Arrêt de la Cour du 7 novembre 2000. – Schutzverband gegen Unwesen in der Wirtschaft eV contre Warsteiner Brauerei Haus Cramer GmbH & Co. KG. – Demande de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof – Allemagne. – Protection des indications géographiques et des appellations d’origine – Règlement (CEE) nº 2081/92 – Champ d’application – Réglementation nationale qui interdit l’utilisation, comportant un risque de tromperie, des indications de provenance géographique dites « simples ». – Affaire C-312/98.

L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 7 novembre 2000, sur renvoi préjudiciel du Bundesgerichtshof, aborde la question de l’articulation entre le droit communautaire relatif aux indications géographiques protégées et les législations nationales de protection contre la concurrence déloyale.

En l’espèce, une brasserie commercialisait une bière sous une dénomination faisant référence à une localité allemande. Une partie de cette bière était toutefois brassée dans une autre ville, distante d’environ quarante kilomètres. Il était constant que la réputation de la bière n’était pas liée à des caractéristiques conférées par son origine géographique, mais à sa qualité intrinsèque et à des efforts de promotion de la marque. Une association de lutte contre la concurrence déloyale a alors engagé une action pour faire cesser l’utilisation de cette dénomination, qu’elle estimait trompeuse au regard du droit allemand.

La juridiction de première instance a fait droit à la demande, interdisant l’usage de la dénomination pour la bière produite hors du lieu d’origine. La cour d’appel a infirmé ce jugement, considérant que le risque de tromperie n’était pas établi de manière significative, une faible part des consommateurs seulement connaissant la localité en question et y attachant une importance pour le produit. Saisie d’un pourvoi, la juridiction suprême allemande a estimé que le droit national offrait une protection aux indications de provenance dites « simples », c’est-à-dire sans lien avec une qualité spécifique du produit, dès lors qu’un risque de tromperie existait. Elle a cependant sursis à statuer afin de déterminer si une telle protection nationale restait applicable au regard du droit communautaire.

Il était donc demandé à la Cour de justice si le règlement (CEE) n° 2081/92, qui organise la protection des indications géographiques et des appellations d’origine, s’opposait à l’application d’une réglementation nationale interdisant l’usage trompeur d’une indication de provenance géographique simple, pour laquelle il n’existe aucun lien entre les caractéristiques du produit et son origine.

La Cour a répondu par la négative, jugeant que le règlement communautaire ne vise que les indications pour lesquelles un lien est avéré entre une qualité, une réputation ou une autre caractéristique du produit et sa provenance géographique. Par conséquent, les indications de provenance simples, qui ne satisfont pas à cette condition, n’entrent pas dans le champ d’application du règlement et peuvent donc faire l’objet d’une protection par les droits nationaux.

La solution clarifie ainsi le périmètre de l’harmonisation réalisée par le règlement, confirmant l’existence d’un espace de régulation pour les États membres (I). Cette coexistence de deux niveaux de protection engendre cependant une protection à géométrie variable des dénominations géographiques au sein du marché intérieur (II).

I. La délimitation stricte du champ d’application du règlement comme justification du maintien des législations nationales

La Cour de justice fonde sa décision sur une interprétation rigoureuse du texte communautaire, qui exclut de son champ les indications de provenance géographique simples (A), confirmant ainsi que le règlement n’a pas opéré une harmonisation totale de la matière (B).

A. Une exclusion des indications de provenance simples fondée sur la lettre du règlement

Le raisonnement de la Cour s’appuie principalement sur la définition de l’indication géographique fournie par l’article 2, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 2081/92. Ce texte exige qu’« une qualité déterminée, la réputation ou une autre caractéristique peut être attribuée à cette origine géographique ». La Cour en déduit logiquement que les dénominations qui ne remplissent pas cette condition de causalité entre le produit et son terroir ne sont pas régies par le règlement. La décision souligne ainsi que l’instrument communautaire a pour objet d’établir un régime de protection spécifique pour des produits dont la spécificité est directement liée à leur origine.

Cette lecture est confortée par le neuvième considérant du règlement, qui énonce expressément que son champ d’application se limite aux produits pour lesquels un tel lien existe. En ne protégeant que les indications géographiques qualifiées, le législateur communautaire a entendu créer un label d’excellence et non un système général de protection de toutes les mentions de provenance. Les indications simples, utilisées pour leur pouvoir d’évocation mais sans garantir une qualité particulière liée au lieu, demeurent donc en dehors de ce cadre normatif.

B. Une interprétation téléologique confirmant l’absence d’harmonisation totale

La Cour écarte l’argument selon lequel le maintien de règles nationales irait à l’encontre de l’objectif d’harmonisation du règlement. Elle précise que si le règlement vise bien, selon son septième considérant, à remplacer les pratiques nationales disparates par une approche plus uniforme, cette ambition ne concerne que le domaine qu’il régit, à savoir celui des appellations d’origine et des indications géographiques qualifiées. La protection uniforme qu’il instaure à travers un enregistrement communautaire ne s’applique qu’aux dénominations qui répondent à ses critères stricts.

Dès lors, l’application de règles nationales à des situations non couvertes par le règlement ne saurait compromettre son objectif. La protection accordée par un État membre à une indication de provenance simple sur son territoire est régie par son seul droit national et ne produit d’effets que dans ses frontières. Il n’y a donc pas de conflit de normes, mais une complémentarité entre un régime communautaire d’élite et des régimes nationaux de portée plus générale, souvent fondés sur la prohibition des pratiques commerciales trompeuses.

En validant la compétence des États membres pour régir les indications de provenance simples, la Cour consacre la coexistence de deux systèmes de protection. Cette dualité, si elle est logique sur le plan juridique, n’est pas sans conséquence sur la situation des opérateurs économiques et la lisibilité du droit.

II. La portée de la coexistence d’un double niveau de protection

La solution retenue par la Cour a le mérite de consolider la protection des consommateurs contre les informations fallacieuses (A), mais elle instaure dans le même temps une protection à géométrie variable qui peut être source de complexité pour les opérateurs économiques (B).

A. La consolidation de la protection du consommateur contre les pratiques trompeuses

En permettant aux États membres d’interdire l’usage d’une indication géographique simple jugée trompeuse, la Cour assure un niveau de protection élevé pour le consommateur. Elle reconnaît que, même en l’absence de lien qualitatif avec le lieu, une dénomination géographique peut constituer une information pertinente et influencer le comportement économique. Laisser sans contrôle l’usage de telles dénominations pourrait ouvrir la voie à des stratégies marketing induisant le public en erreur sur l’origine réelle du produit, ce que visent précisément à empêcher les législations nationales sur la concurrence déloyale.

Cette solution permet de combler une lacune potentielle du droit communautaire. Si le règlement n° 2081/92 n’avait pas été interprété de manière restrictive, les indications simples n’entrant pas dans son champ auraient pu se retrouver dans un vide juridique, sans protection ni au niveau communautaire ni au niveau national. En confirmant la compétence résiduelle des États, la Cour garantit qu’une protection minimale contre la tromperie reste possible, indépendamment de l’existence d’une qualité spécifique liée à l’origine.

B. L’instauration d’une protection à géométrie variable source de complexité pour les opérateurs économiques

Si la décision est favorable à la protection du consommateur, elle crée une situation juridique complexe pour les entreprises. Celles-ci doivent désormais composer avec deux niveaux de réglementation distincts. Pour les indications qualifiées, elles peuvent viser une protection uniforme et robuste dans toute l’Union par le biais de l’enregistrement communautaire. Pour les indications simples, en revanche, la protection reste fragmentée et dépendante des vingt-sept législations nationales, dont les critères et le niveau d’exigence peuvent varier considérablement.

Cette fragmentation du marché intérieur peut engendrer une insécurité juridique pour un producteur. Une dénomination géographique jugée licite dans un État membre pourrait être considérée comme trompeuse et interdite dans un autre. L’absence d’harmonisation pour cette catégorie d’indications contraint les opérateurs à une analyse au cas par cas de la législation de chaque marché national, ce qui peut constituer une entrave indirecte à la libre circulation des marchandises et compliquer l’élaboration de stratégies commerciales à l’échelle européenne.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture