Arrêt de la Cour du 5 mai 1982. – Gaston Schul Douane Expediteur BV contre Inspecteur des droits d’importation et des accises, de Roosendaal. – Demande de décision préjudicielle: Gerechtshof ‘s-Hertogenbosch – Pays-Bas. – Taxe sur le chiffre d’affaires à l’importation de marchandises livrées par des particuliers. – Affaire 15/81.

Par un arrêt du 5 mai 1982, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une question préjudicielle par le Gerechtshof de ‘s-Hertogenbosch, s’est prononcée sur la compatibilité avec le droit communautaire de la perception de la taxe sur la valeur ajoutée lors de l’importation d’un bien d’occasion entre particuliers. En l’espèce, un transitaire en douane avait importé aux Pays-Bas, pour le compte d’un particulier y résidant, un bateau de plaisance acheté en France auprès d’un autre particulier. L’administration fiscale néerlandaise avait alors assujetti cette importation à la taxe sur la valeur ajoutée au taux interne de 18 %. Le transitaire a contesté cette taxation devant les juridictions nationales, arguant qu’elle était contraire aux articles 13 et 95 du traité CEE, car une cession similaire entre particuliers à l’intérieur des Pays-Bas n’était pas soumise à la TVA. Face à cette argumentation, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur le point de savoir si une telle imposition constituait une taxe d’effet équivalant à un droit de douane prohibée par l’article 13 du traité, ou une imposition intérieure discriminatoire au sens de l’article 95. La question se posait également de la validité de la sixième directive TVA qui soumettait à la taxe les importations de biens sans distinguer selon la qualité, assujetti ou non, du vendeur. La Cour de justice juge que la taxe relève de l’article 95 du traité et constitue une imposition intérieure discriminatoire, sauf si l’État membre d’importation tient compte de la taxe résiduelle incorporée dans la valeur du bien.

La Cour clarifie ainsi la qualification juridique de la taxe sur la valeur ajoutée perçue sur les biens d’occasion importés (I), avant de définir les conditions de sa compatibilité avec le principe de non-discrimination fiscale (II).

I. La qualification de la taxe sur la valeur ajoutée à l’importation

La Cour de justice écarte l’application des dispositions relatives aux taxes d’effet équivalent pour retenir celle concernant les impositions intérieures. Elle analyse la nature de la taxe litigieuse au regard du système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

A. Le rejet de la qualification de taxe d’effet équivalent

La juridiction de renvoi interrogeait la Cour sur la possible qualification de la taxe en cause de taxe d’effet équivalant à un droit de douane au sens de l’article 13 du traité. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle une telle taxe se caractérise par le fait qu’elle frappe spécifiquement un produit importé à l’exclusion du produit national similaire. Or, la taxe sur la valeur ajoutée, même perçue à l’importation, ne présente pas ce caractère de spécificité. Elle s’inscrit au contraire dans un régime général d’impositions intérieures.

La Cour observe que la taxe litigieuse « fait partie du système commun de la TVA dont la structure et les modalités determinantes ont été arrêtées par des directives d’harmonisation du conseil ». Ce système fiscal uniforme appréhende systématiquement des opérations économiques selon des critères objectifs, indépendamment de l’origine des produits. Le fait que le régime de TVA soumette les importations et les livraisons internes d’un même bien au même taux confirme son caractère de régime général d’imposition intérieure. Par conséquent, la compatibilité de la perception de la taxe avec le droit communautaire doit être appréciée au regard de l’article 95 du traité et non des articles 12 et 13.

B. L’application du régime des impositions intérieures

La deuxième question préjudicielle portait sur la conformité de la taxe avec l’article 95 du traité, qui interdit aux États membres de frapper les produits des autres États membres d’impositions intérieures supérieures à celles qui frappent les produits nationaux similaires. La Cour constate une différence de traitement fiscal. Une livraison de bien entre particuliers au sein de l’État membre d’importation n’est pas soumise à la TVA, tandis que l’importation du même bien, suite à une transaction entre particuliers, est taxée.

Les États membres et la Commission soutenaient que cette taxation visait à compenser la TVA qui avait frappé le produit national à l’état neuf et qui se répercutait sur son prix d’occasion. Ils alléguaient que cette compensation assurait une neutralité fiscale entre les produits nationaux et les produits importés. La Cour ne rejette pas le principe d’une telle compensation, mais elle en précise les limites au regard des finalités du traité. Elle souligne que l’article 95 vise à assurer la libre circulation des marchandises dans des conditions normales de concurrence. Cette disposition serait vidée de son sens si un produit importé était taxé sans tenir compte de la charge fiscale qu’il a déjà supportée dans son État membre de provenance.

II. Les conditions de la neutralité fiscale pour les échanges entre particuliers

La Cour de justice établit un mécanisme correcteur pour garantir la neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée et affirme le droit pour les justiciables de s’en prévaloir.

A. La prise en compte de la taxe résiduelle de l’État d’exportation

La Cour juge que la perception de la TVA à l’importation sans tenir compte de la fiscalité antérieure constitue une discrimination. Elle énonce qu’une imposition à l’importation est contraire à l’article 95 « dans la mesure ou N ‘ est pas prise en consideration la part residuelle de la taxe sur la valeur ajoutee acquittee dans L ‘ etat membre D ‘ exportation qui est encore incorporee dans la valeur du produit au moment de son importation ». Cette solution vise à éviter une double imposition qui pénaliserait les échanges entre particuliers au sein du marché commun. La Cour consacre ainsi le principe selon lequel le marché commun doit également bénéficier aux particuliers dans leurs opérations économiques transfrontalières.

Face aux difficultés pratiques soulevées par les États membres quant à la détermination de cette taxe résiduelle, la Cour adopte une solution pragmatique. Elle précise qu’il appartient à l’importateur qui sollicite une réduction de la taxe d’apporter la preuve de la charge fiscale antérieure. L’État membre d’importation est en droit d’exiger les documents prouvant la TVA initialement acquittée. Ce faisant, la Cour concilie l’interdiction des discriminations fiscales avec les contraintes administratives de sa mise en œuvre.

B. La portée de la solution et l’effet direct de l’article 95

Interrogée sur la validité de l’article 2 de la sixième directive TVA, qui soumet les importations à la taxe sans exception pour les opérations entre particuliers, la Cour conclut à sa validité. Elle estime que cette disposition doit être interprétée conformément aux exigences impératives du traité. L’article 2 de la directive ne fait donc pas obstacle à l’obligation, découlant de l’article 95, de déduire la taxe résiduelle de l’État d’exportation. L’interprétation conforme permet de préserver la cohérence du droit communautaire.

Enfin, la Cour réaffirme la jurisprudence constante sur l’effet direct de l’article 95 du traité. Cette disposition crée des droits individuels que les juridictions nationales sont tenues de sauvegarder. Par conséquent, un particulier peut invoquer directement l’article 95 pour s’opposer à une réglementation nationale qui imposerait une TVA à l’importation sans prévoir la déduction de la taxe résiduelle. Les États membres sont tenus de laisser inappliquée toute disposition contraire de leur droit national, assurant ainsi la primauté et l’effectivité du droit de l’Union dans la protection des droits des citoyens européens.

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