et priverait les justiciables des droits qu’elle entend leur conférer. De plus, une transposition à des rythmes différents selon les États membres créerait des distorsions de concurrence et fragmenterait le marché intérieur que le droit communautaire a précisément pour but d’unifier.

En tenant l’État pour seul responsable de l’organisation de ses pouvoirs en vue du respect de ses engagements, la Cour garantit l’application uniforme et simultanée des normes communautaires. Cette décision, bien que rendue dans une affaire aux faits simples, constitue ainsi une pierre angulaire du système juridique de l’Union. Elle rappelle aux États qu’en adhérant aux traités, ils ont consenti à une limitation de leur souveraineté qui implique une obligation de loyauté et de diligence dans l’exécution de leurs devoirs.

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Hassan KOHEN
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