Arrêt de la Cour du 7 novembre 1991. – Pinaud Wieger Spedition GmbH contre Bundesanstalt für den Güterfernverkehr. – Demande de décision préjudicielle: Bundesverwaltungsgericht – Allemagne. – Libre prestation de services – Transports de cabotage. – Affaire C-17/90.

Par un arrêt en date du 2 juillet 1991, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’application de la libre prestation de services dans le secteur spécifique des transports routiers.

En l’espèce, une entreprise d’expédition établie dans un État membre souhaitait confier la réalisation de transports de marchandises sur le territoire de ce même État à un transporteur établi dans un second État membre.

L’autorité nationale compétente s’opposa à ce projet, au motif que la législation nationale réservait les transports intérieurs aux entreprises établies sur le territoire national. L’entreprise d’expédition a alors saisi les juridictions nationales pour faire constater son droit de recourir au prestataire étranger, arguant de l’effet direct de l’article 59 du traité CEE qui aurait privé d’effet la restriction nationale. La juridiction suprême, saisie du litige, a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice.

Il était ainsi demandé à la Cour de déterminer si la carence du Conseil à mettre en œuvre la libre prestation des services de transport, et notamment à fixer les conditions d’admission des transporteurs non-résidents aux transports nationaux, conférait aux articles 59 et 60 du traité un effet direct suffisant pour écarter une réglementation nationale interdisant le cabotage routier.

La Cour de justice répond par la négative, considérant que la spécificité du domaine des transports et la nécessité d’une libéralisation progressive justifiaient le maintien des restrictions nationales en l’absence d’un régime communautaire complet. Cette solution, fondée sur une interprétation pragmatique des obligations du Conseil (I), confirme la portée limitée de la libre prestation de services dans un secteur encore en cours d’harmonisation (II).

I. Une interprétation pragmatique de l’obligation de libéralisation pesant sur le Conseil

La Cour de justice, tout en reconnaissant la défaillance passée du Conseil, justifie l’absence d’effet direct des dispositions sur la libre prestation de services par la complexité du secteur, légitimant ainsi une approche graduelle.

A. La constatation réitérée de la carence du Conseil en matière de cabotage

La Cour rappelle sa propre jurisprudence, notamment la décision du 22 mai 1985, par laquelle elle avait déjà sanctionné l’inaction de l’institution. Elle souligne que « le Conseil s’était abstenu, en violation du traité, de fixer, dans le cadre de la libération des prestations de services dans ce secteur, conformément à l’article 75, paragraphes 1, sous b), et 2, du traité, les conditions de l’admission des transporteurs non résidents aux transports nationaux dans un État membre ». Cette référence n’est pas neutre, car elle ancre la question dans un contexte de manquement avéré, ce qui aurait pu laisser présager une solution plus audacieuse en faveur des libertés fondamentales. En effet, la reconnaissance d’une telle carence constitue généralement le préalable à la reconnaissance de l’effet direct d’une disposition du traité dont la mise en œuvre était subordonnée à l’action de l’institution défaillante.

B. La légitimation d’une mise en œuvre progressive de la libéralisation

Toutefois, la Cour tempère immédiatement la portée de cette constatation de carence en tenant compte des spécificités du domaine concerné. Elle estime que la complexité inhérente au secteur du cabotage routier, marquée par des « problèmes de nature économique, sociale et écologique », justifie une approche prudente. Dans ces conditions, « le Conseil était habilité à entamer la mise en œuvre de la libéralisation des activités de cabotage routier de façon progressive ». Par ce raisonnement, la Cour admet que l’obligation de résultat qui pèse sur le Conseil n’est pas assortie d’un délai strict et que l’institution dispose d’un pouvoir d’appréciation quant au rythme et aux modalités de la libéralisation. L’adoption, postérieurement à la saisine de la juridiction de renvoi, du règlement (CEE) n° 4059/89, est perçue comme la manifestation de cette mise en œuvre progressive, ce qui suffit à écarter l’argument d’une « carence persistante » au moment où la Cour statue.

II. La portée conditionnée de la libre prestation de services dans le secteur des transports

La solution retenue par la Cour de justice confirme la place particulière du secteur des transports au sein du marché intérieur, dont la libéralisation demeure subordonnée à l’adoption d’une politique commune, excluant l’application directe des principes généraux du traité.

A. La réaffirmation de l’autonomie du droit des transports

La Cour fonde son raisonnement sur une disposition clé du traité, rappelant que « conformément à l’article 61, paragraphe 1, du traité, la libre circulation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre relatif aux transports ». Cette affirmation consacre une dérogation sectorielle au régime général de la libre prestation de services. Ainsi, l’application des articles 59 et 60 n’est pas automatique, mais doit être « réalisée, selon le traité, par la mise en œuvre de la politique commune des transports ». En refusant de donner un effet direct à ces articles dans le domaine du cabotage, la Cour préserve la cohérence du système du traité et le rôle central attribué au législateur communautaire pour harmoniser les conditions de concurrence dans un secteur jugé sensible. La liberté ne peut donc précéder la mise en place de règles communes.

B. La validité maintenue des restrictions nationales en l’attente d’un régime définitif

En conséquence logique, en l’absence d’un cadre communautaire complet, les législations nationales qui interdisent ou limitent le cabotage routier demeurent applicables. En l’état du droit au moment des faits du litige principal, l’interdiction faite à une entreprise de recourir à un transporteur non-résident pour des transports nationaux n’était pas contraire au droit communautaire. La solution de la Cour est d’ailleurs résolument tournée vers l’avenir, notant que le règlement transitoire adopté en 1989 n’était qu’une première étape, le Conseil s’étant engagé à « arrêter un règlement comportant l’établissement du régime définitif du cabotage routier au plus tard pour le 1er janvier 1993 ». Cet arrêt illustre ainsi une période de transition juridique, où le principe de la libre prestation de services, bien que proclamé, ne pouvait recevoir sa pleine effectivité qu’à travers l’intervention progressive et structurée du législateur communautaire.

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