Par un arrêt du 7 juillet 1982, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions de mise en œuvre et les modalités de fonctionnement du régime des quotas de production prévu par le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier. En l’espèce, une entreprise sidérurgique avait fait l’objet d’une communication de la Commission fixant sa production de référence ainsi que son quota de production pour certains produits laminés pour le deuxième trimestre de 1981. Cette décision individuelle était prise en application d’une décision générale instaurant un régime de quotas de production en raison d’une crise manifeste sur le marché de l’acier. L’entreprise a alors saisi la Cour de justice d’un recours en annulation contre la communication de la Commission. Elle soulevait plusieurs moyens, tenant tant à l’irrégularité de la procédure d’adoption de la décision générale qu’à la méconnaissance par la Commission de plusieurs obligations dans la définition du régime des quotas. Se posait alors la question des limites du pouvoir d’appréciation de la Commission dans l’établissement d’un tel mécanisme de crise. La Cour de justice a rejeté l’ensemble des moyens de l’entreprise requérante, validant ainsi l’approche de la Commission. Elle a jugé que le régime des quotas de production, outil de gestion de crise, a pour but de répartir équitablement les conséquences d’une réduction de la demande sur l’ensemble des entreprises, et non de garantir la situation individuelle de chacune d’entre elles. La décision éclaire ainsi la finalité du mécanisme de crise de l’article 58 du traité (I), avant de valider les critères objectifs, bien que rigides, retenus par la Commission pour le calcul des quotas (II).
I. La finalité confirmée du mécanisme de crise de l’article 58
L’arrêt rappelle que l’instauration de quotas de production vise à un assainissement global du marché, ce qui justifie de faire prévaloir cet objectif sur les situations particulières des entreprises (A), y compris lorsque celles-ci sont affectées par des distorsions de concurrence externes au régime des quotas (B).
A. La primauté de la gestion collective de la crise sur les garanties individuelles
L’entreprise requérante soutenait que le régime des quotas aurait dû lui assurer un niveau d’activité minimal afin de préserver l’emploi au sein de son organisation. La Cour écarte cette argumentation en définissant clairement le but de l’article 58 du traité. Elle juge que cette disposition « N’impose cependant D’aucune maniere a la commission L’obligation de garantir a chaque entreprise individuelle un minimum de production en fonction de ses propres criteres de rentabilite et de developpement ». Le mécanisme de crise est un instrument de solidarité destiné à adapter l’offre à une demande réduite, et non un outil de soutien individualisé.
La Cour précise ainsi que « Le but de L’article 58 est de repercuter de la maniere la plus equitable possible, sur L’ensemble des entreprises, les reductions exigees par la conjoncture economique et non D’assurer aux entreprises une occupation minimale proportionnee a leur capacite ». Cette interprétation subordonne les objectifs de maintien de l’emploi et de rentabilité, pourtant inscrits dans le traité, à la nécessité première de stabiliser le marché dans son ensemble. La survie à long terme du secteur prime ainsi sur les difficultés conjoncturelles d’une seule entreprise.
B. L’autonomie du régime des quotas face aux distorsions de concurrence
L’entreprise requérante faisait également valoir que la Commission aurait dû tenir compte, dans la fixation des quotas, des subventions publiques illicites accordées à certains de ses concurrents dans d’autres États membres. La Cour, tout en reconnaissant la légitimité de cette préoccupation, refuse d’intégrer cette problématique dans le cadre de l’article 58. Elle estime qu’un tel mécanisme de crise requiert une action rapide et des critères simples, incompatibles avec la complexité des investigations nécessaires à l’appréciation de la légalité des aides d’État.
Selon la Cour, « on ne saurait aller cependant jusqu’au point D’exiger que les mesures anti-crise de L’article 58 soient utilisees comme un correctif de L’effet D’aides illicites accordees par les etats membres ». Elle distingue ainsi les instruments du traité, renvoyant la question des aides aux procédures spécifiques prévues à cet effet. Le régime des quotas n’est pas un outil de rétablissement de la concurrence, mais un instrument conjoncturel dont l’efficacité dépend de sa simplicité et de sa rapidité de mise en œuvre.
Après avoir clarifié la portée et l’autonomie du mécanisme de crise, la Cour se penche sur la validité des modalités de calcul retenues par la Commission pour déterminer les quotas de production.
II. La validation des critères de détermination des quotas
La Cour de justice approuve la méthode retenue par la Commission, qui privilégie une base de calcul objective et vérifiable (A) et refuse de prendre en compte des éléments postérieurs ou exogènes qui viendraient remettre en cause la fiabilité du système (B).
A. La préférence pour la production effective sur la capacité de production
Le moyen principal de l’entreprise visait le choix de la Commission de fonder son système sur la production effective des entreprises durant une période de référence, plutôt que sur leur capacité de production. La Cour valide pleinement cette approche, considérant qu’elle repose sur une « base D’appreciation objective en evitant les incertitudes inherentes a L’evaluation D’une donnee en partie conjecturale, telle que la capacite de production ». Ce choix permet de réduire la production globale sans altérer les positions relatives des entreprises sur le marché.
L’arrêt confère ainsi une grande liberté à la Commission dans la définition de la « base equitable » exigée par le traité pour l’établissement des quotas. En privilégiant les données historiques de production, la Commission a opté pour la sécurité juridique et la prévisibilité, au détriment d’une approche potentiellement plus adaptée aux évolutions récentes de chaque entreprise, mais plus susceptible de contestations.
B. Le rejet des ajustements fondés sur des données non consolidées
Dans le prolongement de son raisonnement, la Cour rejette les tentatives de l’entreprise de faire valoir une capacité de production réévaluée, significativement supérieure à celle qu’elle avait déclarée par le passé. La Cour se montre stricte et estime que l’entreprise « ne saurait etre admise a remettre en question une seconde fois, sous pretexte de nouvelles erreurs D’appreciation de sa part (…) des donnees resultant de ses propres declarations anterieures, dument verifiees par la commission ». Les entreprises sont ainsi tenues par la rigueur de leurs propres déclarations.
Enfin, la Cour écarte le grief relatif à une restriction indue des possibilités d’exportation. Elle juge qu’une telle conséquence est inhérente à tout système de limitation de la production. Elle rappelle que la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation pour concilier les besoins du marché intérieur et les intérêts de la Communauté dans ses relations commerciales avec les pays tiers, et qu’aucune obligation d’exempter les productions destinées à l’exportation ne saurait être déduite de l’article 58.