Arrêt de la Cour du 6 décembre 1994. – Commission des Communautés européennes contre Royaume d’Espagne. – Droit d’établissement – Libre prestation de services – Médecins – Spécialités médicales – Périodes de formation – Rémunération. – Affaire C-277/93.

Par un arrêt du 5 octobre 1994, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée de l’obligation de rémunération des périodes de formation des médecins spécialistes. En l’espèce, une législation nationale relative à la formation médicale spécialisée distinguait deux régimes, dont l’un, qualifié de régime « étudiant », n’ouvrait pas droit à une rémunération pour six spécialités médicales spécifiques. L’institution requérante a engagé une procédure en manquement à l’encontre de l’État membre concerné, estimant que l’absence de rémunération pour ces formations contrevenait aux dispositions de la directive 75/363/CEE, dite « coordination ». L’État membre défendeur a admis le bien-fondé du grief pour l’une des spécialités, la stomatologie, car elle figurait dans la liste des diplômes mutuellement reconnus par la directive 75/362/CEE, dite « reconnaissance ». Il contestait cependant l’existence d’une telle obligation pour les cinq autres spécialités, au motif que celles-ci n’étaient pas soumises au régime de reconnaissance mutuelle automatique. La question de droit soumise à la Cour était donc de déterminer si l’obligation de prévoir une rémunération appropriée pour la formation des médecins spécialistes, imposée par la directive « coordination », s’appliquait à toutes les spécialités médicales reconnues par un État membre, ou seulement à celles qui sont communes et font l’objet d’une reconnaissance mutuelle obligatoire. La Cour de justice juge que l’obligation de rémunération est indissociable du mécanisme de reconnaissance mutuelle des diplômes. Par conséquent, elle ne s’impose qu’à l’égard des spécialités médicales qui sont énumérées aux articles 5 ou 7 de la directive « reconnaissance ». Pour les autres spécialités, relevant d’un champ purement national, les États membres restent libres de fixer leurs propres conditions de formation. La Cour établit ainsi une interprétation stricte du champ d’application de l’obligation de rémunération (I), consacrant de ce fait l’autonomie des États membres pour l’organisation des formations médicales non harmonisées (II).

I. L’interprétation restrictive du champ d’application de l’obligation de rémunération

La Cour de justice opère une lecture finaliste des directives, en liant étroitement les exigences de coordination des formations à l’objectif de reconnaissance mutuelle des diplômes (A), ce qui a pour conséquence directe d’exclure du champ de l’obligation de rémunération les spécialités à caractère purement national (B).

A. La corrélation entre la coordination des formations et la reconnaissance mutuelle des diplômes

La Cour rappelle que les directives relatives à la libre circulation des médecins forment un ensemble cohérent. La directive « coordination » a pour but de faciliter l’application de la directive « reconnaissance ». Les exigences minimales de formation qu’elle fixe, notamment la durée, le caractère à plein temps et le contrôle par les autorités compétentes, visent à garantir un niveau de qualification équivalent dans l’ensemble de l’Union. C’est cette harmonisation qui justifie la confiance mutuelle entre États membres et fonde le système de reconnaissance automatique des diplômes. La Cour en déduit que les obligations de formation prévues par la directive « coordination » ne sauraient avoir une portée plus large que le système de reconnaissance qu’elles servent.

Cette logique est explicitement confirmée par la Cour lorsqu’elle juge que « l’obligation de rémunérer les périodes de formation relatives aux spécialités médicales, prévue à l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive ‘coordination’ ne s’impose que pour les spécialités médicales communes à tous les États membres ou à deux ou plusieurs d’entre eux et mentionnées aux articles 5 ou 7 de la directive ‘reconnaissance’ ». En conditionnant l’obligation de rémunération à l’inscription de la spécialité dans les listes des directives, la Cour fait de la reconnaissance mutuelle la clé de voûte de l’ensemble du dispositif. La rémunération n’est donc pas une exigence autonome, mais un accessoire des standards de formation harmonisés.

B. L’exclusion des spécialités médicales à caractère purement national

La conséquence de ce raisonnement est que les spécialités non mentionnées aux articles 5 et 7 de la directive « reconnaissance » échappent aux contraintes de la directive « coordination ». Pour ces formations, l’article 8 de la directive « reconnaissance » prévoit un mécanisme plus souple, où l’État d’accueil n’est tenu qu’à une obligation de prise en compte des formations suivies, sans reconnaissance automatique. Il conserve la faculté d’exiger des conditions supplémentaires. La Cour estime donc logiquement que si la reconnaissance elle-même n’est pas obligatoire, les conditions minimales de formation qui la sous-tendent ne peuvent l’être non plus.

Elle le formule sans ambiguïté en affirmant que « la reconnaissance de tels titres ou diplômes spécifiques à un État membre n’étant pas obligatoire, le respect des conditions minimales de formation énoncées à l’article 2 de la directive ‘coordination’ ne peut être considéré non plus comme obligatoire ». Ainsi, des spécialités comme l’hydrologie médicale ou la médecine de l’espace, qui ne sont reconnues que dans un seul État membre et ne bénéficient pas de la reconnaissance automatique, ne sont pas soumises à l’obligation de rémunération. La solution délimite ainsi clairement la frontière entre le droit de l’Union et la compétence résiduelle des États membres.

II. La portée de la solution : une autonomie confirmée des États membres

En circonscrivant l’obligation de rémunération, la Cour de justice confirme la faculté pour les États membres d’imposer leurs propres conditions de formation pour les spécialités non harmonisées (A), adoptant ainsi une solution pragmatique qui préserve l’équilibre du système de libre circulation (B).

A. La confirmation de la faculté d’imposer des conditions de formation nationales

L’arrêt consacre la liberté des États membres dans l’organisation des cursus de formation médicale qui ne relèvent pas du champ de l’harmonisation. Pour les spécialités qui lui sont propres ou qu’il a choisi de ne pas inclure dans le système de reconnaissance mutuelle, un État membre peut définir ses propres exigences. Cette autonomie s’étend non seulement au contenu pédagogique et à la durée de la formation, mais également à ses modalités matérielles, comme la rémunération des médecins en formation. La Cour valide le raisonnement de l’État membre défendeur en affirmant que « l’État membre d’accueil conserve donc la faculté d’imposer ses propres conditions de formation pour la reconnaissance des titres ou diplômes qui lui sont spécifiques ».

Cette solution respecte le principe de subsidiarité. Elle évite d’imposer une contrainte financière uniforme et potentiellement lourde pour des formations dont la portée reste strictement nationale. Elle permet aux États de développer des spécialités innovantes ou répondant à des besoins spécifiques sans être immédiatement contraints par l’ensemble des standards européens, favorisant ainsi une certaine flexibilité dans l’évolution de l’offre de formation médicale. Le choix d’un État de ne pas rémunérer une formation pour une spécialité non harmonisée est ainsi validé comme relevant de sa compétence souveraine.

B. Une solution pragmatique au service de la libre circulation

En liant l’obligation de rémunération à la contrepartie de la reconnaissance automatique, la Cour adopte une approche équilibrée et pragmatique. Imposer une rémunération pour toutes les spécialités, y compris celles non reconnues par les autres États, aurait créé une distorsion. Les États membres auraient supporté une charge financière sans que leurs diplômés bénéficient en retour d’un accès facilité au marché du travail européen dans ces spécialités. La solution retenue assure une juste réciprocité : les contraintes de l’harmonisation, y compris financières, s’appliquent là où la libre circulation des professionnels est pleinement garantie.

Cette interprétation évite également de freiner la création de nouvelles spécialités au niveau national. Si toute nouvelle formation devait immédiatement se conformer à l’intégralité des exigences de la directive « coordination », les États membres pourraient être dissuadés d’expérimenter de nouveaux cursus. La position de la Cour préserve ainsi un espace de régulation nationale qui, tout en étant encadré par les principes du Traité, n’est pas étouffé par une harmonisation excessive. La libre circulation des médecins est ainsi encouragée pour les spécialités communes, sans pour autant paralyser les systèmes de santé nationaux dans leur capacité d’adaptation et d’innovation.

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Hassan KOHEN
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