Arrêt de la Cour du 7 mai 1991. – Commission des Communautés européennes contre République italienne. – Manquement – Directives Euratom – Non-transposition dans les délais prescrits. – Affaire C-246/88.

Par l’arrêt commenté, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur les conséquences du défaut de transposition de directives par un État membre. La décision porte spécifiquement sur le domaine de la protection sanitaire de la population et des travailleurs contre les dangers des rayonnements ionisants, régi par le traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique.

En l’espèce, la Commission des Communautés européennes avait constaté qu’un État membre n’avait pas adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à deux directives du Conseil. La première, datant du 15 juillet 1980, modifiait les normes de base en matière de protection sanitaire, et la seconde, du 3 septembre 1984, venait amender la précédente. Après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations par la voie d’une procédure précontentieuse, et face à la persistance de l’inaction, la Commission a saisi la Cour de justice d’un recours en manquement. Le litige portait donc sur l’inexécution par un État de son obligation de donner effet au droit communautaire dérivé dans son ordre juridique interne.

Il était ainsi demandé à la Cour de déterminer si l’absence d’adoption des mesures de transposition dans les délais prescrits par les directives suffisait à caractériser une violation par l’État membre de ses obligations découlant du traité Euratom.

À cette question, la Cour de justice répond sans équivoque par l’affirmative. Elle juge que l’État mis en cause, « en n’ayant pas adopté, dans les délais prescrits, les dispositions nécessaires pour mettre en oeuvre les directives (…), a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité Euratom ». Cette solution, qui s’inscrit dans une jurisprudence constante, consacre le caractère objectif de la constatation du manquement (I), tout en réaffirmant la primauté et l’impérativité de l’obligation de transposition pour garantir l’effectivité du droit communautaire (II).

I. La constatation objective du manquement à l’obligation de transposition

La décision de la Cour repose sur une approche stricte et formelle du manquement, lequel est constitué par la simple expiration du délai de transposition (A), rendant sans pertinence les éventuelles justifications avancées par l’État défaillant (B).

A. L’automaticité du manquement résultant de l’expiration du délai

Le raisonnement de la Cour de justice est d’une grande sobriété et ne laisse place à aucune appréciation subjective de la conduite de l’État membre. L’arrêt constate le manquement en se fondant sur un seul critère matériel : l’écoulement du temps. En déclarant que l’État a failli à ses obligations « en n’ayant pas adopté, dans les délais prescrits, les dispositions nécessaires », la Cour établit un lien de causalité direct et automatique entre l’expiration du délai et la naissance de l’infraction au droit communautaire. Le manquement est donc constitué indépendamment de toute intention ou négligence de la part des autorités nationales.

Cette approche objective est fondamentale pour le fonctionnement de l’ordre juridique communautaire. Elle assure que l’obligation de transposer une directive, qui est une obligation de résultat, soit appréciée de manière uniforme dans tous les États membres. Le simple fait que le résultat attendu, à savoir l’adoption de mesures nationales, ne soit pas atteint à la date butoir fixée par le législateur communautaire suffit à engager la responsabilité de l’État. La Cour n’a pas à rechercher les causes de ce retard ni à évaluer la complexité du processus législatif interne.

B. L’indifférence des justifications tirées de l’ordre interne

Bien que l’arrêt n’expose pas les arguments qu’aurait pu soulever l’État défendeur, la jurisprudence constante de la Cour de justice établit qu’un État membre ne peut invoquer des dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations nées du droit communautaire. Qu’il s’agisse de difficultés politiques, de contraintes administratives, de lenteurs parlementaires ou de complexités techniques, aucune de ces circonstances n’est susceptible d’exonérer l’État de sa responsabilité.

La solution rendue en l’espèce est une application implicite mais certaine de ce principe. Le caractère lapidaire du dispositif, qui se borne à constater le manquement, confirme que toute défense fondée sur des obstacles internes aurait été jugée inopérante. En condamnant l’État membre sans examiner les raisons de sa défaillance, la Cour rappelle avec force que les obligations issues des traités et du droit dérivé priment sur les contingences nationales, assurant ainsi la supériorité et l’application cohérente du droit de l’Union.

Cette constatation objective du manquement n’est pas une simple sanction formelle ; elle vise à préserver l’intégrité et l’efficacité de l’ordre juridique communautaire, dont l’obligation de transposition constitue une pièce maîtresse.

II. La portée de la sanction du défaut de transposition

En sanctionnant le défaut de transposition, la Cour de justice ne fait pas que régler un litige entre une institution et un État ; elle réaffirme le rôle essentiel de la transposition dans la garantie de l’effectivité du droit communautaire (A) et, par conséquent, dans la protection des droits des justiciables (B).

A. La garantie de l’effectivité du droit de l’Union

La directive est un instrument d’harmonisation qui lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Cette mécanique ne peut fonctionner que si les États membres accomplissent loyalement leur devoir de transposition. Un défaut de transposition prive la directive de son effet utile, car les règles qu’elle édicte ne peuvent pénétrer l’ordre juridique national et produire leurs pleins effets juridiques.

Dans le cas présent, les directives visaient à établir des normes de base pour la protection sanitaire de la population et des travailleurs contre les rayonnements ionisants. L’inaction de l’État membre créait un vide juridique, laissant ses citoyens et ses travailleurs sans le niveau de protection harmonisé voulu par le législateur communautaire. La décision de la Cour, en constatant le manquement, rappelle que la coopération loyale des États est indispensable à la réalisation des objectifs des traités, notamment dans des domaines aussi cruciaux que la santé et la sécurité publiques. Sanctionner l’inertie étatique est donc une condition sine qua non de l’effectivité du droit de l’Union.

B. La protection des droits des particuliers et l’uniformité du droit

Au-delà de l’architecture institutionnelle, le défaut de transposition a des conséquences directes pour les particuliers. Les directives, surtout lorsqu’elles sont précises et inconditionnelles, peuvent conférer des droits aux individus. L’absence de mesures nationales de transposition empêche ces derniers de se prévaloir pleinement de ces droits devant leurs juridictions nationales. En l’espèce, les travailleurs et les citoyens se voyaient privés des garanties sanitaires spécifiques prévues par les directives.

De surcroît, l’inaction d’un seul État porte atteinte à l’uniformité d’application du droit communautaire. Elle crée une situation d’inégalité où les justiciables d’un État ne bénéficient pas de la même protection que ceux des autres États membres ayant correctement transposé la législation. En condamnant l’État défaillant, la Cour de justice agit en tant que gardienne non seulement de la légalité communautaire, mais aussi de l’égalité des citoyens de l’Union devant le droit. La constatation du manquement est ainsi la première étape nécessaire pour remédier à cette rupture d’uniformité et inciter l’État à se conformer à ses obligations pour le futur.

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