Arrêt de la Cour du 6 mars 2003. – Arben Kaba contre Secretary of State for the Home Department. – Demande de décision préjudicielle: Immigration Adjudicator – Royaume-Uni. – Libre circulation des travailleurs – Règlement (CEE) nº 1612/68 – Avantage social – Droit pour le conjoint d’un travailleur migrant d’obtenir une autorisation de séjourner indéfiniment sur le territoire d’un État membre. – Affaire C-466/00.

Par un arrêt rendu sur une seconde question préjudicielle, la Cour de justice des Communautés européennes précise la portée de son appréciation du principe de non-discrimination en matière de droit au séjour. En l’espèce, le conjoint d’une ressortissante d’un État membre, exerçant son activité professionnelle dans un autre État membre, s’était vu refuser une autorisation de séjour à durée indéterminée. La législation nationale imposait une période de résidence de quatre ans pour le conjoint d’un travailleur communautaire, tandis qu’une période d’un an seulement était exigée pour le conjoint d’une personne déjà établie sur le territoire. Saisie une première fois, la Cour avait jugé cette différence de traitement non discriminatoire. Le juge national, estimant que la Cour avait pu se fonder sur une compréhension inexacte du droit et des faits, et que les deux situations étaient en réalité comparables sous l’angle du droit interne, a de nouveau saisi la Cour. Il l’interrogeait sur la nécessité de réviser sa position à la lumière de ces nouveaux éléments, ainsi que sur la conformité de la procédure suivie devant elle avec les garanties d’un procès équitable. La question de droit posée était donc de savoir si l’appréciation par une juridiction nationale de la comparabilité de deux situations au regard de son propre droit pouvait contraindre la Cour à modifier son interprétation du droit communautaire et à conclure à l’existence d’une discrimination. La Cour de justice a répondu par la négative. Elle a réaffirmé que l’appréciation de la comparabilité des situations relève exclusivement de l’interprétation du droit de l’Union. Or, selon ce droit, le séjour d’un travailleur migrant demeure conditionnel, contrairement à celui d’une personne établie de manière permanente, justifiant ainsi une différence d’approche.

La solution retenue par la Cour de justice confirme une interprétation stricte de la notion de comparabilité, la dissociant entièrement des qualifications du droit national (I). Par voie de conséquence, cette position renforce l’autonomie du droit de l’Union tout en laissant sans réponse les interrogations du juge de renvoi sur les garanties procédurales offertes par la Cour (II).

I. La réaffirmation d’une conception stricte de la comparabilité des situations

La Cour de justice, pour maintenir sa solution initiale, rappelle que l’analyse d’une éventuelle discrimination repose sur une appréciation de la comparabilité des situations qui relève de sa compétence exclusive au regard du droit de l’Union (A), et fonde cette appréciation sur la nature fondamentalement distincte des droits de séjour en cause (B).

A. La primauté du droit de l’Union dans l’appréciation de la comparabilité

La Cour écarte l’argumentation du juge de renvoi fondée sur la similitude des statuts en droit interne. Elle établit clairement que le cadre d’analyse pertinent est celui du droit de l’Union. En effet, elle énonce que « la question de savoir si deux catégories de personnes se trouvent dans une situation comparable et doivent de ce fait bénéficier d’un avantage social dans les mêmes conditions est également une question d’interprétation du droit communautaire ». Cette affirmation souligne que la qualification juridique des faits par une juridiction nationale, bien qu’éclairante, ne lie pas la Cour lorsque celle-ci doit appliquer et interpréter les concepts autonomes du droit de l’Union, tel que le principe de non-discrimination. La Cour refuse ainsi de considérer les situations comme identiques au seul motif que le juge national les perçoit comme telles. L’autonomie de l’ordre juridique communautaire impose que la comparabilité soit évaluée à l’aune de ses propres critères et finalités, en particulier ceux liés à la libre circulation des travailleurs.

B. La distinction opérée entre droit de séjour conditionnel et inconditionnel

Le cœur de l’argumentation de la Cour réside dans la différence de nature entre le droit de séjour du travailleur migrant et celui de la personne « présente et établie » au Royaume-Uni. La Cour rappelle que, « en l’état actuel du droit communautaire, le droit de séjour des ressortissants d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre n’est pas inconditionnel ». Ce droit est subordonné au maintien de la qualité de travailleur ou de chercheur d’emploi. À l’inverse, le statut de la personne « présente et établie » confère un droit de séjour permanent, non soumis à de telles conditions d’activité. C’est cette différence fondamentale qui, selon la Cour, rend les deux situations objectivement dissemblables. Par conséquent, les conjoints de ces deux catégories de personnes ne se trouvent pas non plus dans une situation comparable au regard de l’acquisition d’un droit de séjour indéfini. La différence de traitement quant à la durée de résidence requise n’est donc pas une discrimination, car elle s’applique à des situations qui ne sont pas analogues. La question d’une éventuelle justification de cette différence devient alors, comme le précise la Cour, « dépourvue de pertinence ».

Cette approche rigoureuse, si elle clarifie la méthode d’analyse, laisse néanmoins dans l’ombre les préoccupations procédurales soulevées par la juridiction nationale, révélant les limites du dialogue entre les juges.

II. Les conséquences de la position de la Cour sur le dialogue des juges

En choisissant de s’en tenir à sa première analyse, la Cour de justice démontre la portée limitée des nouveaux éléments que peut lui soumettre un juge national (A), tout en évitant de se prononcer sur une question sensible touchant à ses propres garanties procédurales (B).

A. La portée limitée des nouveaux éléments d’appréciation soumis par la juridiction nationale

Bien que la Cour reconnaisse qu’un juge national peut la saisir à nouveau s’il lui « soumet de nouveaux éléments d’appréciation susceptibles de conduire la Cour à répondre différemment », la présente décision illustre les limites de cette possibilité. Les éléments avancés par l’Immigration Adjudicator, tels que la caducité de l’autorisation de séjour indéfini en cas de départ du territoire ou la possibilité d’expulsion pour des motifs d’ordre public, sont jugés comme n’infirmant pas le bien-fondé de l’interprétation initiale. La Cour les estime non pertinents pour remettre en cause la distinction centrale entre un droit conditionnel et un droit inconditionnel. Cette décision démontre que seuls des éléments susceptibles de modifier l’analyse juridique au regard du droit de l’Union, et non de simples précisions sur le droit national, peuvent influencer sa position. La portée de cet arrêt est donc de confirmer que le dialogue des juges, s’il est essentiel, reste structuré par une hiérarchie des normes où l’interprétation autonome du droit de l’Union par la Cour prévaut sur les qualifications nationales.

B. L’élision de la question relative aux garanties procédurales

La juridiction de renvoi s’interrogeait de manière directe sur la conformité de la procédure préjudicielle avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, notamment au regard du rôle des conclusions de l’avocat général et de l’impossibilité pour les parties de répliquer après leur présentation. La Cour choisit cependant de ne pas répondre à cette première question, la jugeant sans objet après avoir réglé le fond du litige. Elle se contente de constater que « dans ces conditions, il n’y a pas lieu de répondre à la première question ». Cette omission est significative. En éludant le débat, la Cour évite de se prononcer sur la nature de son propre fonctionnement et sur les critiques relatives à son caractère contradictoire. Si cette posture peut se justifier par un souci d’économie de jugement, elle laisse en suspens une interrogation légitime d’une juridiction nationale sur la protection des droits fondamentaux dans le cadre même de la procédure préjudicielle. Elle témoigne d’une certaine réticence de la Cour à ouvrir un débat sur des aspects procéduraux internes qui pourraient être perçus comme perfectibles.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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